Avoir les moyens de ses ambitions
Comment sortir du statu quo en mobilité dans le Grand Montréal?
Au cours du Sommet Climat Montréal, en mai dernier, la professeure titulaire au Département des génies civil, géologique et des mines de Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire Mobilité, Catherine Morency, s’est prononcée sur une présentation du président du conseil de la métropole de Lyon, Bruno Bernard, sur la mobilité lors du panel Se mobiliser pour sortir du statu quo en mobilité dans le Grand Montréal: Pronostic et solutions.
par Mélissa Pelletier
«Ce qui est vraiment génial, c’est que Lyon est extrêmement ambitieuse. C’est ce qui manque au Québec, puis à Montréal, pour les réseaux de transport en commun», explique d’emblée Catherine Morency.
«Si on veut atteindre les cibles du gouvernement, comme la réduction de la part de l’auto solo par exemple, un jour, il va falloir faire ce qu’il faut.» Rappelons que d’ici 2030, le Québec a notamment pour cible de réduire de 37,5% les émissions de GES par rapport aux résultats de 1990.
«Quand on annonce ici le prolongement d’une ligne de métro, c’est comme si on venait de mettre un pied sur la lune, commente Mme Morency. Pourtant, les besoins en mobilité évoluent, et la population croît. Si on ne fait que maintenir le service, on est en train de détériorer sa compétitivité. À Lyon, il y a toujours de nouvelles infrastructures, et ça fait partie des mécanismes habituels de s’assurer qu’on a une augmentation de la fréquentation.»
Si on veut atteindre les cibles du gouvernement, comme la réduction de la part de l’auto solo par exemple, un jour, il va falloir faire ce qu’il faut.
— Catherine Morency
L’ambition de la ville française apporte des résultats « incroyables » selon elle. «La fréquentation des transports en commun en 2024 dépasse celle de 2019. Et les cibles sont très ambitieuses d’ici 2035», indique la professeure, qui souligne aussi que Lyon a réussi à faire baisser la circulation automobile.
Un modèle inspirant
Catherine Morency soutient que Montréal devrait tirer des leçons de l’approche de la mobilité du grand Lyon.
«Le premier constat que j’en tire, ce sont les nombreux projets et investissements à Lyon. On utilise aussi de façon plus judicieuse les différents types de transport en commun, soulève-t-elle. À Montréal, on a des autobus et le métro. Le REM a aussi été lancé récemment. On n’a pas, par exemple, de tramway, qui a une capacité intermédiaire. Il y a une hiérarchisation des modes de transport en commun, et il faut mettre le bon mode au bon endroit pour faire en sorte que le réseau soit plus attractif.»
«La deuxième action de Lyon a été de remettre en question de front la place de l’automobile et de réduire l’espace qui est accordé à son usage, signale Catherine Morency. On le fait un peu à Montréal, mais pas assez. Si on essaie d’enlever une voie de circulation pour mettre une piste cyclable ou une voie réservée, c’est toujours l’apocalypse. Quand on fait une analyse objective de l’espace alloué aux différents modes, on constate pourtant que la voiture occupe presque toute la place.» La marche, le vélo et le transport collectif sont ainsi beaucoup moins favorisés.
Le troisième point s’appuie sur l’aspect économique. «À Lyon, on est arrivé à faire payer les bénéficiaires directs et indirects du transport en commun. En France, il y a le versement mobilité», révèle la professeure. Des employeurs, entre autres, contribuent ainsi à financer le transport en commun. «Je ne dis pas nécessairement que c’est la meilleure formule pour le Québec», déclare Mme Morency, en soulignant que les automobilistes sont aussi des bénéficiaires indirects du transport en commun au Québec. «Plusieurs automobilistes verraient leur temps de déplacement exploser s’il n’y en avait pas», fait-elle remarquer.
Catherine Morency insiste en dernier lieu sur l’importance d’arrêter de segmenter les modes de transport et de s’assurer de la consolidation des sources de revenus et des compétences pour l’ensemble des modes sur un territoire. «Ça crée beaucoup moins d’incohérence. Les décisions du provincial, qui finance des routes et des ponts, ont un impact direct sur le transport en commun à Montréal. Si une institution gérait toute la mobilité, par exemple, elle aurait les leviers pour intervenir sur l’ensemble des modes.»
Quelle est la place de l’agence Mobilité Infra Québec dans cette réflexion? «Je ne sais pas encore ce que fera exactement cette entité. Il y a certainement des freins à enlever, mais je ne sais pas si Mobilité Infra Québec va aider. Je pense qu’on n’a pas les bons leviers actuellement pour être efficaces. Ça nous prend une vision québécoise des transports en commun.»
Bonifier le réseau du transport collectif
Qu’en est-il des routes dans sa réflexion? «L’idée, ce n’est pas de laisser le moins de place possible aux automobiles, précise Mme Morency. Je le répète: le bon mode au bon endroit. On ne va pas dire aux gens de changer de mode sans offrir des options. Il faut aussi annoncer ce qui s’en vient, pour que les citoyens soient en mesure de comprendre les effets potentiels des choix qu’ils font aujourd’hui.»
Comment perçoit-elle, justement, le Plan d’urbanisme et de mobilité 2050, présenté en juin par l’administration de Valérie Plante, qui compte notamment offrir 360 km de réseau de transport collectif structurant à Montréal d’ici 2050? «C’est formidable! On n’a pas le choix de faire de la planification du territoire. Il faut tenir compte simultanément des besoins actuels et projetés de la mobilité. Trop souvent, on est à la remorque.»
Comment aider la réalisation de ce grand projet? «Il faut qu’on finance les réseaux de transport en commun», clame-t-elle. En plus de faire payer les bénéficiaires indirects, la professeure titulaire mentionne la possibilité d’une contribution kilométrique et un coût pour le stationnement pour les automobilistes.
«Il faut aussi comprendre que lorsqu’on utilise gratuitement quelque chose, c’est que quelqu’un d’autre paie. C’est-à-dire que, collectivement, on a décidé que c’était un comportement suffisamment positif pour le subventionner», spécifie-t-elle.
«Il faut aussi que le gouvernement mette des incitatifs à l’utilisation de modes durables», ajoute Mme Morency. Après le Sommet Climat Montréal, 80 employeurs du grand Montréal se sont d’ailleurs engagés à participer aux actions pour la mobilité durable en signant le Pacte en mobilité durable, en invitant les gouvernements à se joindre au mouvement.
Quels pourraient être les incitatifs pour que les Montréalais et les gens des environs se tournent vers le transport collectif ? «J’ai justement fait une tribune téléphonique sur le sujet récemment, lance Catherine Morency. Beaucoup m’ont dit qu’ils aimeraient prendre le transport en commun, mais que ça leur prendrait trois fois plus de temps. On a des personnes intéressées à se tourner vers cette option, mais qui considèrent que le niveau de service actuel est insuffisant. Il faut bonifier le service. Il faut avoir de l’ambition.» ■