Un lien de transport régional essentiel
L’importance économique d’un pont centenaire
Lien inestimable entre les deux rives du fleuve Saint-Laurent, le pont de Québec a célébré son centenaire en 2017. Bâti en porte-à-faux, sans câble, avec une travée centrale de 549 mètres, soit la plus longue du monde, il est encore considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre de l’ingénierie moderne. Quelle a été son importance économique pour la Capitale-Nationale ?
par Alexandra Guellil
Entre les rives nord (Québec) et sud (Lévis) du fleuve, le pont de Québec ne laisse personne indifférent. On en veut pour preuve les fermetures du mois d’août dernier pour rénovation qui ont fait couler de l’encre dans une région où les discussions sur le troisième lien sont loin d’être terminées.
Utilisé en alternance avec le pont Pierre-Laporte, le pont de Québec a historiquement été marqué par des travaux de construction catastrophiques, en plus d’une saga judiciaire liée à son entretien. En temps normal, en moyenne, 33 000 véhicules traversent le pont de Québec chaque jour.
Développement accéléré
Yvon Charest vient tout juste d’achever son mandat de négociateur entre Ottawa, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et Québec, qui aura duré quatre ans. «Si le pont de Québec n’avait jamais été construit, la Rive-Sud se serait certainement développée au détriment de la Rive-Nord», amorce-t-il.
Selon l’expert, le pont de Québec a même permis un développement accéléré de la rive nord du fleuve (Québec) par rapport à Lévis. Sans le pont de Québec, le développement économique se serait plus orienté vers Montréal aux dépens de Lévis. Montréal étant une métropole économique plus internationale, cela aurait sans doute eu un effet sur la population et la démographie.
Sur le plan du travail, le pont de Québec aurait, selon M. Charest, facilité une meilleure communication entre les deux rives. «Que ce soit à Québec ou à Lévis, on a des emplois principalement affiliés à la fonction publique et au gouvernement d’un côté et au secteur de l’assurance et des services financiers de l’autre», illustre l’ex-négociateur.
Grande mobilité de main-d’œuvre
Pour Yvon Charest, le pont de Québec «a permis une grande mobilité de main-d’œuvre entre les deux rives. Les travailleuses et travailleurs ont eu la possibilité de changer facilement d’employeur».
L’ex-négociateur soutient «qu’environ 22 % des autos prennent chaque jour le pont de Québec, versus 18% pour le pont Pierre-Laporte». Ce dernier possède six voies de circulation comparativement au pont de Québec, qui n’en a que deux et qui ne peut être emprunté par les camions.
Yvon Charest estime que chacun des deux ponts a son utilité. À titre de rappel, l’inauguration du pont Pierre-Laporte s’est faite dans les années 1970, moment où les capacités en transport de la région n’arrivaient plus à suffire aux besoins liés à l’activité économique. Pour éviter que le pont de Québec subisse une pression trop grande en raison du nombre d’automobiles qui devaient l’emprunter, le pont Pierre-Laporte a été construit.
La bicyclette, la grande négligée
En ce qui concerne le partage de la route sur le pont de Québec, M. Charest croit que la grande négligée reste la bicyclette. «Quand on regarde Québec avec ses magnifiques pistes cyclables et le nombre de cyclistes, qui peut se compter par cent mille, il est difficile de croire que ce partage de la route ne soit pas plus sécuritaire. C’est impossible de rencontrer quelqu’un dans la direction opposée tout en restant sur son vélo.»
Actuellement, plusieurs discussions ont lieu sur la possibilité d’abaisser le tablier routier pour permettre aux camions de passer. «Quant aux transports en commun, poursuit M. Charest, actuellement, des autobus peuvent passer, et la question de la hauteur du tablier routier peut être un frein au passage d’un éventuel tramway.»
L’ex-négociateur fait savoir qu’une somme conséquente a été investie par Ottawa pour assurer la pérennité du pont, soit 1 G$ sur 25 ans. «L’idée est que ce pont se renouvelle de façon intéressante en se souvenant que le prochain tablier routier aura une espérance de vie de 75 ans. Il est important de regarder sur le long terme la viabilité de ce pont et de réfléchir aux moyens d’améliorer la mobilité des personnes et des marchandises entre les deux rives.»
Un milieu des affaires mitigé
Lorsqu’Yvon Charest est questionné sur la vision du milieu des affaires et l’importance de cette infrastructure dans l’avenir de la Capitale-Nationale, l’ex-négociateur le sent «critique».
Il croit que la structure actuelle du pont de Québec devrait être mieux utilisée pour favoriser le passage d’un éventuel tramway. «On facilite le transport des passagers de Québec à Montréal par le train. Si on permettait de le faire pour le transport des conteneurs et si Québec réussissait à se positionner pour faciliter un transport vers les États-Unis, je crois qu’on arriverait à trouver certaines solutions. Le transport en commun est une question de mobilité de main-d’œuvre et de viabilité des organisations.» Ce n’est donc pas un hasard si la Chambre de commerce et d’industrie de Québec a fait du transport en commun une de ses trois priorités.
Quant à savoir que retenir de toute la saga du pont, M. Charest croit que c’est un peu un débat politique et polarisant rendant difficile le consensus. «Dans la région de Québec, il n’y a aucune infrastructure qui combine la rive nord et la rive sud. Chaque rive a son maire, ses élus, son système de transport en commun. La chambre de commerce de la rive sud fait la promotion d’un troisième lien pour dynamiser la rive sud alors que la chambre de commerce de la rive nord est restée plutôt muette.»
Reste que, pour l’ex-négociateur, l’apprentissage le plus important de l’ensemble de cette saga est la réflexion autour du rôle des gouvernements. «À quel moment doit-on soutenir une entreprise en particulier? Je crois que le rôle des gouvernements est de favoriser la mobilité des personnes et des marchandises.» Cette raison fait qu’Yvon Charest considère la privatisation du pont de Québec comme une erreur puisqu’il estime que le gouvernement aurait dû conserver la mainmise sur la mobilité des biens, des transports et de l’argent. ■