CHRONIQUE JURIDIQUE / AVIS D'EXPERT
L’augmentation des plaintes de harcèlement sexuel et psychologique, que ce soit dans l’industrie de la construction ou ailleurs, est un phénomène sociétal.
Les plaintes de harcèlement psychologique font leur entrée sur les chantiers de construction. Les employeurs connaissent-ils leurs obligations ? Pour en savoir davantage, nous avons recueilli les propos d’un spécialiste.
Par Me Jean-Sébastien Cloutier *
Les employeurs, dans une industrie à prédominance masculine où mettre en place des recours contre le harcèlement psychologique n’est pas un réflexe naturel, ont intérêt à se familiariser avec les dispositions de la Loi. Les règles et les dispositions encadrant le harcèlement psychologique ont été incorporées à la Loi sur les normes du travail en 2004. Depuis lors, elles sont incluses dans toutes les conventions collectives du Québec, même celles qui n’en font pas mention. Tous les employés du Québec, syndiqués ou non, sont protégés par ces dispositions.
Dans le contexte du mouvement #MeToo, le harcèlement sexuel est, depuis le 1er janvier 2019, spécifiquement identifié dans la Loi comme du harcèlement psychologique. Le législateur a senti le besoin de souligner et de confirmer ce qui n’était encore qu’implicite. Entre le 1er janvier 2004 et le 1er janvier 2019, on considérait dans les faits que le harcèlement sexuel constituait du harcèlement psychologique, mais ce n’était pas précisé dans la Loi.
La Loi prévoit que les employeurs en matière de harcèlement psychologique ont un certain nombre d’obligations. Ils ont d’abord l’obligation de prévenir le harcèlement. La Loi est venue aider l’employeur le 1er janvier 2019 en précisant ses devoirs en cette matière. Il est obligatoire pour les employeurs de mettre en place une politique de prévention et de gestion des plaintes de harcèlement psychologique.
Si l’employeur a fait preuve de négligence ou s’il a banalisé une plainte, cela pourrait être considéré dans les dommages qu’il aura à payer. Au bout du compte, toute négligence de l’employeur l’expose à des frais considérables.
Les employeurs doivent offrir aux employés un cadre très précis afin qu’ils sachent quoi faire en cas de harcèlement. Cela inclut la formation, l’information, mais aussi la diffusion. Car cette information, il faut la faire connaître aux employés. Il y a donc une obligation de la diffuser tant aux employés qu’aux cadres.
Les employeurs ont aussi l’obligation de faire cesser le harcèlement dès qu’une telle situation est portée à leur connaissance. Ils doivent également veiller à ce que le traitement de la plainte se fasse en bonne et due forme et qu’une enquête sérieuse soit menée avant de prendre des mesures qui peuvent aller, selon la gravité du cas, du simple avertissement jusqu’au congédiement. Une telle enquête est nécessaire si l’on ne veut pas que la mesure punitive, quelle qu’elle soit, soit remise en question par un grief syndical ou encore une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, et considérée sans motif suffisant.
La Loi ne spécifie pas en quoi doit consister une telle enquête ni qui doit la mener. Certaines entreprises ont des personnes désignées et habilitées à cette fin. De façon générale, le plus approprié est d’engager des enquêteurs privés, spécialisés dans le domaine. Les enquêtes à l’interne peuvent souffrir d’un manque d’impartialité. D’autant plus qu’un cas de harcèlement psychologique est souvent multifactoriel.
Les différentes étapes
Une plainte de harcèlement psychologique doit être déposée dans un délai de deux ans suivant la dernière manifestation de harcèlement. Son caractère confidentiel doit être évidemment respecté. Si l’enquête ou les mesures prises ne sont pas à la satisfaction du plaignant, il pourra prendre un recours contre l’employeur par un grief en harcèlement psychologique si, comme les employés de la construction, il est syndiqué **. Le jugement final est rendu par l’arbitre de griefs. L’employeur peut notamment être condamné à des dommages importants et être tenu d’indemniser la victime. Dans le cas où la victime a démissionné, sa démission peut être considérée comme un congédiement déguisé et l’employeur se voir forcer de réintégrer cette personne, avec salaire perdu. Si l’employeur a fait preuve de négligence ou s’il a banalisé une plainte, cela pourrait être considéré dans les dommages qu’il aura à payer. Au bout du compte, toute négligence de l’employeur l’expose à des frais considérables.
Parallèlement à ce recours, cette personne pourra aussi, si la situation a entraîné une maladie d’ordre psychologique, faire une réclamation à la CNESST pour lésion psychologique. Ce second type de recours permet de bénéficier des indemnisations prévues à la suite d’un accident de travail dans le cadre de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Par ailleurs, le ministre du Travail Jean Boulet a l’intention de modifier cette loi afin d’alléger le fardeau de la preuve du côté des travailleurs en ajoutant une présomption à leur bénéfice pour qu’il soit plus facile de faire reconnaître une lésion psychologique d’ordre professionnel, notamment dans le cadre de situations de harcèlement psychologique. En corollaire, les obligations de l’employeur seront nécessairement encore plus importantes.
L’augmentation des plaintes de harcèlement sexuel et psychologique, que ce soit dans l’industrie de la construction ou ailleurs, est un phénomène sociétal. L’impact mondial du mouvement #MeToo a démocratisé ce type de recours. Le message à retenir est qu’il faut prendre au sérieux ce type de situations et ne jamais les banaliser. Dans le cas contraire, ça risque non seulement de coûter cher financièrement à une entreprise, mais aussi de nuire à sa réputation, voire à celle de toute une industrie. •
* Me Jean-Sébastien Cloutier est avocat associé chez Norton Rose Fulbright (propos recueillis par Jean Brindamour).
** Un non syndiqué doit s’adresser à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).