MAGAZINE CONSTAS

Le transfert d’entreprise familiale en pleine pandémie

Rencontre avec l’expert Éric Dufour

« Le repli financier que subissent beaucoup d’entreprises en cette période de pandémie a de quoi inquiéter les entrepreneurs, notamment à cause des risques de perte de valorisation de leur entreprise. »

Y aller ou pas? Telle est la question que doivent se poser de nombreux chefs d’entreprise disposés à passer le flambeau. Constas a rencontré à ce propos Éric Dufour, vice-président régional et leader national en transfert d’entreprise chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Par Jean Garon

Éric Dufour

En ces temps difficiles de confinement mondial et d’interruption des activités économiques, il n’y a pas beaucoup d’indicateurs crédibles pour assurer que « Ça va bien aller ». L’expert en transfert d’entreprise estime que les chefs d’entreprise qui s’étaient engagés dans une démarche de transfert avant la Covid-19 ne devraient pas reculer. « Je conseille de ne pas retarder leur plan de transfert parce que c’est important d’attacher les personnes. C’est un bon moment pour appliquer le plan de relève, une belle occasion pour le cédant de valider le leadership des repreneurs, et pour ceux-ci de démontrer leur responsabilisation. »

Le meilleur truc qu’il peut donner pour ce faire dans le contexte actuel, c’est d’adopter une nouvelle gouvernance intégrant un conseil d’administration qui incitera la mise en place de nouveaux modes de communication afin de permettre aux gens concernés de se parler davantage autour d’une table avant de prendre des décisions. Bref, il faut faciliter la coopération dans un climat de cohabitation.

Pour Éric Dufour, ça, c’est tout un défi ! « La meilleure recommandation que je peux faire, dit-il, c’est d’y aller progressivement. D’abord, ça va faire moins mal au deuil. Puis, le propriétaire cédant sera content de se sentir utile pour donner des conseils quand on en aura besoin lors de la prise de décision. Ça permettra du même coup aux enfants repreneurs de commencer à prendre leurs responsabilités. »

Le plus grand danger à éviter, ajoute l’expert, c’est de passer outre le transfert de responsabilité. Présentement, il connaît des cas où des cédants reviennent à la barre de leur entreprise en sauveurs pour protéger leur business. Ce faisant, ils brisent ainsi des ententes quant au partage des responsabilités et de la prise de décision avec leurs repreneurs.

Péril en la demeure

Le plus grand danger à éviter, ajoute l’expert, c’est de passer outre le transfert de responsabilité. Présentement, il connaît des cas où des cédants reviennent à la barre de leur entreprise en sauveurs pour protéger leur business. Ce faisant, ils brisent ainsi des ententes quant au partage des responsabilités et de la prise de décision avec leurs repreneurs.

Il ne faut pas oublier non plus un facteur important qui complique la vie des entreprises québécoises, dont près de 85 % sont de type familial : la cohabitation des babyboomers avec les générations des X et des Y. « Il était déjà difficile de composer avec la pénurie de main-d’œuvre avant la Covid-19, explique-t-il, ce n’est pas le temps de brûler la relève de jeunes qui ne sont pas totalement prêts. Surtout quand on sait que ça prend deux à trois personnes, aujourd’hui, pour remplacer les entrepreneurs, alors que ces derniers n’ont eu en moyenne que 1,86 enfant. »



L’inquiétude du repli financier

Certes, il faut comprendre que le repli financier que subissent beaucoup d’entreprises en cette période de pandémie a de quoi inquiéter les entrepreneurs, notamment à cause des risques de perte de valorisation de leur entreprise. Pour la grande majorité d’entre eux, le fonds de pension est encore dans l’entreprise. « Pourquoi alors ne pas envisager un encaissement progressif, suggère-t-il. Dans le cas d’un transfert progressif, l’encaissement se fait aussi progressivement. »

Pour parer cette inquiétude, Éric Dufour recommande de faire une réelle réflexion sur les éléments essentiels de l’entreprise :

  • Retravailler les plans de l’entreprise en vue de l’après-Covid-19;
  • Mesurer les impacts de la crise;
  • Revoir le plan d’affaires;
  • Préparer une modélisation des revenus;
  • Réévaluer l’approvisionnement, la distribution, la main-d’œuvre, etc.;
  • Ajuster le tir afin de s’assurer que l’entreprise ne perde pas trop de valeur.


Profiter des aides financières et allègements fiscaux

L’occasion est également bonne pour réaliser le plan de relève si l’entreprise profite des leviers financiers qui ont été créés dans le cadre de la Covid-19. Éric Dufour mentionne la subvention salariale d’urgence de 75 % du gouvernement fédéral, qui vise à aider les entreprises à maintenir leurs travailleurs en poste pendant la pandémie. Il y a aussi le Programme actions concertées pour le maintien en emploi (PACME) au provincial pour aider les entreprises à former leurs employés et à se préparer à la reprise économique.

À ce propos, le spécialiste précise que les honoraires professionnels des conseillers et consultants comme lui qui aident les entreprises à former leurs gestionnaires, à bâtir et faire avancer leur plan de relève, peuvent être admissibles à l’aide financière.

Par ailleurs, il invite les entreprises familiales à considérer l’allègement fiscal pouvant aller jusqu’à 850 000 $ que procure la vente de l’entreprise à un étranger, ce qui n’est malheureusement pas le cas si elle est vendue à des membres de la famille. Il est possible de profiter de cette exonération sur une partie du gain en capital en intégrant un actionnaire qui ne fait pas partie de la famille. Ça peut être un employé ou un expert externe impliqué dans un modèle de transfert hybride. Selon Éric Dufour, 67 % des transferts d’entreprise se font sous cette forme actuellement. « En plus d’aider à assurer la relève, dit-il, ce n’est pas mauvais que les enfants repreneurs soient accompagnés par quelqu’un qui ne fait pas partie de la famille. »

En résumé, les principes qui guident le transfert de propriété et de direction d’une entreprise familiale demeurent les mêmes; il faut simplement s’ajuster au contexte de la crise actuelle. Et la meilleure approche suggérée par le spécialiste est encore de s’en remettre à un intégrateur d’expérience pour brosser le portrait complet de l’entreprise, élaborer un plan de relève concret et mettre en œuvre un plan d’action progressif tout en veillant à en faire le suivi. ■