MAGAZINE CONSTAS

Les ressources naturelles et le développement des régions

Rencontre avec Charles Milliard, président de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ)

Dossier Constas 
CARRIÈRES ET SABLIÈRES
DES RESSOURCES ESSENTIELLES

« La préoccupation de l’environnement est légitime, mais tout le monde s’entend pour reconnaître nos besoins en minéraux et en matériaux. On a trois choix en somme : 1. ces produits peuvent venir d’ailleurs, de Chine, d’Australie ou du continent africain, mais le transport sur d’aussi longues distances comporte une empreinte écologique considérable; 2. ils peuvent provenir du nord du Québec, mais les enjeux de transport demeurent élevés; 3. on peut également s’en procurer dans des régions limitrophes afin de diminuer l’empreinte écologique tout en assurant une acceptabilité sociale dans nos milieux. » — Charles Milliard

Pourvues d’abondantes ressources naturelles, les régions sont encore freinées dans leur développement par un manque flagrant d’infrastructures (ponts, routes, aéroports, etc.). Constas a rencontré Charles Milliard, président-directeur général de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), et observateur vigilant des régions, de leur potentiel économique et de leurs difficultés. Parmi les sujets abordés, le rôle et le mandat de la FCCQ, ainsi que l’importance des ressources naturelles et de l’industrie de la construction dans l’économie québécoise.

Par Jean Brindamour

« La FCCQ existe depuis 114 ans maintenant, explique Charles Milliard. L’objectif est de promouvoir le développement économique du Québec et de ses régions, et de défendre les intérêts de ses membres, des membres qui viennent des 123 chambres de commerce du Québec, mais également des membres corporatifs de la Fédération, car on est aussi la chambre de commerce du Québec : 1200 membres corporatifs plus tous les membres des chambres de commerce, cela fait 45 000 entreprises en tout. C’est ce qui fait la force de notre réseau et nous donne des antennes en région. Plusieurs associations sont sectorielles ou régionales; nous, on est à la fois tous les secteurs et toutes les régions. La FCCQ représente les entreprises et les employeurs, avec des racines partout dans les régions. »



Les comités de la FCCQ

Les comités (au nombre de 19 d’après leur site Web) constituent le cœur même de cette organisation. La majorité d’entre eux touchent à des questions d’intérêt pour l’industrie de la construction. « On est vraiment une organisation grassroots, comme on dit; les décisions se prennent au niveau du sol, par la base. Les membres qui participent aux comités de travail se rencontrent la plupart du temps à chaque trois mois, et font une sorte de scan de l’actualité et des dossiers politiques pertinents en cours. Le management, ce n’est pas moi avec deux ou trois VP qui imposent leur point de vue sur tel ou tel dossier, ce sont les membres en comités de travail. Notre mission à nous est d’être les porte-parole de ces positions et de mettre des gens à l’œuvre pour écrire des mémoires, aller en commission parlementaire, faire des sorties médiatiques, etc. Être membre de la Fédération signifie notamment que l’on peut participer aux comités de travail et ainsi influencer les positions de l’organisation. Les comités n’ont pas un rôle cosmétique : c’est là que ça se passe. »

L’économie du Québec et l’industrie de la construction

À la lumière de ces comités, quels sont les diagnostics de la FCCQ sur le développement du Québec et de ses régions ainsi que sur le rôle de l’industrie de la construction dans l’économie québécoise ? « Le focus de notre organisation, rappelle Charles Milliard, porte sur le développement économique régional. On vise à ce que toutes les entreprises puissent prospérer de façon équitable partout au Québec et que les régions aient accès à de la main-d’œuvre, à des capitaux, à des infrastructures. Réussir en région, cela signifie, entre autres, pouvoir s’y rendre facilement et il y a encore de graves problèmes d’accès, tant aériens que routiers. Le territoire canadien est immense. Le Québec est presque trois fois plus grand que la France. C’est normal qu’on ait des besoins d’infrastructures qui, par moments, dépassent notre poids relatif. Mais ce sont les infrastructures qui permettront d’occuper le territoire et de faire grandir tout le Québec en même temps. D’où l’importance d’une industrie de la construction en santé et d’une mise en valeur de nos ressources naturelles. Quand on a des problèmes dans le secteur minier ou forestier ou agricole, ce n’est pas seulement le problème de Rouyn-Noranda, de Rimouski ou de Sept-Îles, c’est un problème montréa­lais, québécois, et éventuellement canadien. »



La pénurie de la main-d’œuvre

On sait qu’une pénurie de la main-d’œuvre afflige l’ensemble du Québec, et particulièrement l’industrie de la construction et les régions en général. « La pénurie de main-d’œuvre, commente Charles Milliard, est, avec la pénurie de logements, l’enjeu de l’heure. C’est certain qu’on en a pour plusieurs années. Mais il ne faut pas s’arrêter à ce constat. Plutôt que de discuter de la date de guérison, il faut commencer le traitement tout de suite ou plutôt plusieurs traitements en même temps. Il y a eu des avancées notables en ce qui a trait à la présence des femmes dans la construction. On partait de rien et on est rendu maintenant à 3 %. Mais il reste beaucoup de progrès à faire. La contribution des communautés autochtones à la construction est encore très limitée. Il faut, plus globalement, une réforme de la construction. Il est urgent de rendre ce secteur plus flexible, plus agile pour répondre aux besoins de l’Industrie et à ceux des régions. Actuellement, il existe des blocages artificiels particulièrement dommageables. Il faudrait décloisonner les métiers (le nombre de corps de métier au Québec est à peu près quatre fois plus élevé qu’en Ontario). On doit également miser davantage sur la formation et mettre en relief les métiers de la construction : ce sont des métiers bien rémunérés, largement méconnus et peu valorisés dans le portefeuille de formations. Le gouvernement a ici un rôle de sensibilisation. Finalement, il y a l’immigration. Je suis certain que beaucoup de travailleurs étrangers seraient intéressés à venir travailler à Sept-Îles ou à Montréal. Enfin, pour compenser la pénurie de main-d’œuvre, on se doit d’augmenter la productivité et, pour ce faire, de mettre en place des méthodes plus efficientes, et cela passe par une réforme de l’industrie, ce qui rejoint mon premier point. »

« Le Québec est presque trois fois plus grand que la France. C’est normal qu’on ait des besoins d’infrastructures qui, par moments, dépassent notre poids relatif. Mais ce sont les infrastructures qui permettront d’occuper le territoire et de faire grandir tout le Québec en même temps. D’où l’importance d’une industrie de la construction en santé et d’une mise en valeur de nos ressources naturelles. » — Charles Milliard

Rencontre de la FCCQ avec le ministre du Tourisme du Canada, Randy Boissonneault. CR: FCCQ.

« Il faut, plus globalement, une réforme de la construction. Il est urgent de rendre ce secteur plus flexible, plus agile pour répondre aux besoins de l’Industrie et à ceux des régions. Actuellement, il existe des blocages artificiels particulièrement dommageables. Il faudrait décloisonner les métiers. On doit également miser davantage sur la formation et mettre en relief les métiers de la construction : ce sont des métiers bien rémunérés, largement méconnus et peu valorisés dans le portefeuille de formations. » — Charles Milliard

Les ressources naturelles

Les carrières et sablières notamment, mais aussi l’industrie minière en général, et plus largement encore tout ce qui a trait à l’exploitation des ressources naturelles, ont un sérieux problème d’acceptabilité sociale. Là comme ailleurs, le syndrome du « pas dans ma cour » règne. « Il faut avoir une santé mentale de fer, ironise le PDG de la FCCQ, quand on travaille dans l’industrie minière et dans le secteur des ressources naturelles en général. À l’heure actuelle, la bataille est beaucoup plus médiatique que rationnelle et force est de constater que l’Industrie a perdu plusieurs manches. La préoccupation de l’environnement est légitime, mais tout le monde s’entend pour reconnaître nos besoins en minéraux et en matériaux.

On a trois choix en somme :

  1. Ces produits peuvent venir d’ailleurs, de Chine, d’Australie ou du continent africain, mais le transport sur d’aussi longues distances comporte une empreinte écologique considérable;
  2. ils peuvent provenir du nord du Québec, mais les enjeux de transport demeurent élevés;
  3. on peut également s’en procurer dans des régions limitrophes afin de diminuer l’empreinte écologique tout en assurant une acceptabilité sociale dans nos milieux.

Cela me fait sourire que des gens qui ont besoin de lithium ou d’autres minéraux pour leur téléphone cellulaire ou pour leur véhicule électrique refusent que ces ressources soient exploitées au Québec, On a pourtant la chance d’être dans un endroit où, justement, existe un régime politique stable, des normes internationales et de la formation de qualité, mais les plus beaux discours ne suffisent pas : l’enjeu est politique et je déplore qu’on manque de politiciens qui se fassent l’écho de ce qu’on entend dans les régions ressources au Québec. Il faut accepter les coups de vent sur un sujet comme celui-là. Mais tout n’est pas la faute des politiciens. L’on doit rationaliser nos discussions économiques sur nos ressources naturelles et ne pas s’en tenir aux effets de toge. Le rôle des associations comme la nôtre, c’est de regrouper les intérêts, ceux des entreprises privées, des associations qui travaillent dans le secteur et aussi des gens sur le terrain dans les régions. C’est sûr que lorsqu’une entreprise fait une sortie publique sur sa mine ou son usine, cela a moins de portée que nous qui regardons les effets globaux, dans une perspective de développement économique général du Québec. Nos prises de position peuvent ainsi interpeller tous les Québécois.



Surrèglementation ?

Un comité de la FCCQ est consacré à la surrèglementation. « La réglementation, souligne Charles Milliard, est nécessaire et importante dans l’exploitation des carrières et sablières et des ressources naturelles en général. Mais le diable est dans les détails. Dans ces secteurs-là, il y a souvent un effet de sédimentation, c’est-à-dire qu’à gauche, à droite, on ajoute une petite exigence, un petit formulaire, un délai, une obligation quelconque, ce qui a pour effet qu’en bout de ligne, on se retrouve avec des délais financièrement difficiles à justifier pour des entreprises qui viennent d’ailleurs. Des études ont été menées sur l’efficience des processus d’approbation au Canada et je peux vous dire que dans les vingt dernières années, le Québec a glissé assez rapidement dans le bas du peloton. Alors, il ne faut pas se surprendre que des investissements nous échappent. Des entreprises extrêmement sérieuses, respectueuses des exigences environnementales et sécuritaires, se disent que s’il y a des délais trois fois plus longs par rapport à d’autres provinces ou d’autres pays, ils préfèrent passer leur tour. On aime se regarder le nombril, mais on oublie qu’on fait partie d’un ensemble. On n’est pas contre la réglementation. Au contraire, la réglementation garantit la qualité et la sécurité. C’est un atout. Il faut des règles claires quand il s’agit d’obtenir une approbation. Mais en combien de temps ? Trois ans ou un an et demi ? Le fait d’avoir des délais raisonnables donne un avantage compétitif. » ■