MAGAZINE CONSTAS

Les 50 ans de Manic-5

Une pierre blanche dans l’histoire du Québec

Au plus fort du chantier en 1963, jusqu’à 4000 travailleurs œuvreront sur le barrage. Il est encore à ce jour le plus grand barrage à contreforts et à voûtes multiples du monde.

Certains projets d’infrastructures sont destinés à devenir des symboles pour les populations qui les bâtissent.Parce qu’ils s’inscrivent au carrefour d’un faisceau d’enjeux politiques, économiques, historiques et techniques, ces ouvrages d’art concrétisent l’identité collective d’un peuple. Le 50e anniversaire du barrage Daniel-Johnson / Manic-5 est une preuve tangible de cette fierté commune. Mais aussi une étape marquante dans la prise en mains, par le Québec, de son destin.

par Michel Joanny-Furtin

Jean Lesage, René Lévesque et le premier ministre Daniel Johnson se félicitent la veille de l’inauguration prévue du barrage. Or ce dernier décède dans la nuit qui suivra ce cliché, reportant d’un an l’inauguration effective du grand ouvrage qui portera désormais son nom. CR: Archives d’Hydro-Québec

«Les projets hydroélectriques de Manic-5 et de la Baie-James sont deux histoires très différentes dans l’imaginaire québécois », commente Sylvie Laneuville, historienne et muséologue chez Hydro-Québec. « Certes la Baie-James est une fierté technique. Prouesse également technologique pour l’époque, Manic-5 s’avère d’abord une fierté lyrique pour les Québécois qui se sont appropriés ce symbole fort de la révolution tranquille. »

« Le barrage est à l’image de son époque, un colosse en marche », analyse la conseillère. La prise de pouvoir de l’État québécois sur ces ressources naturelles avait commencé au début du 20e siècle. Mais le processus s’est vraiment enclenché une première fois sous le gouvernement libéral d’Adélard Godbout en 1944 lorsque son gouvernement nationalisa la seule compagnie privée d’électricité à Montréal, la puissante Montreal Light, Heat and Power Consolidated et ses filiales pour créer Hydro-Québec, afin de donner un service de qualité au plus bas coût possible, et bien sûr de contrôler tout le processus de production et de distribution.

En rachetant en 1963 tous les distributeurs privés de la province, René Lévesque, ministre des Richesses naturelles, et le gouvernement de Jean Lesage parachèveront l’œuvre entamée par Adélard Godbout dix-neuf ans plus tôt.

Manic-5 est encore à ce jour le plus grand barrage à contreforts et à voûtes multiples du monde. CR: Archives d’Hydro-Québec

Ancré dans le Bouclier canadien

« L’année 1955 marque le début d’une campagne d’évaluation du potentiel hydroélectrique des rivières Manicouagan et aux Outardes. L’étude se termine en 1959. Dès l’automne, la construction des voies menant à Manic-5 marque le début de la plus grande réalisation hydroélectrique du Canada de l’époque », écrit Sylvie Laneuville dans le livre souvenir de l’exposition Une histoire envoûtante présentée au centre d’interprétation du Barrage Daniel-Johnson / Manic-5.

Aujourd’hui le barrage Daniel Johnson retient les 138 milliards de mètres cube d’eau d’un réservoir de 1 788 km² qui alimente, grâce à une hauteur de chute de 141,8 mètres, la centrale Manic-5, mise en service en 1970-1971 (1 595 MW), et Manic-5 PA en 1989-1990 (1 064 MW).

Menée par l’entreprise Surveyor, Nenniger & Chênevert qui deviendra SNC-Lavalin, et selon des plans finalisés par la firme française Coyne & Bélier, la construction des aménagements laisse la place aux travaux des galeries de dérivation dès la mi-mai 1961. La rivière est dérivée fin novembre. On nettoie le lit de la rivière et on réalise un curetage à sec pour assurer une meilleure place du béton. On découvre alors un sillon alluvionnaire profond de 50 m qu’il faudra complètement excaver pour ancrer le barrage dans le granit du Bouclier canadien.

Plus de 2 millions de mètres cube de béton sont requis pour réaliser le barrage. CR: Archives d’Hydro-Québec

 

Vingt-deux mois seront nécessaires pour couler 764526 m³ de ciment. « Au total, plus de 2 millions de mètres cube de béton sont requis pour réaliser le barrage, poursuit Sylvie Laneuville. Ce béton est transporté par camion, par grue et au moyen de blondins qui relient les deux rives. Le béton est coulé dans des moules de 14 m de long sur 2 m de haut afin d’en mieux maitriser la température et le séchage, grâce à des serpentins alimentés avec l’eau de la rivière », explique-t-elle.

Un projet pharaonique

Au plus fort du chantier en 1963, jusqu’à 4000 travailleurs œuvreront sur le barrage. Il est encore à ce jour le plus grand barrage à contreforts et à voûtes multiples du monde. Affichant 214 mètres de hauteur sur 1 314 m de long, il est doté de 13 voûtes et 14 contreforts. La largeur des voûtes à leur base est de 80 m, mais la voûte principale mesure 162m de large. L’épaisseur des voûtes sans les contreforts est de 3 mètres au sommet et 22,5 m à la base. Chaque contrefort a une largeur de 17 m !

Aujourd’hui le barrage Daniel Johnson retient les 138 milliards de mètres cube d’eau d’un réservoir de 1 788 km² qui alimente, grâce à une hauteur de chute de 141,8 mètres, la centrale Manic-5, mise en service en 1970-1971 (1 595 MW), et Manic-5 PA en 1989-1990 (1 064 MW).
Après 31 350 000 heures de travail, le barrage devait être inauguré le 26 septembre 1968, mais le Premier ministre Daniel Johnson meurt dans la nuit. Le barrage qui porte désormais son nom sera inauguré un an plus tard. •


MANIC 5.  Éléments de mesure…

  • Avec le béton du barrage, on aurait pu faire un trottoir qui relierait les deux pôles.
  • La voûte principale pourrait contenir l’immeuble Place Ville-Marie, à Montréal.
  • 5 millions de visiteurs d’Expo 67 ont pu suivre les travaux, filmés 24h/24 et diffusés en direct au pavillon du Québec.