Les villes éponges : un modèle inspirant en Chine
Les villes éponges absorbent la pluie localement, contribuant à limiter les inondations des infrastructures
Au Québec, des autoroutes et des quartiers entiers se transforment en piscines lors de pluies intenses. En Chine, un modèle d’urbanisme novateur a émergé: la «ville éponge». Conçue pour absorber, infiltrer et évaporer l’eau sur place, elle pourrait inspirer la gestion des eaux pluviales chez nous.
par Anne Genest
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À chaque pluie extrême, certaines autoroutes deviennent impraticables. Échangeurs fermés, voitures piégées, circulation paralysée: le réseau routier peine à résister. Avec des épisodes météorologiques de plus en plus intenses, la question se pose: comment mieux penser nos infrastructures?
«Une éponge, ça retient l’eau», résume Sophie Duchesne, professeure-chercheuse à l’INRS et spécialiste de la gestion de l’eau. «Une ville éponge, c’est une ville où aucune goutte de pluie n’est rejetée, toute l’eau est stockée, infiltrée ou évaporée sur place.» Jusqu’aux années 2000, les villes étaient conçues pour évacuer l’eau au plus vite: égouts, canalisations, ouvrages bétonnés. Résultat: des cours d’eau gonflés artificiellement et des débordements fréquents.
Le modèle éponge renverse cette logique. Plutôt que de s’en débarrasser, on retient la pluie grâce à des parcs inondables, des noues végétalisées, des bassins de rétention ou des toits verts. L’eau a le temps de s’infiltrer ou de s’évaporer, allégeant la pression sur les égouts.
La Chine comme laboratoire
Le concept de ville éponge a été introduit en Chine dans les années 2000. L’objectif: lutter à la fois contre les inondations, la sécheresse et la pollution de l’eau, en misant sur des solutions basées sur la nature pour absorber et réguler les pluies. «Le programme chinois était novateur par son ampleur, explique Sophie Duchesne. Grâce à des directives nationales, on a pu intégrer ces principes dans plusieurs villes en développement rapide.»
Parcs et trottoirs éponges ont depuis prouvé leur efficacité contre les inondations, tout en réduisant les îlots de chaleur et en embellissant les espaces publics. Mais les limites sont réelles, notamment en ce qui concerne le manque d’espace dans les centres denses et les coûts élevés pour adapter des quartiers déjà construits.

Déjà des exemples au Québec
À Montréal, des fosses végétalisées bordent l’avenue Papineau. L’eau de pluie y est dirigée plutôt que vers les égouts. «C’est comme une plate-bande, mais conçue pour capter l’eau», illustre Mme Duchesne. Les racines des plantes favorisent
l’infiltration et l’évapotranspiration, réduisant la charge des réseaux souterrains.
Des aménagements similaires existent à Trois-Rivières et à Granby. Dans certains stationnements, on remplace l’asphalte imperméable par des pavés qui laissent filtrer l’eau, ou par des terre-pleins végétalisés servant de réservoirs. À Granby, un boulevard a été transformé grâce à des fossés végétalisés qui bordent la chaussée. Ces solutions discrètes montrent que même des infrastructures banales comme un stationnement peuvent contribuer à réduire les inondations.
Adapter ce modèle à notre climat soulève cependant des défis particuliers: gel, neige, sel. Longtemps, on a cru ces conditions incompatibles avec les ouvrages végétalisés. «On a vu que c’était possible, assure la professeure-chercheuse. Si on garde le couvert de neige, il agit comme isolant. Même en février, l’eau de pluie ou de fonte peut s’infiltrer.» Quant au sel, il n’endommage pas les plantes locales: «En hiver, elles sont en dormance et ne consomment pas l’eau salée.» La clé reste le choix des espèces: des végétaux capables de tolérer à la fois la sécheresse et les apports soudains d’eau.
Ces constats sont confirmés par plusieurs études menées au Québec au cours de la dernière décennie. Malgré nos hivers rigoureux, les ouvrages de gestion durable des eaux pluviales demeurent fonctionnels et efficaces.
Une ville éponge, c’est une ville où aucune goutte de pluie n’est rejetée.
— Sophie Duchesne
Routes, bénéfices et conditions de réussite
Les points bas des échangeurs et trémies sont particulièrement vulnérables. L’idée est de capter l’eau avant qu’elle ne s’y accumule. «On peut réduire les surfaces imperméables ou détourner le ruissellement vers des zones perméables, explique Sophie Duchesne. Dans certains cas, on combine ces aménagements avec des bassins souterrains qui retiennent l’eau et la relâchent progressivement.» Ces solutions hybrides, déjà appliquées dans certaines entrées et sorties d’autoroutes, montrent qu’il est possible d’adapter nos infrastructures.
Les bénéfices dépassent largement la seule gestion de l’eau. «On réduit les îlots de chaleur, on améliore l’air, et on rend les espaces plus agréables pour les piétons et les cyclistes», souligne Mme Duchesne. Réduire la largeur des rues pour aménager des fossés ou des noues signifie moins de ruissellement, mais aussi des traversées plus sécuritaires. Ces aménagements verts embellissent la ville tout en renforçant sa résilience.
On ne peut plus travailler en silos: ingénieurs, urbanistes et aménagistes doivent collaborer dès le départ.
— Sophie Duchesne
Adopter les principes des villes éponges ne se limite pas à les concevoir sur plan. Encore faut-il que les ouvrages soient bien réalisés. «Un simple décalage de pente suffit pour que l’eau n’atteigne pas l’ouvrage», avertit la professeure-chercheuse. La formation et la surveillance de chantier sont donc cruciales.
La méthode de travail doit aussi évoluer. Historiquement, urbanistes, ingénieurs et aménagistes intervenaient chacun à leur étape. Cette approche n’est plus viable. «On ne peut plus travailler en silos: tout le monde doit collaborer dès le départ.»
Les villes éponges ne sont pas une panacée, mais une stratégie efficace pour réduire les inondations et préparer les villes aux pluies extrêmes. L’expérience chinoise montre que des résultats concrets sont possibles, à condition de penser à grande échelle et de travailler de façon intégrée.
Au Québec, les premiers projets démontrent qu’il est possible d’adapter ces solutions à notre climat. En changeant notre façon de concevoir routes et quartiers, nous pourrions non seulement protéger nos infrastructures, mais aussi créer des milieux de vie plus verts et plus agréables. Pour un territoire comme le nôtre, où routes et échangeurs sont régulièrement mis à l’épreuve par les intempéries, ces solutions représentent bien plus qu’un luxe environnemental: elles constituent une nécessité. ■


