Pour que la main-d’œuvre ajoute sa pierre à l’édifice
Entretien avec Denis Hamel, vice-président – Politiques de développement de la main-d’œuvre au Conseil du patronat du Québec
Dossier Constas / Congrès 2024
Maîtriser les changements
de cette nouvelle ère
Denis Hamel indique que, d’ici 2030, près d’un travailleur ou travailleuse sur trois proviendra de l’immigration. Actuellement, ce ratio est plutôt de 20 %. « La construction est le secteur où il y a le moins de travailleurs immigrants », rappelle-t-il.
L’industrie de la construction pourrait continuer de croître en 2024. Or, comme de nombreux autres secteurs, elle est aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre qui l’empêche d’atteindre sa pleine vitesse de croisière. Quelles sont les solutions pour attirer des travailleurs et des travailleuses ?
Par Marie-Ève Martel
Selon des données compilées par Statistique Canada, un peu moins de 10 000 postes étaient à pourvoir au troisième trimestre de 2023. « C’est difficile de chiffrer précisément les besoins dans le domaine de la construction puisqu’il y a plusieurs secteurs connexes, reconnaît Denis Hamel, vice-président – Politiques de développement de la main-d’œuvre au Conseil du patronat du Québec (CPQ). Il y a non seulement la construction résidentielle, mais aussi la construction industrielle, les grands travaux routiers… C’est sans compter l’ingénierie et le développement de solutions technologiques, qui ne sont pas inclus dans les calculs. »
« Le transport n’est pas considéré dans les statistiques comme faisant partie du domaine de la construction, réitère le vice-président. Or, il faut transporter les matériaux, on a les bétonnières… On le sait, le secteur du camionnage connaît aussi une grave pénurie de chauffeurs. »
Une augmentation de 12,8 % du salaire horaire moyen, passé de 28,05 $ à 31,65 $ au cours des deux dernières années, n’a pas suffi à attirer suffisamment de paires de bras. « Ça démontre que le salaire n’est pas le seul facteur en cause », explique Denis Hamel.
Des effets à large échelle
Le déficit de main-d’œuvre dans le secteur de la construction a des répercussions concrètes, à commencer par la crise du logement. « Les logements ne se construisent pas assez vite pour répondre à la demande, illustre le vice-président. Et pour ceux qui ont un toit, ça coûte plus cher. Tout est interrelié. »
Pour tirer leur épingle du jeu, les employeurs de la construction auraient tout intérêt à explorer de nouveaux bassins de candidats et candidates auxquels ils n’auraient pas pensé normalement, à commencer par les femmes. Depuis 10 ans, la représentation féminine dans ce domaine non traditionnel est passée de 2 % à 3 %. « Ça peut sembler peu, mais c’est une augmentation de 50 %, se réjouit Denis Hamel. C’est une nette progression, et on peut se permettre d’être optimistes. »
Le manque de travailleurs et de travailleuses de la construction allonge aussi la durée des chantiers, ce qui retarde projets et offres de services.
La lutte contre les changements climatiques est également affectée. « Nos infrastructures publiques sont en mauvais état, on prend du retard avec leur entretien, souligne Denis Hamel. On voudrait encourager les gens à utiliser le transport collectif, mais nos infrastructures ne sont pas prêtes. »
Intéresser les jeunes
Un autre facteur expliquant la pénurie de travailleurs et travailleuses de la construction est un désintérêt des jeunes envers ces professions, attribuable entre autres à des préjugés tenaces. « C’est vu comme un secteur archaïque, relève Denis Hamel. Quand on parle de construction, les gens imaginent un maçon qui travaille dur, dehors, au froid ou sous une chaleur accablante. Or, c’est un domaine qui s’est beaucoup modernisé. »
La robotisation, la modélisation et l’automatisation de certaines pratiques, de même que le recours à l’intelligence artificielle, ont donné naissance à une foule de nouveaux métiers et de possibilités. « Dans certains cas, ça peut être comme un gros jeu vidéo… » lâche avec humour Denis Hamel.
L’insistance de parents à vouloir que leur enfant fasse des études supérieures a aussi eu pour effet de détourner des jeunes des métiers de la construction.
Pour renverser la tendance, le CPQ a mis sur pied en 2022 la campagne « Trouve ton chantier » pour mettre en lumière les nombreuses carrières possibles dans le secteur de la construction.
Explorer de nouveaux marchés
Pour tirer leur épingle du jeu, les employeurs auraient tout intérêt à explorer de nouveaux bassins de candidats et candidates auxquels ils n’auraient pas pensé normalement, à commencer par les femmes.
Depuis 10 ans, la représentation féminine dans ce domaine non traditionnel est passée de 2 % à 3 %. « Ça peut sembler peu, mais c’est une augmentation de 50 %, se réjouit Denis Hamel. C’est une nette progression, et on peut se permettre d’être optimistes. »
Recruter parmi les personnes issues de l’immigration ou au sein des Premières Nations est aussi une voie à emprunter. Denis Hamel indique que, d’ici 2030, près d’un travailleur ou travailleuse sur trois proviendra de l’immigration. Actuellement, ce ratio est plutôt de 20 %. « La construction est le secteur où il y a le moins de travailleurs immigrants, rappelle Denis Hamel. Le fait d’en compter si peu peut être perçu comme un potentiel de croissance intéressant. »
Former son personnel
Former les recrues peut également s’avérer une avenue intéressante pour faire le plein de main-d’œuvre qui n’est pas nécessairement qualifiée d’emblée, mais qui pourrait s’acquitter de ses tâches. « Il y a des gens avec peu de qualifications qui veulent se réorienter, et l’entreprise a elle-même un rôle à y jouer », croit Denis Hamel.
« C’est vrai dans tous les secteurs, particulièrement en construction, où il y a traditionnellement un système de compagnonnage, qui consiste à jumeler un nouveau travailleur avec un collègue expérimenté, poursuit-il. C’est une façon plus rapide de se sortir de la pénurie avec des travailleurs disponibles et en mesure de répondre à nos besoins. » ■