MAGAZINE CONSTAS

CDPQ Infra : de Montréal à l’international, contre vents et marées

Entretien avec Jean-Marc Arbaud Président et chef de la direction de CDPQ Infra

Dossier Constas / Le réseau express métropolitain

« La première chose vraiment importante pour nous est de mettre en service le REM. Nos équipes travaillent fort pour pouvoir y arriver d’ici la fin de l’année. Chaque jour compte, mais on avance. La deuxième chose est certainement de réaliser des projets à l’étranger.» — Jean-Marc Arbaud

Entré à la Caisse de dépôt et de placement du Québec en janvier 2014, Jean-Marc Arbaud a rejoint CDPQ Infra, une filiale de la Caisse, dès sa création en juillet 2015. C’est en janvier 2021 qu’il a succédé à Macky Tall au poste de président et chef de la direction de CDPQ Infra, pour se retrouver ainsi à la tête du développement et de la direction du plus grand projet d’infrastructures au Canada. Il a bien voulu répondre aux questions de Constas au sujet de l’institution qu’il dirige.

Par Jean Brindamour

Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra. CR: CDPQ Infra

 

Q / Rappelez-nous, s’il vous plaît, le rôle et la mission de CDPQ Infra au sein de l’écosystème de la Caisse de dépôt, et de l’économie québécoise en général ?

R / Comme vous le savez, la Caisse a toujours un double mandat : investir et gérer du rendement pour les épargnants et, en même temps, contribuer au développement économique du Québec. On a fait le constat qu’il y a beaucoup de besoins en infrastructures au Québec. Ne pouvait-on pas contribuer à des projets d’infrastructures, en investissant et en les développant nous-mêmes ? D’où l’entente avec le gouvernement du Québec qui a permis le début du REM. Ainsi on répond au double mandat : on investit comme investisseur institutionnel et l’on participe au développement économique du Québec. Dans le cas du REM, chaque fois qu’un Québécois l’utilisera, il contribuera à son propre fonds de pension et à celui des générations futures. C’est ce que Michael Sabia appelait un cercle vertueux.

« Ce qui est unique aujourd’hui à CDPQ Infra, c’est que l’on prend tous les aspects d’un projet, non seulement la construction, mais les éléments qui l’entourent. » — Jean-Marc Arbaud

REM, janvier 2022. Pose des dernières poutres de la structure aérienne dans Pointe-Saint-Charles. CR: CDPQ Infra

 

Q / L’équipe de CDPQ Infra devait pouvoir à la fois financer des grands projets et les développer de la conception jusqu’à sa réalisation pleine et entière. Cela exige des compétences diverses, une expertise, un modèle d’affaires.

R / Ce qui est unique aujourd’hui à CDPQ Infra, c’est que l’on prend tous les aspects d’un projet, non seulement la construction, mais les éléments qui l’entourent : conception, financement, intégration avec les réseaux existants, préparation des appels d’offres, tous les paramètres du projet. Si vous regardez le REM par exemple, j’ai commencé à y travailler à l’été 2015, on l’a présenté en avril 2016, il y a eu quelques modifications et on a lancé sa construction en avril 2018 : deux ans plus tard. Si vous comparez à n’importe quel autre projet en général, pour réaliser la même chose, ça prend de 5 à 7 ans. C’est le principal avantage de notre modèle. Une partie du projet est réalisée par NouvLR, une partie par GPMM (la fourniture de trains, le système automatique et l’opération), tandis que nous, nous assurons la cohérence de l’ensemble.

REM, février 2021. Nouveau pont métallique de l’antenne Rive-Sud. installation des poutres d’acier. CR : NouvLR
(Notre photo ci-haut) REM, février 2021. Nouveau pont métallique de l’antenne Rive-Sud. installation des poutres d’acier. L’ouvrage, qui mesure 380 mètres, est courbé et passe par-dessus les voies ferrées en activité du CN ! L’Installation et le transport se sont faits en période de dégel. La zone de travail était exiguë pour accueillir l’équipement ainsi que des grues de 300, 650 et 1500 tonnes. Les levées comportaient aussi de réels enjeux : la longueur des caissons et la distance séparant les piliers a nécessité la fabrication de trois structures de soutien temporaires de 12 mètres de haut, dont un pont Acrow de 30 mètres de portée. Chaque poutre caisson devait être boulonnée rapidement afin que les grues puissent les relâcher en moins de 4 heures. L’installation s’échelonna sur plusieurs nuits de températures variables et a nécessité la remise à jour des calculs de l’alignement avec les piliers à plusieurs reprises. CR: NouvLR

Q / Vous êtes toujours partie prenante de la réalisation ?

R / Oui, on est responsable. Dans notre modèle, on est le propriétaire du projet. Par rapport à l’ancien modèle public, on doit pouvoir offrir l’ensemble des compétences qui permettront de développer entièrement un projet.

Q / Le REM a été le premier projet de cette nouvelle filiale. Il est littéralement gigantesque et ne pouvait que soulever les passions. Sait-on dans quoi on se lance quand on accepte la lourde responsabilité d’un projet de cette envergure ?



R / Jusqu’à un certain point. On a fait énormément de consultations publiques, on a beaucoup parlé avec les citoyens, mais, vu la taille du projet, on devient nécessairement un sujet d’observation. Il ne s’était rien fait au Québec de cette taille depuis 50 ans. Et je pense que c’est un des facteurs qui expliquent certaines controverses. Je vous donne un exemple : les caténaires. Il y a eu une polémique à ce sujet. Ce sont pourtant les mêmes caténaires qu’on voit sur tous les TGV en France, et qui traversent toutes les gares. Pourtant, il n’y a aucune polémique dans la presse française sur la question de mettre ou non des caténaires. Ça vient avec un réseau électrifié. Nous n’avons pas l’habitude de voir des projets d’une telle ampleur au Québec. Aujourd’hui, sur le REM, il y a plus de soixante nationalités, des experts du monde entier. Pensez-y : pour qu’un tel projet puisse se réaliser, il a fallu créer tout un réseau d’expertise et de support technologique. Sinon, ce n’aurait pas été possible.

REM, novembre 2021. Démantèlement et déplacement de la poutre de lancement Anne.CR: CDPQ Infra

 

Q / Un tel projet rappelle notre révolution tranquille. Je pense au métro de Montréal.

R / Au tout début, entre 2016 et 2018, dans la phase préparatoire, tellement complexe, j’ai parlé avec deux personnes, un architecte et un chef de travaux, qui avaient travaillé sur le métro de Montréal. Eux me disaient qu’à l’époque pour définir une station, on montrait trois plans, on faisait une réunion qui durait un après-midi et c’était fini : la décision était prise ! Ce n’est plus la même chose aujourd’hui.

« On a vécu des événements exceptionnels. Le premier a été la découverte d’explosifs dans le tunnel Mont-Royal. Ça nous a obligés à utiliser des robots pour le percement du tunnel sur cinq kilomètres et à changer toutes les méthodologies de construction. » — Jean-Marc Arbaud

Q / Et les relations avec NouvLR, comment ça se passe ? Considérant tous les imprévus que comporte un projet de cette envergure, j’imagine qu’il y a des rencontres, voire des négociations quasi permanentes.

REM. Mars 2021. Chantier de la station Édouard-Montpetit. Construction de la structure d’acier dans le puit prinicipal. CR: NouvLR

 

R / Ça prend beaucoup d’énergie à toutes nos équipes pour qu’un projet comme celui-là avance. On a vécu des événements exceptionnels. Le premier a été la découverte d’explosifs dans le tunnel Mont-Royal. Ça nous a obligés à utiliser des robots pour le percement du tunnel sur cinq kilomètres et à changer toutes les méthodologies de construction. La COVID a été un autre élément perturbateur. Ça fait quatre ans qu’on a débuté la construction du REM : on a eu deux ans de COVID ! Ensuite est venue, pour tout arranger, la guerre en Ukraine avec ses conséquences sur les marchés et sur l’inflation. Donc, oui, on a des négociations permanentes. Mais on travaille vraiment dans un souci de partenariat et je dois dire que tous nos partenaires de NouvLR et de GPMM ont la volonté de réussir ce projet, d’en faire un succès. Parce que, pour nous tous, ce n’est pas un projet ordinaire : ce sera un événement pour le Québec d’avoir pu réaliser un projet de cette ampleur.



Q / La place de l’environnement dans les projets de construction est évidemment de plus en plus grande. Y a-t-il une politique spécifique chez CDPQ Infra concernant l’environnement au sens large ?

R / L’environnement est un paramètre fondamental de tous les grands projets. C’est certain qu’un projet de transport en commun électrique comporte un bilan carbone positif. Mais la phase de construction consomme du CO2. On s’est donc assuré d’être neutre pour la partie construction. On a notamment planté des arbres pour compenser. Ainsi, lorsque le REM sera en service, ce sera un bénéfice net. On a été aussi chaleureusement remercié au sujet de l’ancien cimetière des Irlandais [NDLR : ce cimetière rappelle le drame de 6000 Irlandais qui, après avoir fui la famine et être arrivés par bateau à Montréal en 1847, furent décimés par le typhus et inhumé dans ce cimetière]. Il fallait passer par ce site, déjà recouvert d’une voie ferrée. On a envoyé des archéologues et on a pu retrouver des restes qui témoigneront sur cette époque. Dans tout tracé, on fait attention au patrimoine. On a des normes très strictes. On surveille tous les éléments : le bruit, l’environnement (les sols contaminés sont décontaminés, les émissions de poussière contrôlées). Nos trains sont beaucoup moins bruyants que les trains lourds non électriques, mais dans les zones où il pourrait y avoir une petite émergence, on installe des murs antibruit. Une équipe s’assure que le projet se réalise en respectant toutes les conditions environnementales. L’important pour moi n’est pas simplement d’écrire ces politiques sur un papier, mais de les suivre au quotidien.

Q / Avez-vous un commentaire sur la décision du gouvernement du Québec au sujet du REM de l’Est ou du moins une mise au point sur les nombreux commentaires entendus à la suite de cette décision ?

R / On respecte la décision du gouvernement. Je pense néanmoins qu’un certain nombre de choses ont été perdues de vue par des commentateurs. On a eu énormément de rencontres et de présentations publiques : on a voulu aller jusqu’au bout et présenter notre vision architecturale ainsi que l’ensemble du projet. Mais à la fin, c’était au gouvernement de décider. Notre but n’a jamais été d’imposer un projet au public. Nous avons essayé de concevoir le meilleur projet possible et réalisable. Si j’ai rejeté publiquement l’idée d’un tunnel dans le centre-ville, c’est à cause des conditions géologiques. Ce n’est pas pour une question d’argent, mais du fait des risques incontrôlables que cette idée entraînait. On ne se lance pas dans un grand projet de ce type avec un risque qui pourrait ajouter cinq ou six ans de plus que prévu à sa réalisation.

« Dans tout tracé, on fait attention au patrimoine. On a des normes très strictes. On surveille tous les éléments : le bruit, l’environnement. Nos trains sont beaucoup moins bruyants que les trains lourds non électriques, mais dans les zones où il pourrait y avoir une petite émergence, on installe des murs antibruit. » — Jean-Marc Arbaud

Q / Au moment où l’on se parle, quelles sont les ambitions de CDPQ Infra pour l’avenir ?

R / La première chose vraiment importante pour nous est de mettre en service le REM. Nos équipes travaillent fort pour pouvoir y arriver d’ici la fin de l’année. Chaque jour compte, mais on avance. La deuxième chose est certainement de réaliser des projets à l’étranger. On a des discussions en cours auprès de différentes juridictions en Amérique du Nord. Dans le passé, on a regardé un projet en Nouvelle-Zélande, avec un partenaire néo-zélandais. Finalement, pour des raisons électorales et d’échéancier politique, le gouvernement néo-zélandais a décidé d’annuler. Mais notre volonté d’aller se positionner à l’international reste, d’autant plus que la qualité de nos équipes, la profondeur de notre compétence, nous en donnent les moyens. Même si les deux ans de COVID ont freiné cette possibilité de développement international, on compte bien y mettre de sérieux efforts cette année et dans les années à venir. ■