MAGAZINE CONSTAS

Les défis techniques du REM

Rencontre avec Christian Ducharme Directeur principal ingénierie du projet du REM

Dossier Constas / Le réseau express métropolitain

On s’en doute, les défis techniques dans un projet de l’envergure du Réseau express métropolitain (REM) sont légion, et il aurait été fastidieux, voire impossible, de tous les énumérer. Seul un bref survol était envisageable. Pour ce faire, notre guide fut certainement le meilleur qu’on puisse souhaiter. En effet, Christian Ducharme, ingénieur de profession et vice-président ingénierie chez CDPQ Infra, occupe, depuis mai 2016, le poste de directeur principal ingénierie du projet du REM et les responsabilités qui lui incombent comprennent notamment la direction des activités techniques sur l’ensemble des infrastructures du REM.

Par Jean Brindamour

Le tunnel Mont-Royal, une infrastructure longue d’un peu plus de 5 km, est plus que centenaire puisqu’il a été construit en 1918. « Une fois le service d’Exo interrompu, se souvient Christian Ducharme, on a pu investiguer en profondeur l’état du tunnel. Dans la partie la plus sensible du tunnel, celle sous la rue McGill, le tunnel est construit avec une structure différente de celle sous la montagne. Sous la montagne, c’est un tunnel typique minier, avec une arche simple, assez large. On est dans le roc. Sous la rue McGill, l’approche a été différente : c’est une arche double avec des colonnes qui se rejoignent au centre du tunnel, avec deux voûtes qui vont vers les parois, construites sous un couvert de sol meuble. Il fallait une structure plus robuste pour soutenir le tout. On a investigué les colonnes au centre et c’est là qu’on a découvert que l’acier dans certains cas était plus dégradé qu’on avait anticipé, notamment pour la partie entre Sainte-Catherine et la rue Saint-Paul où l’état était encore plus dégradé. Il n’y avait pas d’enjeux de sécurité immédiats, mais on était incapable de garantir une durée de vie raisonnable de cet ouvrage. On a entrepris de changer une partie des colonnes d’acier au centre du tunnel : on les a enlevées et on a même changé la forme du tunnel à cet endroit-là sur une distance d’environ 100 mètres, pour avoir un ouvrage plus robuste qui va mieux traverser le temps. On a fait aussi des réparations ponctuelles à d’autres endroits du tunnel, mais l’intervention majeure fut la partie du tunnel entre la rue Sainte-Catherine et la rue Saint-Paul. »

REM. Octobre 2020, à l’intérieur du tunnelier, dans le poste de commande. CR : NouvLR


Le défi de la ventilation

L’ancien tunnel du Mont-Royal. CR- CDPQ-infra

Ce tunnel n’a pas été construit pour répondre aux besoins du REM, mais à ceux de trains à combustion d’une autre époque. Il fallait donc l’adapter à sa toute nouvelle fonction. Le plus grand défi technique, pour y parvenir, apparaîtra assez étonnant aux profanes. « On pourrait penser, explique M. Ducharme, que faire fonctionner des trains électriques sans diesel dans un tunnel comme le tunnel Mont-Royal, est plus sécuritaire que de faire circuler de longs trains hybrides, mais remplis de diesel, avec des milliers de personnes à bord, comme c’était le cas avant. En cas d’incendie, on peut croire que les effets sont beaucoup plus graves que pour des trains électriques. Mais paradoxalement il n’en est rien, parce qu’avec le REM, il y aura plusieurs trains dans le tunnel en même temps. Je m’explique. Imaginons un incendie sur un train. C’est hautement improbable, mais en tant qu’ingénieur, on doit le considérer comme un scénario possible. Il peut y avoir jusqu’à 10 trains dans ce tunnel. Supposons que c’est le train du milieu qui prend feu. Il faut évacuer les fumées et bien sûr interrompre le service. Je dois envoyer la fumée d’un côté. Mais j’ai dix trains dans le tunnel. Peu importe de quel côté, j’envoie la fumée, je mets en danger des passagers. Il a fallu revoir toute la façon dont la ventilation était organisée, rapprocher les puits de ventilation, séparer le tunnel en deux sur toute la longueur pour essayer de créer des zones de ventilation indépendantes. On a compartimenté le tunnel en différentes sections pour avoir des zones d’enfumage séparées et pouvoir opérer en toute sécurité. Ce fut le plus grand défi, je pense : revoir la conception de base du tunnel pour qu’il puisse accueillir plus de trains en même temps. Pour Exo, le problème était moins grand : avec un train à la fois, peu importe de quel côté on pousse la fumée, on n’incommode personne d’autres. »



Le tunnelier Alice et deux poutres de lancement

C’est le tunnelier nommé « Alice », qui a été chargé de creuser un tunnel de 3,5 km vers l’aéroport Montréal-Trudeau. Il s’agit d’une première au Québec pour ce type de tunnelier, qui creuse le roc et assemble les voussoirs du tunnel en même temps. « Cela a d’abord été difficile de lancer le tunnelier et d’atteindre notre rythme de croisière, se rappelle l’ingénieur. Les sols étaient plutôt instables. Mais une fois rentré sur le terrain de l’aéroport, ça s’est bien déroulé : aujourd’hui, on avance en moyenne 15 mètres par jour, ce qui est tout à fait acceptable et dans les normes quand on a affaire avec du roc de qualité. Par moment, on a pu en faire un peu plus : on a même atteint 27 mètres dans une journée. La moyenne de 15 mètres est un peu supérieure à celle qu’on avait anticipé. C’est un nouveau procédé au Québec qui est très courant ailleurs dans le monde et on a la chance de travailler avec des gens d’Espagne et d’Allemagne venus nous aider, puisque au Québec cette expertise n’existait pas. »

REM. Avril 2021. Poutre de lancement Marie. CR : NouvLR. Une poutre de lancement est un type de grue de chantier servant à la construction des ponts. Deux poutres de lancement en parallèle sont utilisées pour la construction de l’antenne de l’Ouest (13,5 km), de l’antenne de la Rive-Nord (1,6 km) et de l’antenne de l’aéroport (800 mètres), pour un total de près de 16 km. « C’est comme pour le tunnelier, commente Christian Ducharme, une technique très courante ailleurs dans le monde, mais une première au Québec. Elle comporte de nombreux avantages. Le plus grand est la productivité. On est capable de construire plusieurs tabliers en très peu de temps avec un minimum d’impact sur notre environnement. »


Une poutre de lancement est un type de grue de chantier servant à la construction des ponts. Deux poutres de lancement en parallèle sont utilisées pour la construction de l’antenne de l’Ouest (13,5 km), de l’antenne de la Rive-Nord (1,6 km) et de l’antenne de l’aéroport (800 mètres), pour un total de près de 16 km. « C’est comme pour le tunnelier, commente M. Ducharme, une technique très courante ailleurs dans le monde, mais une première au Québec. Elle comporte de nombreux avantages. Le plus grand est la productivité. On est capable de construire plusieurs tabliers en très peu de temps avec un minimum d’impact sur notre environnement. On n’est jamais très longtemps au même endroit, ce qui est moins incommodant pour la population. Cette fois, ce sont des gens venus d’Italie qui ont pu nous faire profiter de leur expertise. Ce qui est intéressant, c’est que pour les poutres de lancement comme pour le tunnelier, des Québécois ont maintenant acquis cette expertise. Comme ingénieur québécois, je trouve qu’on développe une belle expertise avec ce grand projet. » ■