MAGAZINE CONSTAS

Le projet de loi no 12 est maintenant en vigueur

Rencontre avec Yves Trudel, président-directeur général de l’AMP

Autorité des marchés publics

La loi prévoit que l’AMP peut faire enquête sur toute question se rapportant à sa mission de surveillance des contrats publics. 

Quelles sont les conséquences du projet de loi no 12, en vigueur depuis le 2 juin 2022, sur les entreprises québécoises ? Nommé président-directeur général de l’Autorité des marchés publics (AMP), le 15 juin 2020, par l’Assemblée nationale du Québec, Yves Trudel, qui a œuvré presque trois décennies au sein de la haute fonction publique et de la Sûreté du Québec avant de rejoindre l’AMP, a bien voulu débrouiller pour nous les répercussions qu’aura cette nouvelle loi sur les entrepreneurs du Québec.

Par Jean Brindamour

L’intitulé de la Loi 12 constitue déjà tout un programme : « Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics ». « Vous avez noté, souligne Yves Trudel, que cette loi parle de renforcer le régime d’intégrité des entreprises. Pour réaliser notre mission et en arriver à ce que ce soit seulement les entreprises intègres qui obtiennent les contrats dans les marchés publics, il nous fallait avoir des moyens additionnels. Nous avions besoin de nouveaux pouvoirs pour accomplir pleinement notre mission selon les attentes des élus et de la population en général. Bien que la création de l’AMP ait été un très grand pas en avant, le constat a été rapidement fait qu’il nous manquait des pouvoirs si l’on voulait atteindre notre objectif d’établir de la transparence et une saine concurrence dans les marchés publics. C’était assez facile jusqu’ici pour les entrepreneurs d’obtenir des contrats sous les seuils de
5 millions $.»

Le PDG de l’AMP Yves Trudel (au centre) en compagnie de Gino Francoeur, vice-président à l’administration, et de Me Nathaly Marcoux, vice-présidente à la surveillance des marchés publics.

Les nouveaux pouvoirs

L’AMP pourra désormais vérifier l’intégrité de toute entreprise en relation contractuelle avec l’État, qu’elle détienne ou non une autorisation de contracter. « Cette mesure, indique Yves Trudel, nous accorde un pouvoir d’action additionnel auprès des entreprises qui soumissionnent pour un contrat sous les seuils visés par une autorisation et qui échappent actuellement à toute vérification d’intégrité. On s’est d’ailleurs aperçu qu’au-delà de 1300 entreprises qui voulaient obtenir des contrats au-delà des seuils ont retiré leur demande d’autorisation avant la vérification d’intégrité. Cela nous a laissés un peu perplexes. »

« Notre but n’est pas de sanctionner les organismes publics. On veut ultimement changer la culture, mais c’est une culture qui existe depuis 50 ou 75 ans, et on ne pourra pas la changer du jour au lendemain. Notre approche se veut essentiellement collaborative, et nos décisions se veulent d’abord éducatives. Nous souhaitons travailler de façon proactive, pour qu’un organisme public où l’on a constaté des manquements puisse les corriger en amont. » Yves Trudel

La loi prévoit que l’AMP peut faire enquête sur toute question se rapportant à sa mission de surveillance des contrats publics. « Cette surveillance, explique Yves Trudel, s’étend aux entreprises qui ont un contrat ou un sous-contrat public d’approvisionnement, de services ou de travaux de construction, sans égard à la valeur des contrats ou des sous-contrats. On a maintenant des pouvoirs de commissaire enquêteur qui obligent les responsables des entreprises sous enquête de répondre aux questions et de fournir les renseignements demandés. Avant de refuser la délivrance ou le renouvellement d’une autorisation de contracter dans les marchés publics, l’AMP aura le pouvoir d’imposer aux entreprises les mesures correctrices qui lui permettront de satisfaire aux exigences d’intégrité. » Un accompagnement peut également être considéré: « Au niveau de l’accompagnement, on peut par exemple demander que la gouvernance soit revue ou que la comptabilité soit refaite. Dans d’autres cas, une surveillance des travaux d’une entreprise qui n’a pas respecté les règles sera envisagée. Il faut que des entrepreneurs s’attendent à voir les enquêteurs passer du temps dans leur entreprise. Mais aucune de ces mesures n’arrive du jour au lendemain. Avant d’en arriver là, on aura échangé avec l’entrepreneur. On veut surtout travailler de concert avec l’entreprise. Les mesures coercitives ou punitives ne sont pas un point de départ. » Yves Trudel insiste sur l’importance du dialogue : « Il ne s’agit pas d’abord de punir, mais de corriger ou de réformer lorsque nécessaire, et de régulariser les situations le plus rapidement possible. »

Les interventions de l’AMP tiendront toujours compte des coûts pour la collectivité. Il ne faudrait pas que l’on perturbe sans réfléchir aux conséquences un chantier où s’édifient des infrastructures vitales pour une communauté.

Les interventions de l’AMP tiendront toujours compte des coûts pour la collectivité. Il ne faudrait pas que l’on perturbe sans réfléchir aux conséquences un chantier où s’édifient des infrastructures vitales pour une communauté. « C’est l’intérêt public qui dirige notre action, affirme le PDG de l’AMP. C’est avec cet intérêt en tête qu’on doit juger de chacune des situations qui se présente. Il est important que les contribuables aient pleinement confiance aux marchés publics. Ce sont leurs taxes et leurs impôts qui paient nos infrastructures publiques. Notre présence sur les chantiers fait en sorte que les entreprises échangent beaucoup avec nous. Depuis le 2 juin, plusieurs informations sont venues des entrepreneurs. Certains nous ont signalé par exemple que telle entreprise ne mérite pas d’être dans les marchés publics. Les entrepreneurs sont conscients de l’importance de l’intégrité. »



Raccourcir les délais

Il faut aussi signaler les bénéfices que comporte pour les entreprises le rapatriement des activités de vérification de l’intégrité des entreprises au sein même de l’AMP, jusqu’ici sous la responsabilité de l’UPAC. « L’entrepreneur a maintenant l’avantage d’avoir un interlocuteur unique, estime le PDG de l’AMP. En 2012, le mandat avait été confié à l’UPAC, notamment parce que l’AMP n’existait pas. Avec la création de l’AMP, on a accompagné les entrepreneurs dans leur démarche au moment de la demande d’autorisation. Cela prenait un certain temps, deux, parfois trois mois, pour compléter un dossier. Le dossier était alors remis à l’UPAC pour qu’il s’occupe des vérifications. Ça pouvait encore prendre un certain temps. Au total le délai était extrêmement long. Avec un seul interlocuteur, on n’aura plus besoin d’attendre un retour de l’UPAC. C’est un allègement au profit de l’entrepreneur. »

On peut se demander si l’AMP possède l’expertise et les ressources nécessaires pour ce genre d’enquêtes anciennement dévolues à l’UPAC, c’est-à-dire à un corps de police spécialisé ? « Oui, nous avons l’expertise et oui nous avons les ressources, répond sans hésiter Yves Trudel. La rigueur des vérifications d’intégrité n’a aucunement diminué. On a reçu les ressources de l’AMF [l’Autorité des marchés financiers]. On a créé un service de vérification de l’intégrité. Mais nous avons conservé les mêmes partenaires : la Régie du bâtiment du Québec, la Commission de la construction du Québec, le Registraire des entreprises du Québec et évidemment l’UPAC, qui garde le mandat de vérifier les liens avec le crime organisé ou quelque autre activité criminelle.  »

Questions discutées

Avec l’adoption de cette loi, les entreprises auront l’obligation d’attester de leur intégrité préalablement à la conclusion d’un contrat public, peu importe sa valeur. On peut craindre que ce soit là une source de lourdeur qui pourrait avoir des effets pervers. Les législateurs ont-ils considéré les dangers de congestion bureaucratique par exemple ou les risques de coûts supplémentaires, particulièrement mal venus pour les entreprises de plus petites tailles ? « Lors de la commission parlementaire, cet aspect a été considéré et on en a tenu compte. Cette obligation n’est pas encore en application au moment où je vous parle, mais je vous rassure, ce ne sera pas compliqué : il s’agira d’un simple formulaire. Il n’est pas encore en application, mais le Secrétariat du Conseil du trésor est en train de l’examiner ». On sait aussi que des amendes pourraient être imposées aux entreprises qui ne respectent pas leurs obligations. « Cet article de la loi entrera en vigueur le 2 juin 2023, indique Yves Trudel. Comme pour le formulaire, on travaille actuellement avec le Secrétariat du Conseil du trésor pour déterminer les sanctions ainsi que les montants impliqués. »



Un registre public des entreprises sanctionnées sera constitué. L’entreprise ayant payé son amende se retrouvera-t-elle indéfiniment sur un registre public ? La raison de l’amende ou de la sanction sera-t-elle spécifiée sur ce registre ? Les réponses sont à venir : « Ces points sont présentement discutés avec le Secrétariat du Conseil du trésor, rétorque le président de l’AMP : qu’est-ce qu’on inscrira dans ce registre et combien de temps resteront les noms des entreprises sanctionnées. Est-ce qu’on se contentera d’une généralité, comme par exemple « suivant un manquement, etc. ». Cela reste à voir. Je vous rappelle qu’un des principes fondamentaux de l’AMP, c’est la transparence. »

Quel impact aura l’AMP à moyen et à long terme, considérant qu’on trouvera toujours des acteurs enclins à contourner les règles ? « Notre but n’est pas de sanctionner les organismes publics. On veut ultimement changer la culture, mais c’est une culture qui existe depuis 50 ou 75 ans, et on ne pourra pas la changer du jour au lendemain. Notre approche se veut essentiellement collaborative, et nos décisions se veulent d’abord éducatives. Nous souhaitons travailler de façon proactive, pour qu’un organisme public où l’on a constaté des manquements puisse les corriger en amont. Dans l’avenir, prédit Yves Trudel, nous devrons continuer à intervenir, tout en devant s’adapter à des types de manquement nouveaux. Au bout du compte, notre objectif demeurera toujours le même : que les marchés publics, dans un contexte de saine concurrence, ne s’ouvrent qu’à des entreprises intègres. » ■


À propos de la mise en œuvre

Un plan de mise en œuvre est en cours afin d’appliquer les différentes dispositions en fonction de leur date d’entrée en vigueur. Des communications seront effectuées auprès des organismes publics et des entreprises par le biais de diverses plateformes afin de les informer des changements apportés dans la foulée de la nouvelle législation.
Source : AMP

À propos de l’autorisation de contracter

« En vertu de cette nouvelle législation, toute entreprise doit dorénavant détenir une autorisation de contracter à la date du dépôt de la soumission lorsque le contrat est visé par un appel d’offres. Et toute entreprise qui souhaite conclure des contrats publics ou des sous-contrats-publics dont le montant est égal ou supérieur à 1 M $ pour les contrats de service et à 5 M $ pour les travaux de construction doit faire une demande d’autorisation, ou veiller au renouvellement de cette demande. À partir de juin 2023, la validité d’une autorisation de contracter passera de 3 à 5 ans. Mais, toujours à partir de juin 2023, les entreprises devront faire une mise à jour annuelle des renseignements transmis à l’AMP au soutien de l’autorisation, tandis que l’obligation pour les entreprises d’effectuer une divulgation continue advenant des changements à ces renseignements restera en vigueur. » — Yves Trudel