MAGAZINE CONSTAS

La violence conjugale et le travail

Reconnaître la violence conjugale et agir

Les différentes formes de violence ont en commun une volonté de contrôle, qui s’exprime par une panoplie de mécanismes mis en place dans la relation afin de manipuler, de dominer, de dégrader la personne et de limiter sa liberté.

Depuis le 6 octobre 2021, la loi québécoise oblige les entreprises à protéger les travailleuses et travailleurs qui vivent une situation de violence physique ou psychologique, dont la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel.

Pascaline David

Arina Grigorescu, chargée de programme pour le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, qui a une mission d’éducation, de sensibilisation et de défense de droit des femmes et enfants victimes de violence conjugale.

On estime qu’une travailleuse canadienne sur trois est ou a été victime de violence conjugale. Les conséquences dépassent largement la sphère privée. La nouvelle obligation, ajoutée à l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, implique d’identifier et de contrôler les risques liés à la violence conjugale en milieu professionnel. Mais cette nouvelle obligation ne donne toutefois pas le droit à l’employeur de s’immiscer dans la vie privée de la victime, de la forcer à lui dévoiler sa situation, ni d’en faire part au reste du personnel.

Pour déconstruire les mythes et accompagner les entreprises dans ce processus complexe, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a lancé le programme Milieux de travail alliés contre la violence conjugale. Selon l’organisme, les collègues, les syndicats et les directions font partie de la solution. Il est donc fondamental de les sensibiliser.

Le contrôle coercitif

Avant tout, il s’agit de comprendre ce qu’implique la violence conjugale, qui touche principalement les femmes — elles représentent 80 % des cas rapportés à la police. « Ce n’est pas une chicane de couple, mais une série d’actes répétés qui peuvent s’aggraver au fil du temps, comprenant des agressions verbales, physiques, psychiques, voire sexuelles », dit Arina Grigorescu, chargée de programme pour le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale.

Ces différentes formes de violence ont en commun une volonté de contrôle, qui s’exprime par une panoplie de mécanismes mis en place dans la relation afin de manipuler, de dominer, de dégrader la personne et de limiter sa liberté. « Ce sont souvent des règles sournoises qui vont changer constamment, comme demander à la personne de l’appeler dix fois par jour, puis finalement le lui reprocher », explique Arina Grigorescu. La victime n’aura pas le droit de voir telle personne, de sortir à tel endroit ou bien d’avoir accès à de l’argent, aux clés de la voiture, etc.

Au travail, certains signes peuvent être identifiés. Si une personne reçoit de très nombreux appels ou messages textes personnels, si son conjoint passe fréquemment la voir au bureau, ou bien l’attend à la sortie, elle est peut-être victime de violence conjugale. Un comportement anxieux, l’absentéisme ou un changement dans la ponctualité, l’isolement du reste de l’équipe, le repli sur soi, la perte d’efficacité et de concentration peuvent également être des éléments révélateurs.

La bonne personne-ressource adopte une attitude neutre, sans préjugés, afin d’être à l’écoute de la victime et de la comprendre. « Il s’agit d’éviter de victimiser la personne à nouveau, poursuit Arina Grigorescu. Il faut, au contraire, lui redonner du pouvoir afin qu’elle croie en elle. »

Le rôle des collègues et de la direction

Une telle situation peut créer une ambiance toxique et des frustrations chez les collègues et la direction, qui ne savent pas toujours comment réagir. En plus des effets délétères sur les victimes, la violence conjugale nuit au climat de travail et soulève de véritables enjeux de sécurité pour l’équipe. « Lorsqu’on remarque des signes de violence conjugale chez une collègue ou qu’elle se confie directement, il faut d’abord se demander si on est la bonne personne-ressource ou pas », souligne la chargée de programme.

La bonne personne-ressource adopte une attitude neutre, sans préjugés, afin d’être à l’écoute de la victime et de la comprendre. « Il s’agit d’éviter de victimiser la personne à nouveau, poursuit Arina Grigorescu. Il faut, au contraire, lui redonner du pouvoir afin qu’elle croie en elle. » En effet, les victimes prennent souvent des décisions influencées par la peur et se sentent piégées par l’emprise construite progressivement autour d’elles.

Le moment de la séparation avec le conjoint est critique en ce qui a trait à l’escalade de violence. C’est généralement après une rupture que surviennent les féminicides. Si une employée vient de se séparer d’un conjoint violent et qu’elle se sent en danger, il peut être pertinent d’établir un plan de sécurité à l’interne. Ce plan devra être établi en fonction des besoins et des
réalités de chaque personne. Par exemple, il est possible de planifier, pour une employée menacée, un accompagnement, par un collègue ou un agent de sécurité, de la sortie du bureau jusqu’à sa voiture.

En télétravail, les situations de violence conjugale sont aggravées. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, « le télétravail donne des moyens supplémentaires de contrôle de la victime de violence conjugale et peut interférer avec la prestation de travail ». Pour soutenir une victime dans ce contexte, il faut tenter de garder le contact en l’appelant ou en lui écrivant régulièrement ou en lui offrant la possibilité de venir travailler au bureau. ■


BESOIN D’AIDE OU D’INFORMATION ?