MAGAZINE CONSTAS

La Gestion responsable du risque

Mieux évaluer et anticiper les risques grâce à une approche collaborative  

Grands projets de construction

Pour qu’un grand projet de construction soit un succès, la gestion responsable du risque apparaît comme une solution de plus en plus adaptée qui se doit de comporter un axe social, économique et environnemental.

Les risques et incertitudes ont toujours fait partie de la réalité des grands projets de construction. Que ce soit la pénurie de main-d’œuvre, les dangers pour la santé et la sécurité ou des imprévus techniques, les acteurs du secteur ont été habitués à devoir anticiper ces enjeux. Or, ces deux dernières années, le monde a été bouleversé, apportant des problématiques supplémentaires notamment en matière d’inflation et de bris dans les chaines d’approvisionnement. Pour faire face à ce nouveau contexte instable, optimiser sa gestion des risques devient une étape incontournable pour les donneurs d’ouvrage.

Par Elsa Bourdot

Chantale Germain, gestionnaire chez Hydro-Québec, et membre du conseil d’administration de l’Association for Advancement of Cost Engineering international (AACEi), section Montréal.

La gestion des risques des grands projets de construction a toujours représenté un enjeu primordial. Savoir les identifier et les évaluer est une étape essentielle avant de démarrer un projet. L’association internationale en ingénierie des coûts, ou Association for Advancement of Cost Engineering international (AACEi), documente les meilleures pratiques en la matière dans ses « Recommended practices* » En effet, les conséquences pour le commanditaire peuvent être nombreuses, quoique les plus importantes concernent le dépassement des échéances et les dépassements de coûts.

Parmi les risques connus et souvent anticipés, on compte l’acceptabilité sociale (c’est-à-dire la façon dont la société civile perçoit le projet et son impact sur le milieu) et les risques géologiques. « Même en faisant des investigations, on a toujours des surprises ! Il faut être capable d’identifier les risques, de les quantifier et de prioriser les mesures de mitigation applicables », avertit Chantale Germain, gestionnaire chez Hydro-Québec, et membre du conseil d’administration de l’Association for Advancement of Cost Engineering international (AACEi), section Montréal.

Pour ce qui est de l’inflation, il s’agit d’un facteur de risque connu, mais jusque-là assez peu pris en compte, car elle ne représentait pas une réelle problématique au Québec. Or, le contexte actuel a redonné de l’importance à ce facteur de risque et le secteur de la construction doit désormais en tenir compte dans la planification d’un projet.

L’audace est une autre des valeurs essentielles de la gestion responsable du risque. « Il faut oser faire les choses différemment pour atteindre les objectifs plus efficacement », affirme Chantale Germain. 

« Au Brésil, où l’inflation est un enjeu depuis plusieurs années, ils ont intégré une obligation réglementaire. Les donneurs d’ouvrage et les fournisseurs ont l’obligation d’analyser et de lister l’ensemble des risques pour ensuite définir les mesures à prendre et l’implication de chacun. C’est cette transparence entre les parties prenantes qui est primordiale pour mieux anticiper les risques, c’est l’un des outils de la gestion responsable du risque », explique Chantale Germain.

Les valeurs et les outils de la gestion responsable du risque

Pour qu’un grand projet de construction soit un succès, la gestion responsable du risque apparaît comme une solution de plus en plus adaptée qui se doit de comporter un axe social, économique et environnemental. Ces 3 aspects sont rattachés à des valeurs: efficacité, intégrité, audace, solidarité, agilité, dévouement, transparence (des notions que Chantale Germain a pu approfondir lors de sa formation sur le management responsable à l’Université Laval).



Ces valeurs sont interconnectées lors d’un grand projet de construction. En effet, « quand on parle d’efficacité par exemple, on fait référence au fait d’atteindre des objectifs. Les objectifs étant différents pour l’entrepreneur et le donneur d’ouvrage, il est important de faire preuve de transparence afin de connaître clairement les objectifs de chacun mais aussi de faire preuve de dévouement à travers de possibles sacrifices de part et d’autre des acteurs, et ce, pour le bien commun. Respecter ces valeurs crée une synergie positive dans le projet», précise Chantale Germain.

Concrètement, cela se traduit par la mise en place d’une grille claire du partage des risques permettant de mettre à plat les informations. C’est l’occasion de favoriser des discussions qu’on aurait vraisemblablement évité dans le passé au sujet des risques encourus par chacun.

L’aspect relationnel est aussi un volet important. «Avant que ne commence concrètement le contrat, une charte décisionnelle permet de déterminer clairement la façon de procéder en cas de litige.»

Enfin, l’audace est une autre des valeurs essentielles de la gestion responsable du risque. « Il faut oser faire les choses différemment pour atteindre les objectifs plus efficacement. »

 

Le contrat collaboratif, une évolution incontournable pour le succès des grands projets de construction

Aujourd’hui, la gestion responsable du risque est loin d’être la norme au Québec. « On met souvent en place des solutions une fois qu’on est face au problème. Jusqu’ici, il n’y avait pas de réel intérêt pour nos entreprises à suivre ce modèle. Or aujourd’hui, les problèmes se multiplient et font surgir des préoccupations qui mènent à la recherche de solutions et d’outils pour limiter les nouveaux risques», ajoute Chantale Germain.

Cela passe par un nouveau fonctionnement en termes de contrats, les modèles actuels étant de moins en moins adaptés à cette nouvelle réalité. « Plusieurs grands donneurs d’ouvrages font le même constat : ils sont moins attractifs qu’auparavant face à des acteurs privés qui ont pu bouger plus rapidement leur mode contractuel et qui peuvent travailler plus facilement en mode collaboratif. »

Les donneurs d’ouvrage publics sont freinés par des contraintes légales. La réglementation doit d’abord changer pour faire évoluer les contrats des donneurs d’ouvrage publics vers un fonctionnement collaboratif où tous les acteurs sont contractuellement liés pour la réussite du projet.



Lors d’un contrat collaboratif, le résultat final et la qualité de l’ouvrage priment face aux intérêts individuels. Les différentes parties prenantes travaillent ensemble et cherchent à optimiser leurs forces pour une meilleure efficacité écologique, sociale et économique lors de toutes les phases de la construction. En cas de problème, ils doivent continuer à coopérer pour le résoudre.

Cette approche favorise des relations durables et une meilleure réussite des projets. « Lorsqu’on travaille de façon collaborative, en se souciant des objectifs de l’un et de l’autre et de la qualité finale de l’ouvrage, on bâtit ensemble sur le long terme », conclut Chantale Germain. ■

* 67R-11, 68R-11, 72R-12. Recommended Practices (aacei.org)