MAGAZINE CONSTAS

Les câbles sous-marins de télécommunication

Quand nuages et courriels passent sous la mer

Édition d’avril 2016 —

Si l’océan mondial, comme on dit aujourd’hui, compose 71% de la planète Terre, la mal nommée, et que d’autre part nos cinq continents y sont reliés comme les organes d’un seul corps, ce qui est l’évidence, notamment en matière de communication, il est bien difficile d’ignorer l’univers du câblage sous-marin, son développement et ses techniques, par ailleurs spectaculaires.

Par Claude Bourget

On recenserait aujourd’hui près de 300 câbles océaniques qui à eux seuls avalent et restituent 99 % des données intercontinentales de toutes sortent. Ils sont optiques pour la plupart, donc plus véloces que des liaisons satellites géosynchrones (1), très paresseuses en aller-retour, avec leur latence « insupportable » d’un quart de seconde. Mais la vitesse, même supérieure, est faite pour les records et la piste est prête, submersible en ce cas, pour le grand sprint, dont il semble qu’il ne sera jamais final. À l’heure où l’on se parle, la société dublinoise Aqua Comms, connue pour avoir plongé en mer d’Irlande un câble de 72 fibres optiques, dit CeltixConnect, afin de relier par signaux lumineux l’Éire et le Royaume-Uni (2), met en service depuis le 31 janvier 2016 un réseau transatlantique de dernière génération, construit par TE SubCom : l’AEConnect (AE pour Amérique-Europe). Ce câble optique d’hypercalibre, hyperstable et long de 5 522 km, prévoit d’emblée l’explosion bigbangnesque des sollicitations réseautiques entre les deux grands pans de l’Occident. Le seul trafic Internet entre New-York et Londres se place déjà au deuxième rang mondial, avec ses pics de 13 900 gigabits à la seconde. L’AEConnect fournira en capacité le quadruple, soit 52 000 Gb/s, et s’annonce prête à faire grimper ce chiffre au moyen de techniques de modulation plus avancées, dites 8QAM. Son premier client ne surprendra personne : Microsoft. Nous sommes à l’heure du Cloud, du Nuage. Il faut seulement retenir que ces nimbus-là voyagent au fond des mers.

 

Charrue sous-marine de TE Subcoms. CR: TE SubCom

 

Pendant ce temps, au pays, rien de tel, mais d’intéressantes infrastructures sous-marines sont en place, dont 800 km de fibre reliant les provinces de Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, propriété d’Eastlink, basée à Halifax, et les 4 780 km de TELE Greenland, la Greenland connect, qui relie cette fois Terre-Neuve à l’Islande, en passant par l’immense île de glace. Ajoutons que l’américaine Hibernia Networks, qui déjà embranche Montréal et Toronto au Nord-Est américain, lui-même réseauté de toutes parts, est arrivée en 2015 avec son Hibernia Express cable, autre fibre transatlantique, celle-ci de 10 000 Gb/s, jetée depuis le Connecticut entre Halifax et Dublin, jusqu’au centre-nord de l’Angleterre.

Comment fait-on?

Le câble, arrivé de l’usine puis déroulé, est d’abord embarqué ainsi depuis une plage ou une surface portuaire suffisamment uniforme et vaste pour réaliser un jeu de poulie et de tension à l’aide de puissants tracteurs. Ce chargement « filaire » s’exécute avec une double précaution en ce que son fardeau, d’abord, peut facilement déstabiliser le câblier, et du fait qu’il doit être « lové », parfois à la main, tel un cordage, dans la ou l’une des cuves de stockage du navire, pour en assurer le bon déroulement en mer, c’est-à-dire, toujours dans le sens contraire, son bon « délovage », sans boucle ni torsion.

Le câblier de la compagnie TE SubCom. CR: TE SubCom

 

Point essentiel, le câble sous-marin actuel, du moins dans les zones à risques (à moins de 2000 m) et, en somme, de plus en plus fréquemment (3), n’est pas simplement déposé sur le fond océanique. Il y est inséré, et pour ainsi dire semé, comme au long d’un sillon, dans la technique du labour. Le plancher océanique choisi est ainsi « labouré », parfois jusqu’à 3 mètres, afin de recevoir le filin. On dit alors du câble qu’il est ensouillé. Le robot très spécial qui assure la manœuvre de pose par téléguidage, tracté par le treuil d’un navire-câblier (4), est d’ailleurs appelé la charrue et en possède en effet partiellement la forme et les attributs. Il peut peser à l’air libre de 30 à 40 tonnes. Si on y ajoute une capacité d’autonomie et des bras articulés, en vue d’opérations subséquentes, appelées postensouillage ou réensouillage, le robot se mute alors en ROV, soit en Remote Operated Vehicle. On dit de ces appareils, rares et étonnants, qui plongent seuls et ensouillent à 750 m à l’heure, qu’ils sont des hélicoptères sous-marins (5). Une version asiatique de ces engins, plus spécifique aux régions sous-marines investies et à leur degré d’agitation et de trafic, notamment aux endroits dits d’atterrissement, quand le câble arrive à la côte, ensouillent jusqu’à 10 mètres de profondeur.

La société dublinoise Aqua Comms met en service depuis le 31 janvier 2016 un réseau transatlantique de dernière génération : l’AEConnect, qui prévoit d’emblée l’explosion bigbangnesque des sollicitations réseautiques entre l’Amérique et l’Europe.

Les câbliers poseurs, malgré un déplacement allant jusqu’à 17 000 tonnes, ont leur limite de charge, et donc d’installation. Tout cela est également affaire de calibre, mais par grand fond (2500 m et plus), nous pouvons parler de quelques milliers de kilomètres (25 à 250 km par jour, selon qu’il y ait ou non ensouillage). Il faut donc procéder à des épissures assez complexes. La fibre optique n’est pas du chanvre à cordage, et ses torons ont la fragilité de nos connections modernes. Les extrémités de câble à épisser sont mises en bouée et le rattachement parfait des connecteurs demandent, en plus des ajustements de détail, de subtiles manœuvres de navigation que la haute mer ne permet pas volontiers.

Le lecteur qui cherche à approfondir le sujet pourra bénéficier de la générosité d’entreprises internationales telles TE SubCom ou Alcatel-Lucent, qui mettent en ligne, notamment sur leurs chaînes Youtube respectives, en guise de promotion, des films d’animation et des tournages édifiants à ce propos, ainsi que le site gratuit et fort utile de la société TeleGeography, le submarinecablemap.com.•


(1) Se dit d’un satellite dont la période de révolution égale un jour sidéral (Le petit Robert).
(2) Plus exactement North Bull Island (Irlande) et Porth Dafarch (Pays de Galles).
(3) Les requins et les barracudas eux-mêmes en raffolent et se font, à leur heure, pirates de l’Internet. Ils seraient attirés par les champs électromagnétiques émanant des câbles, ou simplement par la curiosité. Une espèce de Kevlar, maintenant ajoutée en couches protectrices, semble faire bonne armure, ou des produits comme l’Uraduct™, destiné à l’industrie Offshore.
(4) Il existerait une centaine seulement de ces navires parmi les pays dont l’industrie du câblage sous-marin est d’importance, soit les États-Unis, le Japon, la France, le Royaume-Uni et, bien sûr, comme on l’a vu, l’Irlande.
(5) Voir France Telecom Marine et sa filiale SIMEC (www.simec-technologies.com).