MAGAZINE CONSTAS

Techniques des ouvrages souterrains

Choisir le moindre impact environnemental

Enjeux de l’Industrie

Au Québec, les travaux de creusage sont surtout associés à des chantiers ponctuels, comme la construction du Réseau express métropolitain (REM) ou le projet de troisième lien à Québec, mais ils sont également requis lors de l’enfouissement de lignes électriques.

Depuis plusieurs années, des chercheurs documentent l’incidence écologique des matériaux utilisés lors de la construction d’infrastructures. Mais qu’en est-il des recherches environnementales dans le domaine des ouvrages souterrains ? Ben Amor, professeur agrégé au Département de génie civil et de génie du bâtiment de l’Université de Sherbrooke, s’est penché sur la question.

Par Marie-France Bujold

Ben Amor, professeur agrégé au Département de génie civil et de génie du bâtiment de l’Université de Sherbrooke. CR: LIRIDE

Dans des recherches menées par le Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Ingénierie Durable et Écoconception (LIRIDE), affilié à l’Université de Sherbrooke, une équipe de chercheurs dirigée par Ben Amor a tenté de mieux comprendre les impacts écologiques des méthodes utilisées sur les chantiers de creusage. Dans un premier temps, l’équipe a voulu savoir s’il était plus intéressant, afin de minimiser l’empreinte carbone des ouvrages souterrains, d’utiliser des tunneliers ou d’avoir recours aux méthodes traditionnelles de dynamitage. Dans un deuxième temps, elle a voulu savoir dans quel contexte chaque méthode était la plus pertinente.

Le premier constat de l’équipe avait de quoi étonner : très peu de recherches ont été effectuées dans ce domaine, qui auraient mis en lumière les réels effets environnementaux des différents procédés. « On s’est rendu compte que, dans la pratique, les gens ont peu de connaissances pour prioriser une méthode ou une autre », dit le chercheur.

Impact de production et impact d’utilisation

L’équipe de Ben Amor a tenté de déterminer quels étaient les coûts environnementaux des deux techniques pour creuser un tunnel de cinq kilomètres. « Nous en sommes venus à la conclusion que le tunnelier présente un plus grand impact environnemental que les explosifs, explique Ben Amor. Ce constat nous a beaucoup surpris, car cette réponse est absolument contre-intuitive. »

« Construire un tunnelier requiert en effet énormément d’énergie. On estime que 80 % de son coût environnemental est lié à sa production. Cet impact peut ensuite être amorti sur son cycle de vie et par l’utilisation qu’on en fait. Le tunnelier peut notamment être réutilisé pour creuser d’autres tunnels similaires. (…) plus on augmente la distance de creusage, plus le tunnelier devient intéressant. » — Ben Amor

Construire un tunnelier requiert en effet énormément d’énergie, continue le professeur. On estime que 80 % de son coût environnemental est lié à sa production. Cet impact peut ensuite être amorti sur son cycle de vie et par l’utilisation qu’on en fait. Le tunnelier peut notamment être réutilisé pour creuser d’autres tunnels similaires.

Lors de son usage, l’impact écologique du tunnelier est cependant moindre que celui des explosifs. Ceux-ci ont des répercussions environnementales beaucoup plus grandes lors de leur utilisation que durant la phase de leur production.

Ci-contre. Scène de tunnelier dans le cadre de la construction du tunnel ferroviaire du Saint-Gothard, passant sous les Alpes suisses et achevé en 2011. Il fait 57,1 km. (Voir Constas n0 37, octobre 2016)

 

Des conséquences variables selon la distance

Ainsi, plus on augmente la distance de creusage, plus le tunnelier devient intéressant. « Le dynamitage est une meilleure méthode pour les courtes distances, soit moins de cinq kilomètres, poursuit Ben Amor. D’un point de vue technique, c’est compliqué d’utiliser des explosifs sur une longue distance de creusage, et cela devient trop coûteux. C’est pourquoi on se tourne généralement vers les tunneliers. »

« Les ouvrages souterrains méritent autant d’attention que les ponts ou les passerelles. Ça fait des années qu’on utilise le creusage : il faut absolument documenter les impacts de ces méthodes sur l’environnement, et ce, dans les plus brefs délais. » — Ben Amor

Mais la technologie derrière les tunneliers coûte également très cher. Il faut donc des ouvrages d’envergure pour pouvoir les rentabiliser.

L’importance de développer une expertise

Au Québec, les travaux de creusage sont surtout associés à des chantiers ponctuels, comme la construction du Réseau express métropolitain (REM) ou le projet de troisième lien à Québec, mais ils sont également requis lors de l’enfouissement de lignes électriques. « Souvent, l’acceptabilité sociale des travaux souterrains est plus grande parce que l’empreinte au sol est moins visible, ajoute Ben Amor. Mais ça ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’impact. » Si on souhaite atteindre la carboneutralité, croit-il, il faut connaître l’empreinte carbone réelle de ces travaux, qui ont une longue durée de vie, afin de savoir de quelle façon les réaliser.



Selon le professeur, il importe que l’industrie se penche sur la question. « On voit de nombreuses études portant sur la conception des matériaux et sur l’analyse des cycles de vie des infrastructures. Quand on parle d’enjeux de développement durable, c’est étonnant de constater qu’il n’y a presque rien pour documenter les travaux souterrains. » Il s’agit pourtant d’une composante essentielle aux chantiers de grande envergure, donc à des ouvrages qui peuvent avoir un impact considérable.

À l’heure actuelle, il n’y a pas de raison pour justifier ce manque de documentation sur le sujet, soutient Ben Amor. « Les ouvrages souterrains méritent autant d’attention que les ponts ou les passerelles. Ça fait des années qu’on utilise le creusage : il faut absolument documenter les impacts de ces méthodes sur l’environnement, et ce, dans les plus brefs délais. » ■