MAGAZINE CONSTAS

Changements dans les conditions de sol et dépassement de coût dans les projets

Transformer le risque en profit

« La jurisprudence tend, depuis les dernières années, à protéger les entrepreneurs qui n’ont pas reçu toute l’information nécessaire de la part des donneurs d’ouvrage », mentionne Louis D’Amours.

Les dépassements de coût et les pertes financières qui découlent des changements dans les conditions de sol affectent de manière significative les parties prenantes et la progression des travaux de construction. Des 41 causes s’étant rendues à la Cour suprême du Canada de 1982 à 2006, plus de 63% de celles-ci étaient directement reliées aux changements de conditions de sol. En parallèle, une étude des facteurs de risque de dépassement de coût dans les projets au MTQ pour 2011-2012 (Cirano/Preventa, 2014) témoigne que les changements de conditions de sol en constituent le deuxième motif. Entretien avec Louis D’Amours, de SNC-Lavalin.

Par Magalie Hurtubise

Directeur de projets géotechniques senior dans le cadre de projets majeurs au sein de SNC-Lavalin, Louis D’Amours, nous explique de quelle manière il est possible de «sortir de terre» afin de transformer le risque associé aux changements de sol en profit.

Q. En quoi consistent les études géotechniques?

R. La variation de la nature des sols entre les différents forages peut être importante d’un endroit à l’autre. Les études géotechniques servent entre autres à effectuer des forages sur un terrain donné afin de déterminer les conditions du sol et du roc pour des projets de fondations de ponts, bâtiments, grands ouvrages et autres. En cas de doute, lorsqu’on remarque des conditions de sol variable, il est important d’effectuer d’autres forages par après pour avoir une bonne représentativité d’un secteur donné.



Q. De quelle manière les changements dans les sols impactent-ils les grands chantiers ?

R. Il arrive de penser à tort qu’un site n’est pas compliqué, mais c’est primordial de ne pas négliger les études géotechniques, car celles-ci permettent de bien comprendre les particularités des sols dans les étapes préliminaires d’un projet.

Les études géotechniques ne sont pas toujours convenablement effectuées, entre autres dans l’optique d’économiser, ce qui au final, peut pénaliser l’entrepreneur qui parfois se retrouve avec des contraintes au niveau du sol qui auraient pu être décelées au niveau de la conception ou même avant. Les imprévus ou retards engendrés par les changements de condition de sol ont des répercussions sur la bonne mise en œuvre des chantiers.

 

«Les géotechniciens détiennent une expertise qui, lors de la phase de planification et de réalisation, apporte une valeur ajoutée. Il faut s’en servir», soutient Louis D’Amours. CR: SNC-Lavalin

« Lorsque les études ne sont pas bien décodées, il se peut que les coûts de construction augmentent, que des extras s’ajoutent, qu’on observe un ralentissement des chantiers et que naissent des litiges. »

Également, il y a une interprétation à faire de ces études, qui servent à donner aux concepteurs une meilleure vue d’ensemble en ayant tous les éléments requis à la bonne mise en œuvre d’un projet donné. Le géotechnicien, l’ingénieur-concepteur et l’entrepreneur font leurs interprétations et celles-ci sont parfois discordantes. Les différences d’interprétations entre le rapport du géotechnicien et le concepteur d’un projet représentent une bonne partie des cas qui se rendent devant la justice.

Q. Que nous apprend la jurisprudence à ce sujet?

R. Lorsque les études ne sont pas bien décodées, il se peut que les coûts de construction augmentent, que des extras s’ajoutent, qu’on observe un ralentissement des chantiers et que naissent des litiges.

La jurisprudence, entres autres dans l’affaire Banque de Montréal c. Bail Ltée, nous enseigne que la responsabilité d’information incombe au donneur d’ouvrage. Dans Bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983), on apprend qu’il est de la responsabilité du donneur d’ouvrage de donner les informations géotechniques suffisantes à l’entrepreneur pour que celui-ci établisse les coûts du projet de manière aussi réaliste que possible.

Les plus petits promoteurs peuvent ressentir un certain découragement face aux procédures judiciaires, mais le message que je souhaite lancer, c’est de ne pas perdre espoir, car la jurisprudence tend, depuis les dernières années, à protéger les entrepreneurs qui n’ont pas reçu toute l’information nécessaire de la part des donneurs d’ouvrage.


Les changements de conditions de sol ont constitué le deuxième motif de dépassement dans les projets au MTQ pour 2011-2012 (Cirano/Preventa, 2014). Ci-dessous des talus sableux instables. CR: SNC-Lavalin

Q. Comment l’Industrie peut-elle améliorer ses pratiques en ce sens?

R. L’expertise géotechnique connaît une baisse depuis quelques années. La multiplication des petites firmes qui prennent des projets majeurs en main ainsi que la rareté de la main-d’œuvre sont autant de facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène. Il est possible de renverser cette tendance, évidemment, en spécialisant la main-d’œuvre par de la formation en entreprise; un outil performant pour les professionnels du milieu de la construction.
Les imprévus ne peuvent pas toujours être évités, mais dans l’optique qu’un projet se déroule sans accro, la première chose à faire est d’adopter les bons réflexes. Les promoteurs doivent s’assurer que les forages soient faits adéquatement et en assez grand nombre pour que les concepteurs et entrepreneurs entament leur travail en ayant toutes les données géotechniques nécessaires pour la bonne mise en marche d’un projet. L’accompagnement avant-projet et/ou lors de soumission permet le repérage des pièges et des occasions. Il ne faut pas oublier que les géotechniciens détiennent une expertise qui, lors de la phase de planification et de réalisation, apporte une valeur ajoutée. Il faut s’en servir. •