Quand la sécurité au travail devient l’affaire de tous
Rencontre avec Réal Laporte, Président d’Hydro-Québec Innovation, équipement et services partagés
Le thème du 74e congrès de l’ACRGTQ, la santé et la sécurité au travail, est tombé pile cette année pour Hydro-Québec. En effet, la société d’État a entamé un virage important dans ce domaine. Pour en discuter, nous avons rencontré Réal Laporte, président d’Hydro-Québec Innovation, équipement et services partagés.
Par Jean Brindamour
L’année 2017 a été très occupée pour Hydro-Québec Équipement. « Il faut dire qu’avec des projets d’une valeur de 2,6 G$, dont 1,6 G$ uniquement en projets de transport, les chantiers ont été nombreux. Et le carnet de commandes est similaire pour 2018 », indique Réal Laporte.
« Un accident n’est jamais lié à une seule cause, c’est la somme de plusieurs éléments. Si on enlève l’une des conditions fondamentales ayant mené à l’accident, il est fort probable qu’il ne se serait pas produit. »
– Réal Laporte
La construction du Complexe de la Romaine demeure le projet le plus important en cours. « En ce moment, il y a environ huit cents travailleurs à La Romaine, note M. Laporte. Le 19 octobre dernier, M. Couillard, premier ministre du Québec, est venu inaugurer la plus récente centrale d’Hydro-Québec, la Romaine-3. Lorsque le Complexe de la Romaine sera complété, un total de 1550 MW aura été ajouté au réseau pour saisir des occasions d’exporter notre énergie propre et renouvelable chez nos voisins, contribuant ainsi à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce projet grandiose est le travail remarquable d’une grande équipe: travailleurs, ingénieurs, entrepreneurs, équipementiers, employés d’Hydro-Québec, qui nous a permis de réaliser les travaux. Il reste quelques travaux à compléter à la Romaine-3, mais le chantier de l’aménagement de la Romaine-4, dont la mise en service est prévue en 2020, est celui où est maintenant déployée la majorité des ressources. Si les travaux y sont un peu plus au ralenti l’hiver, ils repartiront sérieusement à l’été avec une pointe du nombre de travailleurs attendus en septembre. Quant aux nouveaux aménagements de production, la société d’État a indiqué que la demande en électricité, l’efficacité énergétique et l’évolution des nouvelles énergies au cours des prochaines années dicteront les orientations pour les besoins futurs. »
Une culture de la vigilance
Les travaux sur les chantiers doivent se faire avec un souci constant de la santé et de la sécurité des travailleurs. M. Laporte, qui travaille pour la société d’État depuis bientôt 30 ans, en sait quelque chose. « Les processus et mécanismes de prévention ont changé au fil des ans, mais nous avons toujours été sensibles à ce sujet. En 2010, nous avons été accrédités selon la norme OHSAS 18001 [Management de la santé et de la sécurité au travail]. L’adoption de ces pratiques nous a permis de baisser le taux de fréquence lié aux blessures au travail significativement sous la moyenne de l’industrie. Si nous avons constaté que l’application de ces nouvelles pratiques a permis de diminuer le nombre d’accidents, elle n’a pas fait disparaître les accidents graves. Bien que nous n’ayons pas connu d’accidents graves pendant quatre ans, nous en avons eu quelques-uns par la suite, dont deux mortels en 2016. Sous le leadership du conseil d’administration et de la haute direction de l’entreprise, nous nous sommes engagés dans un virage important en SST afin de s’assurer que de tels événements ne se reproduisent pas. Pour atteindre cet objectif, Hydro-Québec a fait appel à la firme de consultants ERM Canada, qui a organisé des ateliers et participé à la sensibilisation de l’ensemble des intervenants, en premier lieu à la Romaine. Sur nos chantiers on a voulu mettre tous les gens à contribution : les entrepreneurs, cadres, travailleurs, inspecteurs, sans oublier toute la direction. Plus de 4000 visites sur les chantiers ont été réalisées par notre personnel cadre au cours de la dernière année pour échanger sur la SST.
« Nous souhaitons que la SST devienne un réflexe inscrit dans nos mœurs. La vigilance doit faire partie de notre culture et la responsabilité de prévenir les accidents ne peut pas se limiter à quelques personnes. (…) L’ensemble des personnes qui s’occupent de prévention sur un chantier sont beaucoup plus efficaces qu’un seul conseiller en prévention. »
L’entreprise a aussi comparé ses pratiques SST avec des entreprises dont la performance en SST est considérée exceptionnelle, dont Rio Tinto. »
Il est ressorti des premiers constats que l’aide technique et les programmes de prévention, aussi utiles soient-ils, ne suffisent pas. Pour éviter les accidents, la vigilance et la communication entre les différents intervenants sur le chantier sont primordiales. « Vous savez, un accident n’est jamais lié à une seule cause, précise M. Laporte, c’est la somme de plusieurs éléments. Si on enlève l’une des conditions fondamentales ayant mené à l’accident, il est fort probable qu’il ne se serait pas produit. On ne réussira à éliminer les accidents graves que si tout le monde sur les chantiers se met de la partie et fait preuve de vigilance : les cadres, les ingénieurs, les travailleurs, les représentants syndicaux et même les visiteurs ».
L’approche d’Hydro-Québec vise à implanter une culture d’entreprise dans laquelle chaque personne est consciente des risques inhérents à son lieu de travail. L’entreprise souhaite que chaque travailleur puisse identifier les risques qu’il voit, sans craindre de représailles. « Quand il y a un danger, il faut le signaler et le corriger immédiatement, même si on se sent pressé par le temps, souligne M. Laporte. La sécurité doit passer avant tout. On pourrait dire que la seule façon de respecter un échéancier est de ne pas avoir d’accident. Dans une telle démarche, la responsabilité ne revient pas uniquement au contremaître ou à un conseiller en santé et sécurité au travail. On demande à chacun d’être sensible au danger. Un chantier, c’est une suite ininterrompue de transformations. Les conditions changent continuellement, de jour en jour, d’heure en heure. Par définition, on y retrouve une part de risque. Tous, qu’ils soient ouvriers, ingénieurs, contremaîtres, peuvent prendre cinq minutes et regarder dans leur environnement de travail s’il y a un danger, pour eux ou pour les autres. Chaque intervenant est donc invité à partager quotidiennement ses observations et à proposer des solutions. Nous souhaitons que la SST devienne un réflexe inscrit dans nos mœurs. La vigilance doit faire partie de notre culture et la responsabilité de prévenir les accidents ne peut pas se limiter à quelques personnes. Nous devons tous être vigilants, pour notre propre sécurité et pour celle des autres. Il ne faut jamais hésiter à parler, à dire ce qu’on voit, à s’aider les uns les autres, à partager nos observations, à s’épauler mutuellement pour identifier les problèmes de sécurité. L’ensemble des personnes qui s’occupent de prévention sur un chantier sont beaucoup plus efficaces qu’un seul conseiller en prévention. »
Devenir un exemple pour l’Industrie
Hydro-Québec a décidé de prendre le leadership en matière de SST, de devenir une référence sur les chantiers au Québec, et elle espère entraîner l’intégralité de l’Industrie dans son sillage. « Cette transformation, explique Réal Laporte, passe nécessairement par un leadership fort et une volonté de l’ensemble des partenaires. Cette culture doit mieux être intégrée dans tout le cycle des projets, à partir de la conception, en passant par les appels de propositions et l’exécution des travaux. »
M. Laporte est heureux de constater que, déjà, plusieurs entrepreneurs se sont joints à eux et contribuent à améliorer les pratiques. Les travailleurs également. « Et maintenant, conclut-il, les initiatives sont encouragées. On a choisi une approche positive et non pas punitive. On a formé des agents de changement, qui sont présents sur les chantiers, afin de soutenir ce changement de culture. Les conseillers en prévention se transforment en spécialistes, en coachs et en collaborateurs qui nous aident à analyser une situation et à élaborer des solutions plutôt qu’en policiers. On veut maximiser ainsi leur apport. On aura accompli beaucoup lorsque les intervenants sur nos chantiers agiront, en tout temps, de la même manière qu’on y soit ou non ! » •