Accommodements en milieu de travail : où tracer la ligne ?
Le marché du travail se transforme. Les pénuries entraînent une diversification, et les employeurs doivent revoir leurs pratiques organisationnelles. Autrefois absents du paysage, les accommodements préoccupent désormais les employeurs.
par Stéphane Desjardins
On l’a souvent dit : l’industrie de la construction est encore très « mâle et blanc pure laine ». Mais les choses changent à vitesse grand V. Les recrues provenant de la diversité demandent parfois à ce qu’on mette en place des accommodements en fonction de critères tels que le handicap, l’âge, l’expression de genre, la grossesse, l’ethnie ou la religion.
La loi proscrit par ailleurs la discrimination, y compris celle, indirecte, découlant de l’application d’une norme de travail qui paraît neutre, mais qui est préjudiciable pour l’employé.
Or la loi prévoit que l’employeur est tenu à une obligation d’accommodement. Mais où tracer la ligne ? Quelles sont les limites de cette obligation ? Comment conjuguer accommodement et gestion efficace des ressources humaines ?
Surtout, pourquoi le contexte a-t-il changé récemment dans l’industrie ? « Parce qu’historiquement, le Québec sélectionnait les immigrants qu’il accueillait en fonction du diplôme. Dans l’industrie de la construction, les gens ont peu d’études. Avec la crise de la main-d’œuvre, on a changé les politiques, qui sont davantage liées aux besoins de l’économie », constate Mouhamadou Sanni Yaya, professeur en ressources humaines et en droit du travail à l’Université du Québec à Rimouski.
Les employeurs découvrent donc des règles qui existaient pourtant depuis longtemps et qui découlent de la jurisprudence établie par la Cour suprême, rappelle le professeur. Les contraintes juridiques sont réelles quant aux accommodements.
« En gros, la loi dit qu’un accommodement consiste, pour l’employeur, à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec son employé qui se dit victime de discrimination », reprend-il. Ainsi, la personne qui est apte à travailler ne doit pas être exclue alors qu’il est possible d’adapter les conditions de travail.
La loi dit qu’un accommodement consiste, pour l’employeur, à prendre des mesures raisonnables pour s’entendre avec son employé qui se dit victime de discrimination.
— Mouhamadou Sanni Yaya, Université du Québec à Rimouski
Modifier les conditions
On l’aura compris, l’employeur doit modifier le travail ou les conditions de travail, sauf s’il fait la démonstration d’une contrainte excessive. « Il doit démontrer l’impact d’un éventuel accommodement sur les droits des autres employés, signale le professeur Sanni Yaya. Il faut éviter de porter atteinte aux droits d’un tiers. On ne demande pas à l’employeur d’accommoder envers et contre tous ni de modifier les conditions de travail de manière fondamentale. »
Ce dernier donne l’exemple d’un travailleur très croyant qui doit aller à la messe le dimanche. Si le chantier roule sept jours par semaine, l’employeur peut l’autoriser à se rendre à l’église, mais lui demander de revenir travailler après l’office. L’employeur peut invoquer l’importance de respecter les échéances prévues à son contrat de travail.
« En construction, la sécurité est un aspect fondamental, poursuit-il. Par exemple, si l’employeur accepte d’aménager un lieu de prière, il ne doit pas être situé à un endroit dangereux. »
Autre exemple : un employé de confession sikh ne pourrait pas invoquer sa religion pour éviter l’obligation de porter un casque à cause de son turban. Par contre, un employeur ne pourrait exiger à une femme ou à une personne handicapée de porter des charges excessives sans matériel approprié.
Ainsi, un questionnaire de préembauche devra respecter les normes inclusives. On a tous entendu parler de questions à proscrire durant l’entrevue portant sur le pays d’origine ou la volonté d’avoir des enfants bientôt…
Au cas par cas
« L’accommodement est un processus individualisé : il faut tenir compte des spécificités de l’entreprise d’un côté et des problèmes des employés de l’autre, ajoute Mouhamadou Sanni Yaya. En revanche, chaque situation d’accommodement doit être incluse dans les normes du travail ou la convention collective. Il faut éviter les demandes ponctuelles qui peuvent créer des frictions ou le sentiment de deux poids, deux mesures. »
Si l’employé (ou le syndicat) fait une demande d’accommodement, il doit cependant fournir l’information justifiant la démarche, coopérer et faire des compromis. L’employeur n’est pas seul responsable.
Quels sont les accommodements possibles ? On peut aménager le travail en l’allégeant ou en modifiant certaines tâches ou certains horaires, offrir du télétravail, réduire les heures, attribuer des congés additionnels, aménager différemment l’espace de travail, modifier les équipements, réaffecter l’employé à un autre poste…
Les spécialistes en gestion de ressources humaines suggèrent aux employeurs de suivre des formations, d’en organiser à l’interne (notamment, pour les cadres intermédiaires) et de tenir des rencontres avec les représentants syndicaux ou les employés. D’autant plus que certains types de discrimination semblent moins légitimes ou suscitent moins de résistance (handicap, genre) que d’autres (santé mentale, religion) chez les représentants des employeurs et des syndicats.
Enfin, il faut adopter une approche proactive, réfléchir sur le sujet avant de se trouver face à une situation potentiellement conflictuelle. Car la question des accommodements fera inévitablement surface, tôt ou tard. ■