MAGAZINE CONSTAS

Un pont et ses légendes

Quelques mythes sur le pont de Québec qui ont traversé les décennies

Comme emblème de la région de Québec et infrastructure patrimoniale témoin de notre histoire, le pont de Québec renferme sa part de mystères et de légendes urbaines. Voici à son sujet quelques mythes qui ont perduré dans le temps.

par Marie-Ève Martel

 

 

Des gens de Détroit au pont de Québec, août 1924. Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

 

Le pont du Diable

Comme bon nombre de contes et légendes du Québec, le célèbre pont reliant la capitale à Lévis a aussi eu droit à sa visite du diable ?!

« On est dans l’imaginaire traditionnel des légendes du Québec, où le diable a toujours un rôle à jouer », relate Jean-Louis Vallée, président de la Société d’histoire de Sillery.

La légende veut que le diable attende depuis plus de 100 ans pour prendre sa revanche…

Qu’on l’appelle Satan, Belzébuth ou Le Malin, le prince des ténèbres a le don de s’inviter chez les Canadiens-Français afin de les détourner du bon Dieu; on n’a qu’à penser à la pauvre Rose Latulippe, disparue après une danse… endiablée, c’est le cas de le dire, ou à nos bûcherons prisonniers de l’enfer – et de leur canot volant – dans La chasse-galerie.

Le fait que plusieurs ouvriers, dont certains étaient autochtones, usaient sans réserve de mots d’église sur le chantier du pont avait titillé les oreilles du curé Bonsecours, de la paroisse de Sillery, et aumônier des ouvriers.

Las d’entendre des blasphèmes à longueur de journée, l’homme d’Église a prévenu les travailleurs que s’ils ne cessaient pas d’insulter Dieu, le pont finirait par ne jamais être terminé.

Mais les principaux intéressés n’ont pas écouté les conseils du curé Bonsecours, si bien que le 29 août 1907, le pont s’effondra en raison d’un boulon défectueux, entraînant dans la mort 75 hommes, ne laissant que 11 survivants.

La légende veut que, dès lors, tout blasphème ait été interdit sur le chantier jusqu’à l’achèvement du pont. Plusieurs ont rapidement conclu que l’infrastructure était maudite.

Sur le pont de Québec, 10 août 1915. Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Or, l’effondrement du pont avait effrayé beaucoup d’ouvriers, et on s’est retrouvé avec une pénurie de main-d’œuvre, jusqu’au jour où un homme bien mystérieux se prétendant ingénieur s’est présenté sur le chantier afin d’offrir ses services.

Au contremaître de chantier, il a assuré qu’il pouvait se charger de la construction du pont, mais a prévenu que la première personne qui traverserait la structure devrait lui vendre son âme.

Le contremaître n’a pas semblé porter attention à cette proposition hors de l’ordinaire, puisqu’il lui a donné le contrat sur-le-champ.

Le pont fut achevé en 1917, et on l’a inauguré deux ans plus tard. Ce jour-là, le contremaître allait s’engager sur le pont, mais au moment de faire sa première enjambée, il s’est rappelé les mots de l’ingénieur, ce qui lui a glacé le sang.

Au même moment, un chat noir passait par là et a mis une patte sur l’orée du pont. Le contremaître a saisi sa chance, s’est emparé du chat et l’a lancé à l’ingénieur, qui a disparu en fumée avec la petite bête.

Une croyance populaire veut que le jonc que portent les ingénieurs soit fabriqué à partir de la structure effondrée du pont de Québec. Ce qui s’est avéré totalement faux.

Une tradition centenaire

Histoire de toujours se souvenir de l’importante responsa­bilité qui leur incombe, les ingénieurs récemment diplômés, au moment d’entrer sur le marché du travail, se livrent au rite d’Engagement de l’ingénieur, une tradition qui remonte à 1925.

Imaginée en 1922 par sept anciens présidents de l’Institut canadien des ingénieurs, qui ont ensuite formé la Société des Sept Gardiens, cette tradition consiste à leur remettre un jonc, qu’ils porteront à l’auriculaire leur carrière durant afin de se rappeler leur engagement, qui est d’assurer la sécurité du public, de même que les valeurs qui sous-tendent la noble profession d’ingénieur.

Il n’en demeure pas moins que bien des ingénieurs perpétuent cette légende [du jonc] urbaine, par ignorance ou pour le plaisir, précise Jean-Louis Vallée.

Certaines sources avancent que les premiers joncs ont été faits avec de l’acier de la structure du pont de Québec s’étant effondrée en 1907, mais cette information a été démentie par la Société des Sept Gardiens.

Un boulon d’or dissimulé

Une autre légende veut que le pont de Québec recèle dans sa structure un boulon fait d’or massif.

Or il n’en est rien, rectifie Jean-Louis Vallée. «Ça fait partie des légendes urbaines qui captivent l’imaginaire des gens», dit-il.

Des recherches documentaires et sur le terrain ont été menées au cours du siècle d’existence de la structure, mais rien ne prouve qu’un boulon d’or ait vraiment fait partie de la structure.

Compte tenu de son histoire riche et des nombreux bouleversements ayant ponctué son histoire, de sa construction à aujourd’hui, il existe bien d’autres légendes et rumeurs entourant le pont de Québec, dressé fièrement entre les deux rives du Saint-Laurent depuis plus d’un siècle. Bon nombre de ceux et celles ayant des réponses à ces questions ont emporté le secret dans leur tombe… ■

Photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec.