Marché des contrats publics
Entrepreneurs et professionnels se font désirer
Les professionnels et les entrepreneurs ont relevé plusieurs facteurs justifiant leur baisse d’intérêt pour les contrats publics, dont certains sont perçus comme des irritants majeurs.
Plus d’une année après leur dévoilement, les résultats de la consultation visant à évaluer le niveau d’intérêt des entrepreneurs et des professionnels envers les marchés publics restent d’actualité. Les facteurs identifiés expliquant la baisse d’intérêt des soumissionnaires sont toujours au cœur des enjeux.
Par Jean Garon
Rappelons que cette consultation a été réalisée par la firme Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) en 2020-2021 auprès des membres de six associations majeures de professionnels et d’entrepreneurs de l’industrie de la construction. Elle visait à analyser l’état des marchés publics au Québec afin de comprendre les facteurs et les niveaux de risque créant une baisse d’intérêt des entrepreneurs généraux et spécialisés ainsi que des firmes d’architecture et de génie-conseil. Les résultats ont néanmoins permis d’identifier des pistes d’action à mettre en œuvre pour y faire face.
Un constat alarmant
Au cours des cinq dernières années, 38 % des entrepreneurs et 40 % des professionnels ont connu une baisse de leur intérêt à soumissionner sur les marchés publics. Et parmi les principaux donneurs d’ouvrage touchés par ce désintérêt, les municipalités figurent au premier rang (voir le tableau ci-contre).
Les petites municipalités sont particulièrement affectées, précise Jean-Philippe Brosseau, chargé de projet pour cette consultation chez RCGT. Et pour cause, explique-il, «elles ne disposent pas d’autant de ressources et d’expertise que les grandes villes pour gérer des gros projets de plusieurs millions de dollars, comme ceux visant la réfection de systèmes d’aqueduc et d’égout ou d’une usine d’eau potable ».
Les petites municipalités sont particulièrement affectées, précise Jean-Philippe Brosseau.
Il faut dire que plusieurs facteurs ont contribué à la dégradation de la situation, note-t-il, dont l’effervescence d’activité de construction dans les marchés publics où l’annonce de nouveaux projets ne cessent d’augmenter d’année en année. Ce qui permet à 82 % des professionnels et à 72 % des entrepreneurs d’écarter les donneurs d’ouvrage publics en fonction des conditions offertes. Une situation évidemment aggravée par une rareté de main-d’œuvre qui limite leur capacité à soumissionner sur les appels d’offres.
À cela s’est ajouté l’impact considérable de la pandémie de la COVID-19, laquelle a entraîné une difficulté d’approvisionnement pour certains matériaux, une volatilité dans les prix des matériaux et des retards de livraison. C’est sans compter les coûts additionnels, sans compensation, pour le maintien des mesures de sécurité en chantier.
Les enjeux en cause
Les professionnels et les entrepreneurs ont relevé plusieurs motifs justifiant leur baisse d’intérêt pour les contrats publics, dont certains sont perçus comme des irritants majeurs. C’est le cas, entre autres :
- des modalités de paiement mal adaptées;
- des clauses contractuelles peu attrayantes;
- des enjeux liés au processus d’appel d’offres;
- de la lourdeur de la gestion contractuelle;
- de la prépondérance du prix dans certains marchés.
À titre d’exemple, les délais de paiement ont un impact important chez 85 % des entrepreneurs et 73 % des professionnels. « Des études réalisées en 2014-2015 soulevaient déjà cette problématique des retards de paiement, relate Jean-Philippe Brosseau. On constate que cet enjeu n’est pas totalement réglé sept ans plus tard. »
Il en va de même de la présence de clauses abusives dans les contrats qui protègent uniquement les clients sans apporter aucune valeur ajoutée. Par exemple, les pénalités établies en proportion du contrat sont parfois disproportionnées par rapport aux dommages. Dans certains cas, les entrepreneurs choisissent d’inclure les pénalités dans leurs soumissions, ce qui a pour effet d’engendrer une hausse de prix.
Du côté des professionnels, une majorité d’entre eux (94 %) estime que les modes de sélection actuels posent aussi un enjeu, et plus spécialement dans le secteur municipal où l’évaluation de la qualité et du prix des offres donne une prépondérance au prix. À cet égard, les professionnels suggèrent d’apporter des améliorations aux critères qui définissent la qualité dans les appels d’offres, notamment en ce qui concerne la manière d’évaluer l’expérience d’une firme, l’octroi de contrats priorisé à des entreprises locales et la diversification des processus d’adjudication sous les seuils d’appels d’offres publics.
Mise en œuvre de trois actions prioritaires
Cet exercice aura finalement été utile pour identifier les causes du désintérêt d’une partie des forces de l’industrie de la construction envers le marché des contrats publics. Il aura permis aussi d’identifier les pistes d’action pour réanimer leur intérêt. Essentiellement, elles tournent autour d’améliorations à apporter pour rendre les contrats plus attractifs, faciliter le règlement des différends, instaurer de meilleures modalités de paiement et standardiser les processus de gestion contractuelle.
En fin de compte, ces pistes auront mené à l’identification de trois actions prioritaires à mettre en œuvre pour bonifier les relations d’affaires entre les donneurs d’ouvrage publics, les entrepreneurs et les professionnels, soit :
- développer une attitude collaborative;
- instaurer des paramètres pour un paiement efficace;
- indexer les taux horaires des tarifs d’honoraires des architectes et des ingénieurs.
Selon Jean-Philippe Brosseau, le message adressé aux donneurs d’ouvrage n’est pas essentiellement négatif. Il se veut plutôt constructif en visant l’amélioration de la collaboration entre partenaires et clients de manière à favoriser la réalisation de meilleurs travaux au Québec.
« Ce n’est pas que les entrepreneurs et les professionnels ne veulent plus faire affaire avec le secteur public, dit-il, c’est vraiment pour faire en sorte d’optimiser leurs relations d’affaires. »
Depuis le dépôt du rapport l’an dernier, tient-il à souligner, la situation a quelque peu évolué. Les associations ont en effet multiplié les rencontres avec les donneurs d’ouvrage publics et, de leur côté, les organisations publiques rencontrées se sont montrées ouvertes à la discussion. À preuve : la Coalition contre les retards de paiement dans la construction a fait savoir par communiqué qu’elle appuyait les constats du Rapport sur la mise en œuvre d’un projet pilote sur les délais de paiement dans l’industrie de la construction fraîchement publié par le Secrétariat du Conseil du trésor. À son avis, il reflète bien les revendications des dernières années et la réalité vécue sur le terrain. ■