MAGAZINE CONSTAS

L’énergie d’un avenir durable

Entretien avec Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex

Le développement durable se rapporte à ce qu’on appelle les trois P : personne, planète, prospérité. Les futurs consommateurs seront de plus en plus sensibles à la qualité de vie et aux externalités que sont les dommages à l’environnement.

Après avoir obtenu un MBA à l’Université de Sherbrooke. Michel Letellier a travaillé dans l’industrie des valeurs mobilières à Montréal. En 1997, il a joint la petite équipe d’Innergex, une entreprise fondée par Gilles Lefrançois en 1990. C’est en 2010 qu’il devient le PDG d’Innergex. En raison des succès de l’entreprise qu’il dirige, le journal Les Affaires lui a décerné le prix de PDG de l’année 2019 dans la catégorie Moyenne entreprise.

Par Jean Brindamour

Michel Letellier

Q. Innergex fête cette année son 30e anniversaire. C’est l’occasion d’un bilan, bien sûr, mais aussi d’une prospective, d’autant plus que cette année 2020 sera pour beaucoup d’entreprises, ébranlées par une crise sanitaire sans précédent, une année charnière. Quelles conséquences a eu et aura la pandémie sur Innergex ?

R. Notre modèle d’affaires est assez résilient. On est un service essentiel. L’électricité est vitale pour notre civilisation. Sans elle, pas de téléphone, pas d’Internet, etc. On a l’obligation de toujours prodiguer ce service. On a réagi rapidement quand on a constaté le sérieux de ce qui se passait en Europe. Un embryon de cellule de crise a été créé vers la fin février avec Robert Guillemette, Vice-président – Santé et sécurité et innovation technologique chez Innergex, quelques semaines avant le vendredi 13 mars, jour où tout le Québec s’est retrouvé confiné. Cela a présenté plusieurs défis à l’ensemble des opérations. Depuis le 13 mars, on opère nos serveurs à distance. Pour ma part, je n’étais pas un fan du travail à la maison. Mais le fait est qu’on aura un hybride dans le futur qui comprendra une politique active de télétravail pour tous les employés de nos bureaux à Longueuil, à San Diego, à Vancouver et à Lyon. On devra remettre en question nos voyages d’affaires : moins d’avion, plus de vidéo-conférences. Quant aux conséquences économiques de la pandémie, la consommation d’énergie a diminué. Au Canada, Innergex vend de l’électricité à Hydro-Québec, à Ontario Power Authority, à BC Hydro. Il y a eu une baisse de 5 % de la demande chez Hydro-Québec. L’économie va-t-elle reprendre de façon robuste en 2021, en 2022 ou en 2023 ? On n’en sait rien pour le moment.

 

Parc solaire Phoebe au Texas. CR : Innergex

 

Q. Innergex est un témoin et un acteur du virage environnementaliste qu’entraîne dans tous les secteurs de l’économie le réchauffement climatique. Est-ce que la pandémie actuelle, avec la baisse du prix du pétrole qui s’en suit, change la donne quant à l’importance pour les projets énergétiques de protéger les milieux naturels et de privilégier les énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité ?

R. Nous sommes dans le domaine de l’énergie renouvelable depuis 30 ans. L’énergie renouvelable a évolué pendant toutes ces années. Et elle continuera d’évoluer. Le pétrole étant plutôt utilisé dans le transport, son coût très bas pourrait retarder l’électrification des transports. Serait-ce un bon moment pour aller chercher une écofiscalité ? On peut y voir une opportunité, une occasion de financement écosocial. La pollution tue. Le smog des grandes villes a des conséquences sur la santé. Il y a une conscience et une compréhension des effets du réchauffement climatique. Le fonds souverain de la Norvège, le plus gros au monde, se désengage des énergies fossiles. Le mouvement vers les énergies renouvelables se poursuivra.

« Aux États-Unis, plusieurs États défient le gouvernement central et s’engagent à suivre l’accord de Paris. L’énergie renouvelable, on l’a noté, devient de moins en moins cher. La clé, ce sont les batteries. Grâce à la capacité de stockage des batteries actuelles, le défaut qu’avait cette énergie d’être intermittente est maintenant du passé. »

Q. Y a-t-il des progrès à venir dans le stockage des batteries ? Innergex touche-t-elle à ce domaine ?

R. Oui, il s’agit là d’un segment de notre croissance stratégique. On a travaillé, il y a deux ans et demi, sur un appel d’offres de l’état d’Hawaï : deux projets solaires couplés avec des batteries. Ces deux projets ont été acceptés et nous avons été sélectionnés pour deux autres. Ils ont misé là-bas sur le solaire, plus attrayant depuis que les batteries se sont améliorées et qu’on a pu ajouter des heures d’autonomie supplémentaires.

Centrale hydroélectrique Chaudière. CR : Innergex

 

Q. Innergex a financé et construit, dans l’état du Texas, le parc solaire Phoebe, inauguré en 2018, qui peut produire jusqu’à 315 mégawatts d’électricité et alimenter environ 53 000 résidences. Le coût de production de l’électricité par l’énergie solaire est-il compétitif ?

R. Le coût de l’éolien et du solaire diminue. Il y a cinq ans, sur une base industrielle, pour chaque panneau solaire, le coût de l’électricité revenait à 2 $ le watt. Aujourd’hui on est rendu à 0,25$ le watt. Pour les batteries, c’est la même chose. L’éolien aussi devient plus abordable. C’est pourquoi on prévoit une explosion de l’énergie renouvelable. Il est important que l’énergie renouvelable ne soit pas trop chère et qu’elle présente une offre économique comparable aux autres formes d’énergie. Le coût de revient de l’électricité avec le charbon est de 4 à 5 ¢/kWh. On peut répondre à ce défi. Et il faut aussi considérer dans les coûts les externalités. Les énergies fossiles comportent des externalités environnementales importantes.



Q. Est-ce que le solaire est appelé à se développer au Québec ?

R. Le solaire au Québec, ce sera à plus long terme. Au Québec, l’hydro-électricité est la ressource essentielle. On est gâté chez nous avec l’hydro-électricité. Des gens vont certainement installer des panneaux solaires par conviction environnementaliste, mais c’est surtout l’éolien qui a un avenir.

Q. À propos de l’éolien, on a critiqué le coût de l’électricité qu’il produit, la durabilité de ses installations… Vous pensez vraiment que ce mode de production a un avenir au Québec ?

R. Un barrage dure 60 ans ou plus. Pour une éolienne, c’est 25, 30, 35 ans tout au plus. D’un autre côté, un parc éolien est facile à remettre dans l’état qu’il était précédemment. Au Québec, on est discipliné. On met de côté les sommes jugées raisonnables et suffisantes pour reconditionner le terrain lorsque le temps est venu. C’est impossible à réaliser pour un barrage. Et les risques économiques inhérents à la construction des barrages sont plus grands que ceux de l’éolien. L’acceptabilité sociale est aussi un plus grand défi. Il est devenu de plus en plus compliqué de construire de grands barrages. Élever une éolienne, c’est assez simple. L’éolien est flexible. On peut le mettre en place graduellement. C’est plus facile d’atteindre l’acceptabilité sociale lorsque l’on partage avec les communautés et que l’on en fait des partenaires régionaux. C’est le cas avec les Micmacs pour le parc éolien situé dans la région d’Escuminac en Gaspésie. Je crois que, dans l’avenir, l’éolien jouera un rôle d’auxiliaire aux grands barrages pour nos besoins en électricité grâce à une gestion globale qui consistera en une maximisation des grands barrages, complétés par l’éolien couplé avec des batteries. L’éolien contribuera à répondre aux fluctuations dans la consommation d’énergie et à combler les demandes d’électricité dans les périodes de pointe.

Q. En terminant, un peu de prospective sur l’avenir de votre industrie et des énergies renouvelables en général : que prévoyez-vous dans les prochaines années ?

R. Ça passe par notre jeunesse. Le développement durable se rapporte à ce qu’on appelle les trois P : personne, planète, prospérité. Les futurs consommateurs seront de plus en plus sensibles à la qualité de vie et aux externalités que sont les dommages à l’environnement. Aux États-Unis, plusieurs États défient le gouvernement central et s’engagent à suivre l’accord de Paris. L’énergie renouvelable, on l’a noté, devient de moins en moins cher. La clé, ce sont les batteries. Grâce à la capacité de stockage des batteries actuelles, le défaut qu’avait cette énergie d’être intermittente est maintenant du passé. ■


Une alliance stratégique entre Innergex et Hydro-Québec.

Le 6 février dernier, Innergex et Hydro-Québec ont annoncé une alliance de calibre mondial dans le domaine de l’énergie renouvelable. Hydro-Québec a investi 661 M$ dans Innergex sous forme d’un placement privé, obtenant ainsi 19,9 % des actions de la compagnie. et s’engage, avec un montant initial de 500 M$, à participer conjointement avec son partenaire à de futurs projets d’énergie renouvelable dans le monde entier. C’est un jalon dans la mise en œuvre de sa stratégie de croissance.
Cette alliance accélérera l’expansion d’Innergex, qui pourra investir dans des projets de plus grande envergure et les diversifier. Dans un premier temps, l’entreprise prévoit utiliser 50 M$ du 661 M$ au développement de son projet solaire photovoltaïque Hillcrest de 200 MW dans le comté de Brown, en Ohio. Elle ajoute également 70 M$ pour financer l’acquisition déjà réalisée de panneaux solaires photovoltaïques totalisant 125 MW. Cela permettra à des projets représentant 650 MW d’être pleinement admissibles au crédit d’impôt à l’investissement de 30 % offert par le gouvernement fédéral américain .
Innergex projette également de consacrer environ 275 M$ pour financer l’acquisition de deux installations en exploitation, l’une aux États-Unis et l’autre au Chili, qui font actuellement l’objet de négociations exclusives avec la Société.