MAGAZINE CONSTAS

Encore un autre 50 ans

Le pont Laviolette vieillit bien

« Le pont, il nous le faut et nous l’aurons ». La Corporation du pont de Trois-Rivières est constituée en 1956; le gouvernement Lesage garantit en 1962 un emprunt de
30 millions $.

Le pont Laviolette en chiffres

Le pont Laviolette relie du nord au sud Trois-Rivières à Bécancour. Cet ouvrage d’art, l’unique lien routier à rattacher les deux rives entre Québec et Montréal, a créé à lui seul, en rapprochant le Centre-du Québec de la Mauricie, un nouvel espace économique.

Par Jean Brindamour

À la différence de la plupart des grands projets de la Révolution tranquille, souvent des initiatives de l’État, c’est la société civile, l’opinion publique, en l’occurrence celle du Grand Trois-Rivières, qui a été à l’origine du pont Laviolette, un projet structurant pour toute la région. Passionné d’histoire, longtemps directeur du service des communications de la Ville de Trois-Rivières, François Roy témoigne : « C’est dans les années 1950 que les médias font la promotion d’un espace économique qui recouvrirait les deux rives du Saint-Laurent. Ce nouvel espace régional, les médias lui ont déjà trouvé un nom : “Cœur-du-Québec”. Il faut ensuite aller plus loin et créer un lien solide entre ces deux rives, c’est-à-dire un pont sur le Saint-Laurent. Le mot d’ordre est donné et la radio le répétera pendant des années : “Le pont, il nous le faut et nous l’aurons”. »

« Sur la Rive-Nord, les acteurs socio-économiques sont tous rangés derrière le projet », poursuit M. Roy. Sur la Rive-Sud, ce n’est pas la même histoire. On craint que ce pont ne profite qu’au Grand Trois-Rivières : « Le destin se charge alors de répondre à leur interrogation. En 1955, deux fois de suite, des catastrophes frappent la petite ville de Nicolet : incendie majeur en mars et glissement de terrain en novembre. Dans son analyse des deux événements, Le Nouvelliste tire une conclusion très claire : les secours venant de Trois-Rivières seraient arrivés bien plus rapidement, si seulement il y avait eu un pont ! »

La Chambre de commerce trifluvienne forme un comité en 1953 dont le mandat est de présenter un projet. La Corporation du pont de Trois-Rivières est constituée en 1956; le gouvernement Lesage garantit en 1962 un emprunt de 30 millions $. « La mobilisation des années cinquante deviendra le grand chantier des années soixante », conclut François Roy.

Un grand pont pour 50 millions $

Les travaux débutent le 15 mai 1964. Un tragique accident doit être rappelé : le 7 septembre 1965, un caisson sous pression cède et cause la mort de 12 ouvriers et celle d’un plongeur qui a tenté de repêcher les corps. En 1966, le gouvernement Johnson doit avancer 20 millions $ supplémentaires. Le pont, qui aura coûté au total 50 millions $ (autres temps, autres coûts), est inauguré le 20 décembre 1967. Il portera le nom du fondateur de Trois-Rivières, Laviolette (dont on ignore le prénom), un des compagnons de Champlain.
Le pont a été conçu par le bureau d’ingénieurs-conseils Georges Demers. La construction a été confiée aux entreprises McNamara et Dufresne (piles), Dominion Bridge (charpente d’acier) et Simard et Beaudry (asphaltage).

Le pont Laviolette, Trois-Rivières, Québec. CR : Philippe Muratori

50 ans plus tard

Mais ce pont vieillit-il bien ? Sur le site de Radio-Canada, on a pu lire, il y a quelques années que « les fissures se multiplient à un rythme préoccupant sur le pont Laviolette ». À l’emploi du ministère des Transports du Québec depuis 1987, ingénieur et inspecteur du pont Laviolette, Philippe Muratori connaît ce pont mieux que personne. Il explique dans une langue un peu technique, mais avec suffisamment de clarté pour qu’un profane puisse comprendre, qu’à l’extrémité des entretoises, qui servent à répartir les charges entre les éléments porteurs principaux, à l’endroit où la semelle s’interpose, il y a une zone de concentration des contraintes. « C’est un problème pour plusieurs structures à longue portée », remarque l’ingénieur, qui ajoute que ces « problèmes se sont manifestés sur les ponts aux États-Unis avant ceux du Québec, parce que la circulation y est plus dense et donc les contraintes plus grandes. »

Haut perché sur les structures du pont Laviolette. CR : Josée Roy

« La première solution appliquée, poursuit l’ingénieur, a été de réparer grâce à des soudures, c’est-à-dire d’immobiliser davantage l’assemblage. » On s’est aperçu qu’il fallait faire exactement le contraire. La correction devait consister à assouplir l’assemblage et non à le raidir encore plus, ce qui empêchait les contraintes de se dissiper.

On a réalisé des essais des chargements et placé des capteurs à l’extrémité des entretoises : « On a ainsi validé, note Philippe Muratori, un modèle mathématique en vue de la réparation des entretoises » : « Avec la Direction des structures, on finalise le design, ajoute-t-il; le problème sera réglé : 208 extrémités d’entretoises seront corrigées ».

« C’est dans les années 1950 que les médias font la promotion d’un espace économique qui recouvrirait les deux rives du Saint-Laurent. Ce nouvel espace régional, les médias lui ont déjà trouvé un nom : “Cœur-du-Québec”. Il faut ensuite aller plus loin et créer un lien solide entre ces deux rives, c’est-à-dire un pont sur le Saint-Laurent. Le mot d’ordre est donné et la radio le répétera pendant des années : “Le pont, il nous le faut et nous l’aurons”. » — François Roy, ancien directeur du service des communications de la Ville de Trois-Rivières

Et dans 50 ans ?

Combien d’années de vie utile aura encore ce magnifique pont, d’une élégance rare dans les ouvrages d’art québécois ? « Ça dépend de l’entretien et de l’augmentation des charges, répond l’ingénieur. En 2005, 2006, 2007, on a réalisé de gros travaux : on a remplacé les dalles d’origine, sauf celle de la partie centrale. Elle aussi sera remplacée. »
Sa prédiction est aussi ferme qu’optimiste : « On a fait au MTQ des projections de circulation. On va connaître des congestions sur le pont à Trois-Rivières dans 50 ans. Dans 50 ans, le pont aura 100 ans et il sera encore là. » •