MAGAZINE CONSTAS

La protection des postes de transformation

Un réseau sous haute surveillance

Depuis plus de 40 ans, l’IREQ a développé un simulateur permettant de reproduire en laboratoire les perturbations affectant le réseau : l’Hypersim.

Les orages géomagnétiques sont un phénomène cyclique qui prend naissance à la surface du soleil. « Il y en a continuellement, mais tous les 11 ans – on ne sait pas très bien pourquoi ce rythme de 11 ans – le soleil passe par des phases d’activité maximale et émet alors, autour de lui, d’énormes quantités de plasma appelées vents solaires », explique Gilbert Sybille, ingénieur et chercheur à l’IREQ (Institut de recherche d’Hydro-Québec). Parfois, la terre se trouve sur la trajectoire de ces vents solaires. Ce fut le cas le 13 mars 1989 à 2h44 du matin. Un évènement dont Hydro-Québec a su tirer les leçons.

Par Michel Joanny-Furtin

Cette nuit-là, le champ magnétique terrestre a varié de façon brusque et importante. Les équipements de protection du réseau se sont alors déclenchés et la panne générale s’est produite en moins de deux minutes ! « On n’avait jamais connu un orage géomagnétique d’une telle ampleur. Ces plasmas constitués de particules ionisées ont des propriétés analogues à un énorme courant électrique»,
précise Gilbert Sybille.

« Le soleil est à 150 millions de kilomètres de la terre. Si la lumière met huit minutes à nous venir du soleil, ces particules mettent quelques jours à atteindre la terre. Le courant électrique énorme résultant de ces flux de plasma vient perturber le champ magnétique à la surface de la terre. Ce phénomène est aussi à l’origine des aurores boréales. »

AC/DC : musiques dissonantes

«Une variation du champ magnétique et du champ électrique provoque l’induction d’une tension à courant continu (DC), imprévue dans les lignes. Notre réseau est fait pour transporter du courant alternatif (AC) à 60 Hertz (60 cycles par seconde). Conçus pour une énergie en courant alternatif, les transformateurs ont horreur du courant continu », indique l’ingénieur. « Ce courant continu provoque un phénomène de saturation et crée une distorsion des formes d’ondes sinusoïdales, des harmoniques qui perturbent l’onde électrique. Les systèmes de protection détectent cette perturbation anormale et déclenchent un retrait préventif des équipements. »



Contrairement aux réseaux maillés américains ou européens, notre réseau de transport de l’électricité est très long et radial, formant comme un immense V dont les deux branches mesurent environ 1000 km, et plus de 10 000 km de lignes à 735 000 volts (735 kV) transportent l’énergie vers le sud à très haute tension dans différents corridors. Le réseau électrique du Québec est particulièrement exposé aux orages magnétiques en raison de sa longueur, qui augmente les problèmes d’induction de courant continu, et de ses latitudes nordiques parce que les orages géomagnétiques se produisent au-dessus des pôles. Scandinavie, Alaska, Russie du nord : le Québec n’est pas le seul à subir les effets des orages magnétiques. Enfin, la Belle Province repose sur un bouclier rocheux qui empêche la circulation souterraine du courant qui se fraye un chemin via les lignes électriques.

La nuit de tous les dangers

Pour transporter l’énergie sur ces corridors d’environ 1000 km, des postes de transformations et des compensateurs statiques répartis environ tous les 250 km régulent et maintiennent une tension constante de 735 kV du départ à l’arrivée. Cette nuit du 13 mars 1989, les systèmes de protection des compensateurs statiques ont perçu des distorsions anormales. En particulier, on a déterminé lors de l’analyse de la panne que les protections des bancs de condensateurs étaient trop sensibles aux harmoniques résultant de la distorsion de tension provoquée par la saturation des transformateurs. Les systèmes automatiques de protection les ont alors mis hors service. Sans ces compensateurs, le réseau est devenu instable. D’autres systèmes de protection ont alors déclenché l’ouverture de disjoncteurs qui ont séparé le réseau en deux. Panne générale : le Québec au complet était dans le noir !

Cette nuit-là, le champ magnétique terrestre a varié de façon brusque et importante. Les équipements de protection du réseau se sont alors déclenchés et la panne générale s’est produite en moins de deux minutes !

Neuf heures furent nécessaires pour remettre au complet le réseau en service : repartir les machines dans tous les postes, resynchroniser, refermer les disjoncteurs et rétablir la charge progressivement. Depuis cette panne, Hydro-Québec analyse régulièrement les événements et propose des correctifs. Plusieurs mesures ont été mises en place. « On a installé des équipements de compensation série sur les lignes : des condensateurs en série qui bloquent le courant continu et diminuent la longueur effective des lignes pour accroître la stabilité du réseau », détaille Gilbert Sybille.

Un laboratoire de simulation des phénomènes

Depuis plus de 40 ans, l’IREQ a développé un simulateur permettant de reproduire en laboratoire les perturbations affectant le réseau. Ce simulateur nommé Hypersim est utilisé pour tester en temps réel les équipements stratégiques installés sur le réseau (systèmes de protection, compensateurs statiques et interconnexions avec les réseaux voisins) et s’assurer qu’ils peuvent résister aux orages géomagnétiques.



Le renforcement du réseau, la révision des réglages des systèmes de protection et les essais massifs sur simulateur se sont révélé très efficaces pour contrer les orages. En effet, même si des orages magnétiques intenses se sont produits depuis (2003, 2011), aucun n’a causé de problème.

Un réseau sous surveillance constante

Un système d’alerte en temps réel mesure en permanence les perturbations sur le réseau électrique qui pourraient survenir durant un orage géomagnétique. « Cette mesure des distorsions et des harmoniques nous informe qu’un orage géomagnétique est en cours » reprend l’ingénieur.

« Enfin, termine Gilbert Sybille, nous avons modifié les procédures d’exploitation du réseau : en cas de perturbations, Hydro-Québec réduit le transit sur les lignes de transport et les interconnexions à courant continu, et arrête toutes autres manœuvres importantes. Plutôt que d’interrompre l’exploitation, Trans-Énergie nous demande d’étudier le phénomène au simulateur de réseau de l’IREQ pour mettre au point la correction d’un éventuel bogue puis de l’implanter dans le vrai réseau sans interrompre les exportations. » •