MAGAZINE CONSTAS

Mieux faire en transport collectif

Des solutions pour réduire les dépassements de coûts

En mai dernier, la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, dévoilait son projet de loi sur l’agence Mobilité Infra Québec. Un peu plus tôt, en mars dernier, le Centre sur la productivité et la prospérité — Fondation Walter J. Somers publiait un rapport cherchant à comprendre pourquoi un nombre élevé de projets de transport collectif subissaient d’importants retards et des dépassements de coûts. Ce rapport propose aussi des solutions qui permettraient de faire mieux. Discussion avec son auteur, Jacques Roy, professeur titulaire à HEC Montréal.

par Stéphane Desjardins

 

 

REM
REM de l’Est sur la rue Notre-Dame. Photo : REM

D’entrée de jeu, le rapport permet de réaliser que des retards dans l’exécution de projets de transport collectif et des dépassements de coûts sont des phénomènes vécus mondialement.

Un exemple flagrant est celui d’un tronçon de 2,7 km du métro de New York qui s’est réalisé, en 2020, au coût de 5,3 milliards de dollars américains, ce qui revient à 2,65 milliards de dollars canadiens au kilomètre. En Europe, certains pays réussissent à mener des projets à coûts moindres que ceux que l’on fait en Amérique du Nord. Jacques Roy cite le Grand Express à Paris (300 millions de dollars le kilomètre) et la nouvelle ligne de métro à Toulouse (180 millions de dollars le kilomètre).

Toujours sur ce continent, Jacques Roy relève un cas de meilleure gestion de projets. Il cite l’étude de Goldwyn et al. (2023) qui rapporte que les coûts de construction de métros en Italie sont parmi les plus bas au monde. Une performance qui s’explique notamment par la présence d’équipes d’experts formés à l’interne pour gérer les projets de transport collectif prévus. Le cas de Milan est mentionné, dont les équipes sont constituées d’experts de diverses disciplines (ex. : ingénieurs civils, géologues, architectes) et non pas seulement de gestionnaires.

Pouvoir compter sur une solide équipe d’experts est l’un des préalables men­tionnés dans le rapport pour mener à bien les projets de transport collectif. Il y en a toutefois d’autres, comme le rappelle l’auteur.

 

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REM, intérieur de la station Marie-Curie et station Panama à Brossard, sur la Rive-Sud

 

L’importance d’une bonne planification

Selon Jacques Roy, les responsables de projets agissent souvent trop vite et ont négligé l’étape de la planification. La justification ou non d’un projet doit faire partie de cette réflexion, souligne l’auteur. Dans le rapport, il cite à quelques reprises une étude de chercheurs de l’Université Oxford menée sous la direction du professeur Bent Flyvbjerg. On y a étudié les résultats de 16 000 projets de toutes sortes (dont des projets de transport collectif) dans 136 pays. On y apprend que, dans bien des cas, il y a eu des dépassements de coûts, et cela, pour plusieurs raisons (ex. : ingérence politique, problè­mes de gouvernance, planification inadéquate, acceptabilité sociale absente). Pour éviter cela, il faut, selon l’auteur, appliquer le principe Think slow, act fast. La première expression s’applique à la planification. Bien planifier les détails, mais sans tergiverser. On parle ici de planification et non d’indécision et de remise en question perpétuelle, comme le souligne dans le rapport Jacques Roy.

Agir vite après l’étape de la planification

Une fois cette étape bien réalisée, il faut exécuter le projet rapidement (act fast). Car, durant cette étape de la construction, les imprévus et les modifications risquent de faire exploser les coûts. Il faut notamment éviter le syndrome du Tant qu’à faire, qui consiste à entreprendre d’autres travaux, non prévus au départ, qui ont pour effet de retarder la fin du projet et d’en faire gonfler la facture.

 

Jacques Roy
Jacques Roy, professeur titulaire à HEC Montréal. Photo : HEC

Il y a souvent des enjeux de gouvernance dans la planification des projets de transport collectif. Une fois qu’on choisit un projet, il faudrait laisser les responsables le réaliser et le mener à terme, sans interférences.

— Jacques Roy, professeur à HEC Montréal

tramway
Rendu du tramway sur le boulevard Laurier, à Québec. Photo : Ville de Québec

Quelques écueils du projet de loi créant Mobilité Infra Québec

La ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, consciente qu’on peut faire mieux dans la gestion des projets de transport collectif, a déposé récemment le projet de loi créant l’agence Mobilité Infra Québec (MIQ). Jacques Roy y voit bien des écueils dans le cas où la loi serait adoptée dans sa forme actuelle. Parmi les principaux, mentionnons la nécessité d’avoir un plan d’aménagement pour chaque agglomération avant de concevoir des projets de transport qui ne sont pas arrimés avec l’urbanisme. Pour y parvenir, le MIQ devra tra­vailler notamment avec les urbanistes et les élus municipaux. Il faudra aussi mettre les citoyens dans le coup, ce qui signifie obtenir l’acceptabilité sociale en amont de chacun des projets.

Autre aspect important, selon Jacques Roy, c’est l’entretien des infrastructures existantes, qui se détériorent à vitesse grand V. Trente-sept pour cent du réseau routier est en mauvais état et 20 milliards seraient requis pour le réparer, selon lui. Il faudrait se concentrer là-dessus avant de lancer de nouveaux projets.

Les responsables de projets agissent souvent trop vite et n’ont pas réfléchi suffisamment lors de l’étape de la planification. La justification ou non d’un projet doit faire partie de cette réflexion.

— Jacques Roy, professeur titulaire à HEC Montréal

Trop attendre avant de lancer un projet nécessaire serait aussi un des écueils qui pourrait survenir avec le MIQ. À ce sujet, le professeur mentionne le cas du remplacement du pont de l’île d’Orléans (projet que l’on retarde depuis des années). Sa construction en accéléré coûtera 2,7 milliards, soit autant que l’argent dépensé par Québec en une année pour l’entretien de tout le réseau routier.

Enfin, dernier point et non le moindre, il faudra trouver l’argent pour mener à bien les 17 projets (au coût de 67 milliards de dollars) qui pourraient être confiés au MIQ et offrir de bons salaires aux experts chevronnés que l’on devra recruter pour y travailler.

Tout un programme qui va exiger une bonne collaboration de tous les acteurs du milieu. ■