Condition essentielle et condition accessoire dans le cadre d’une soumission
Avis de Cour / chronique juridique
Chronique juridique / Avis de cour
Le 20 mai dernier, la Cour supérieure dans Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de) (1) rendait une importante décision relativement à la discrétion du donneur d’ouvrage dans le cadre de l’analyse de la conformité des soumissionnaires d’appels d’offres.
Par Émilie Truchon, avocate à l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ)
Dans cette affaire, deux entrepreneurs ont présenté des demandes d’injonction contre la Ville de Montréal, prétendant qu’elle les avait injustement disqualifiés des appels d’offres et demandant d’interdire à celle-ci que les contrats soient octroyés à d’autres entreprises. La Cour supérieure a ordonné à la Ville de Montréal de ne pas octroyer les contrats liés aux appels d’offres à des soumissionnaires autres que ces deux entreprises.
La clause contenue dans les appels d’offres qui faisait l’objet de débats portait sur la qualification des soumissionnaires quant à l’expérience requise pour exécuter les contrats. La question sur laquelle le juge devait se prononcer était de déterminer si l’omission de transmettre des informations complètes quant à leur expérience, lors du dépôt ou avant l’ouverture des soumissions, constituait une irrégularité majeure ou mineure.
La clause en litige prévoyait essentiellement que le soumissionnaire devait avoir exécuté, au cours des cinq dernières années, un minimum de deux contrats de même nature dans un milieu urbain et sur une artère fortement achalandée dont la valeur minimale du coût des travaux soit de 10 millions $. Une lettre d’attestation était requise à cet effet.
Les documents d’appel d’offres comportaient aussi un article à l’effet que le donneur d’ouvrage pouvait, après l’ouverture des soumissions, requérir du soumissionnaire tout document lui permettant de vérifier l’identité de ce dernier ainsi que toute information supplémentaire lui permettant d’évaluer ladite soumission.
D’entrée de jeu, la Cour fut d’avis que la clause d’expérience précitée était ambigüe et devait être interprétée en faveur des soumissionnaires. Il a donc été admis que les deux entreprises poursuivantes satisfaisaient cette condition essentielle, toutefois cette expérience n’avait pas été relatée conformément aux exigences prévues.
D’entrée de jeu, la Cour fut d’avis que la clause d’expérience précitée était ambigüe et devait être interprétée en faveur des soumissionnaires.
De l’avis de la Cour, le non-respect d’une condition essentielle constitue une irrégularité majeure susceptible d’entraîner le rejet de la soumission alors que le non-respect d’une condition accessoire constitue une irrégularité mineure qui peut être régularisé dans le cadre de l’exercice d’une discrétion.
La Cour conclut en l’espèce qu’il s’agissait d’une irrégularité mineure. Qui plus est, en vertu de la clause 6.2 des Instructions aux soumissionnaires, elle fut d’avis que la Ville de Montréal avait la discrétion de procéder à la correction de cette irrégularité. Elle a souligné qu’en présence d’une clause qui lui permet de passer outre aux irrégularités mineures, un donneur d’ouvrage se doit de tenir compte de l’intérêt des contribuables qui dicte de choisir la plus basse soumission pour éviter de dépenser les fonds publics. En effet, elle a noté que l’acceptation des soumissions corrigées aurait permis de faire économiser aux contribuables montréalais près de 2 millions $.
Les demandes en injonctions permanentes furent donc accueillies et les deux entreprises déclarées les plus bas soumissionnaires conformes aux appels d’offres visés.
Il faut préciser que si les documents d’appels d’offres permettaient à la Ville d’exercer une discrétion l’autorisant à passer outre ou non à certaines irrégularités, il demeure que les donneurs d’ouvrage ont en tout temps le devoir d’appliquer ce pouvoir discrétionnaire de façon équitable et de traiter tous les soumissionnaires sur le même pied. •