Les ponts de Léonard
Des ponts qui enjambent l'histoire
Plusieurs concepts d’ingénierie civile élaborés par Léonard de Vinci auront marqué notre imaginaire collectif.
On célèbre depuis 2019 les 500 ans de la mort de Léonard de Vinci, considéré comme un des grands génies de l’humanité, tant en art qu’en ingénierie. Cette commémoration célébrée à travers le monde rappelle à quel point le maître florentin était en avance sur son époque. 500 ans après sa mort, on peut constater que plusieurs de ses conceptions révolutionnaires auraient pu se réaliser s’il avait eu accès aux matériaux actuels.
par Michel Joanny-Furtin
Pensés pendant la Renaissance, plusieurs concepts d’ingénierie civile élaborés par Léonard de Vinci, révolutionnaires pour son époque et réalisables pour la nôtre, auront marqué notre imaginaire collectif : le pont pivotant, le pont à double travée, le pont démontable, le pont de la Corne d’Or, etc.
Le château du Clos-Lucé à Amboise (France) regroupe quelques-unes des inventions de son célèbre locataire. À l’invitation de François 1er, Léonard de Vinci (1452-1519) y a passé les trois dernières années de sa vie – avec dans ses bagages la Joconde ! Les 7 hectares du parc proposent des animations 3D, afin de mieux comprendre ses inventions : aéroplane, char d’assaut, automobile, hélicoptère… et certains ponts, bâtis grandeur nature d’après les dessins du maitre florentin, et dont voici quelques exemples…
Un pont tournant
Léonard de Vinci fut probablement le premier qui imagina un pont tournant, dont la principale innovation consistait à déplacer rapidement le tablier sans avoir à le soulever. Totalement mobile, ce pont tournant est installé sur une rive autour d’un pivot vertical, un pylône qui sert de point d’équilibre. Des cordes et des poulies placent le pont en parallèle de la rive d’ancrage pour laisser passer les bateaux en quelques minutes. La justesse des calculs de Léonard de Vinci précise même le nombre de travailleurs nécessaires.
Un pont à double travée
La peste avait fait de nombreuses victimes en Italie. Léonard était convaincu que la circulation ordonnée des hommes, des animaux et des marchandises préserverait l’état sanitaire des cités. Il imagina ce pont à deux niveaux de circulation, la voie basse pour les charrettes, les chevaux et les marchandises; la voie haute pour les piétons, accessible par un chemin distinct.
La structure en “triangulation” est très innovante pour l’époque. « Chaque pilier en diagonale soutient le suivant. Une technique largement répandue aujourd’hui ». Renaud Beffeyte, spécialiste d’ingénierie ancienne chez Armédiéval-CCB, écrit sur le site web de cette entreprise que cette structure « n’utilise pas le nombre d’or mais une proportion qu’affectionnait Léonard : le rapport du côté et de la diagonale d’un carré (c’est-à-dire la racine carrée de 2). On retrouve cette proportion dans le format de papier 21×29,7 cm », le format « lettre » européen.
Un jeu d’enfant
Un pont sans clou, ni vis, ni colle, tenant grâce à la gravité et la friction, mais démontable et transportable par les soldats: voilà l’idée du génie florentin. Plusieurs vidéos internet montrent comment un jeune garçon et son père construisent et démontent, tel un jeu de construction, ce fameux pont de Léonard de Vinci. Trois poutrelles de bois placées en H. En répétant ce principe, une arche se dessine qui structure un pont. Elle peut même au final constituer un cercle.
La ferme écologique du Point Clé près de Lodève (France) a bâti une passerelle du même type pour traverser les ruisseaux et accéder à ses plantations sans toucher aux arbres voisins. « Avec six bouts de bois de 2,50 m et quatre de 1,50 m imbriqués en suivant les plans de Léonard de Vinci, la structure autoportée tient seule, sans clou ni vis », explique Clément, propriétaire, diplômé en permaculture. « Cet assemblement de bois exerce une pression uniquement à la verticale, pas besoin de contrefort. Cette structure autobloquante permet une relative variation entre les poutres qui la composent », affirme-t-il sur le site internet de cette ferme permacole.
Le pont de la Corne d’Or
Souhaité par le sultan ottoman Bajazet II sur l’estuaire de la Corne d’Or, il devait relier Constantinople à la ville de Galata, devenue depuis un quartier d’Istanbul. Le génie florentin proposa un ouvrage d’art en pierre d’une conception inédite pour l’époque : un seul arc aplati, avec 43 m de hauteur libre pour le passage des voiliers.
Ce pont d’une seule enjambée, formé d’une arche plus aplatie et soutenue par un double ancrage terrestre sur chaque rive, n’avait pas de piliers reliés comme les ponts du XVe siècle : 336 mètres de long dont 280m de tablier sur une voûte en arc d’une portée de 240m. Grâce à des culées intégrées à la structure et s’évasant vers l’extérieur, ce pont, dix fois plus grand que ceux de l’époque, ne souffrait pas des vents latéraux et des mouvements d’eau ni, selon certains chercheurs, des tremblements de terre…
Grâce aux croquis retrouvés en 1952 à Topkapi, des ingénieurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ont testé avec succès une version miniature au 1/500 : 126 blocs imprimés en 3D, tenant par simple compression. « Les forces doivent se diffuser dans toute la structure », notait Léonard de Vinci. Une idée trop ambitieuse pour le prince ottoman qui refusa le risque de cette proposition, la jugeant trop complexe. Il aurait été, encore aujourd’hui, avec ses 336 m, l’un des plus longs ponts en maçonnerie du monde, dépassé seulement par le pont de Danhe, ouvert en 2001 en Chine, avec ses 356 m.
En 1996, l’artiste Vebjørn Sand reprendra à petite échelle et en épicéa norvégien lamellé-collé, le projet initial de Léonard. Cette passerelle pour piétons et cyclistes enjambe depuis 2001 l’autoroute E18 à Ås, près d’Oslo. ■