MAGAZINE CONSTAS

Pylônes électriques et SST

Hydro-Québec révise la conception et les manières de faire

Dossier Innovation et SST

« Nous en sommes à l’étape de la validation, notamment sur le chantier de la ligne à 735 kV Micoua-Saguenay, qui compte 588 pylônes sur 262 km, explique Jean-François Gravel. Les commentaires ne sont que positifs au sujet de cette nouvelle approche, surtout par les monteurs, qui nous disent qu’ils attendaient ça depuis 30 ans ! »

Hydro-Québec a complètement revu la conception de ses pylônes pour améliorer la santé et la sécurité des travailleurs sur les chantiers, en particulier celles des monteurs de ligne.

Par Stéphane Desjardins

Un pylône standard fait environ 20 étages. Travailler à ces hauteurs est dangereux, surtout lorsqu’on est suspendu par un harnais à une structure de barres d’acier galvanisé, alors que de lourdes pièces de métal se déplacent à quelques centimètres de notre corps et que le grutier est à 75 mètres sous nos pieds.

La crise du verglas de 1998 a changé bien des choses dans la culture d’Hydro-Québec, notamment la manière dont la société d’État conçoit ses pylônes. Ces structures, plus costaudes qu’avant, étaient tout de même jusqu’à tout récemment assemblées selon les mêmes techniques utilisées par les grands-parents des monteurs de ligne d’aujourd’hui.

Équipements de levage. Les dangers sont réels, car les câbles font plusieurs dizaines de tonnes. CR: Hydro-Québec

Il y a quelques années, lors de la construction des 1000 pylônes de la ligne à 735 kV de la Chamouchouane–Bout-de-l’Île, un monteur est décédé après une chute de 135 pieds, à Terrebonne. Ainsi, à la fin des années 2010, quelques décès sur les chantiers d’Hydro-Québec ont entraîné une prise de conscience et bouleversé les méthodes de conception.

« Nous avons validé avec les monteurs les points d’attache situés partout dans le pylône, notamment ceux qui servent aux équipements de levage. Les dangers sont réels, car les câbles font plusieurs dizaines de tonnes. » — Jean-François Gravel

« C’était une approche assez nouvelle pour nous : il fallait sortir de nos bureaux et aller sur le terrain pour observer le travail des monteurs de ligne, explique Jean-François Gravel, ingénieur, lignes de transport chez Hydro-Québec. Il fallait surtout comprendre comment ils effectuaient chaque tâche à chacune des étapes des travaux. On a donc organisé des tables de travail où siégeaient des représentants d’Hydro-Québec, des entrepreneurs, des concepteurs de pylônes et, surtout, des monteurs de ligne. »

Ces derniers sont au front et connaissent tous les rouages des chantiers, poursuit Jean-François Gravel, qui a lui-même suivi une formation de monteur de ligne et grimpé dans un pylône, avec des collègues, pour regarder de près les monteurs s’activer. « Nous voulions connaître leurs méthodes de travail, comment ils s’attachent ou manipulent les pièces durant un chantier, reprend-il. Ça prend une bonne dose de courage pour travailler à ces hauteurs. C’est un métier dangereux. »



Monter un pylône s’effectue en plusieurs étapes au cours desquelles il faut assembler des pièces qui doivent souvent s’emboîter à quelques millimètres près avant d’être boulonnées. Elles sont soulevées par une grue, récupérées et positionnées à bras par les monteurs. « Recréer cet assemblage en 3D sur un écran, c’est bien, mais on est loin des conditions réelles, reprend-il. Pour éviter les accidents de travail, il faut savoir où positionner le monteur pour lui permettre de travailler en sécurité, avec aisance et efficacité. Il faut tenir compte de la position des pièces, de la grue, des systèmes d’attache et du monteur lui-même. »

Jean-François Gravel donne l’exemple des conducteurs (les câbles par lesquels transite le courant) et des câbles de garde (installés au sommet et qui servent de paratonnerre ou de lien de fibre optique). Il fallait étudier la manière dont on sécurisait les monteurs et les poulies pour hisser les câbles. En fait, les monteurs utilisaient des techniques d’élingage par enroulement de câbles d’acier ou de nylon autour des membrures pour s’attacher et installer les systèmes de levage. Cette approche est dangereuse parce que les câbles pouvaient bouger, entraînant blessures ou dommages à la structure. On fait désormais appel à des manilles (une attache permanente en forme de U) pour attacher les câbles de levage.

« Nous avons validé avec les monteurs les points d’attache situés partout dans le pylône, notamment ceux qui servent aux équipements de levage, ajoute-t-il. Les dangers sont réels, car les câbles font plusieurs dizaines de tonnes. »

Révisions supplémentaires

La conception de certains assemblages de pièces et les méthodes d’installation ont aussi été revues, notamment la façon dont les quatre pieds du pylône sont reliés. L’assemblage des quatre faces de la partie centrale a aussi été révisé pour permettre un emboîtement plus précis, plus facile et moins dangereux. « Les monteurs nous ont proposé de revenir à une vieille technique d’assemblage au sol et d’utilisation de béquilles temporaires, qui élimine les instabilités et les effondrements potentiels », se rappelle l’ingénieur.

Les ancrages et les méthodes d’assemblage et de levage des pièces en K du chevalet et de l’extrémité des consoles ont été revus. De même que la façon d’accrocher et d’utiliser les lignes de vie, ces filins qui permettent aux monteurs de se déplacer verticalement et horizontalement en toute sécurité.

Les techniques de mise à la terre ont aussi été révisées, pour éviter que les travailleurs soient électrocutés par l’énergie statique ou par induction (l’énergie arrive par le sol d’une ligne en service dans les environs), tout comme les phases finales d’inspection pour vérifier si le boulonnage est adéquat partout sur le pylône. Les ingénieurs ont enfin bonifié la conception de certains ancrages destinés aux équipes d’entretien.

« Nous en sommes à l’étape de la validation, notamment sur le chantier de la ligne à 735 kV Micoua-Saguenay, qui compte 588 pylônes sur 262 km, explique Jean-François Gravel. Les commentaires ne sont que positifs au sujet de cette nouvelle approche, surtout par les monteurs, qui nous disent qu’ils attendaient ça depuis 30 ans ! » ■


Montage d’un pylône standard. CR: Hydro-Québec

Le pylône standard pour ligne à 735 kV

Le pylône en chiffres

  • Hauteur : entre 40 et 75 mètres
  • Composé de plusieurs milliers de pièces d’acier galvanisé
  • Les pièces pèsent de quelques kilos à plus de 500 kilos
  • Toutes les pièces sont assemblées sur place
  • Durée de vie de 75 à 100 ans – certains pylônes en service ont plus de 100 ans
  • Coût brut d’environ 1 M$

Étapes d’un chantier

  • Ingénierie (détermination du tracé, des sites de pylônes et du type de fondation)
  • Déboisement
  • Aménagement des chemins d’accès
  • Coulage des fondations
  • Assemblage et installation des pieds
  • Installation de la partie centrale et du treillis en K
  • Ajout du chevalet (qui supporte les consoles et le corps de garde)
  • Installation des consoles (qui retiennent les conducteurs)
  • Installation des câbles
  • Les chantiers sont actifs à l’année (certains chantiers sont facilités par des sols gelés)
  • Étapes d’installation des conducteurs
  • Construction du pylône
  • Déroulement du conducteur
  • Installation de poulies sur chaque pylône
  • Passage d’un câble de nylon, pour tirer un câble d’entraînement en acier
  • Déroulage : entraînement du câble d’acier pour installer le conducteur, par sections d’environ 5 km