Enrobés bitumineux et recyclage

DOSSIER CONSTAS: LES ENJEUX D’UN AVENIR VERT

« Nous avons développé une façon de réutiliser les résidus de bauxite et SPC pour remplacer le filler1 minéral dans les formulations d’enrobé bitumineux », nous explique la scientifique Julie Élize Guérin.

Rio Tinto, producteur d’aluminium primaire, travaille depuis plusieurs années dans un projet visant à réutiliser les résidus de minerai issus de sa production d’aluminium dans la formulation d’enrobés bitumineux. L’entreprise réalise un test en conditions réelles pour évaluer et améliorer sa solution en vue d’obtenir l’homologation pour produire à grande échelle.

Par Elsa Bourdot

Rio Tinto, en partenariat avec le Centre universitaire de recherche sur l’Aluminium de l’UQAC (CURAL), Inter-Cité Construction et avec la participation du ministère des Transports et de la Mobilité durable du Québec (MTMDQ), mène depuis quelques années des travaux de recherche et développement ainsi que des tests en laboratoire pour mettre au point un enrobé bitumineux intégrant des résidus de bauxite et des sous-produits carbonés (SPC). L’objectif est de valoriser ces matières, principaux sous-produits générés par la production d’aluminium.

« Nous avons développé une façon de réutiliser les résidus de bauxite et SPC pour remplacer le filler (1) minéral dans les formulations d’enrobé bitumineux. C’est cette portion de l’asphalte qui vise à être remplacée par nos résidus. Nous souhaitons ainsi répondre à nos objectifs de zéro déchet», explique Julie Élize Guérin, scientifique au Centre de recherche et développement Arvida de Rio Tinto.

Tester la faisabilité technique du projet

Une nouvelle étape de ce projet a été franchie en octobre dernier avec la réalisation d’un test à grande échelle. «Nous avons développé pour cet enrobé une preuve de concept répondant à tous les standards de l’industrie de la construction. À partir de ces résultats et de cette preuve de concept, nous avons recouvert de nos différentes formulations d’enrobés une portion de rue sur 450 m de long ainsi qu’une aire de stationnement », indique la spécialiste.

Cet essai permettra d’analyser le comportement de l’enrobé en conditions réelles, que ce soit en matière de circulation, d’entretien hivernal ou de différents cycles de gel et dégel. Rio Tinto et ses partenaires réaliseront des tests de qualité et de faisabilité technique afin de mesurer la performance de cet enrobé. L’objectif est qu’il réponde à la norme sur les enrobés du MTMDQ.

« Avant de pouvoir déployer cette solution à grande échelle dans le domaine de la construction, nous avons encore plusieurs étapes à franchir, notamment sur le statut et le conditionnement de nos matières ainsi que leur introduction dans les enrobés. Cela peut prendre jusqu’à 8 ans pour obtenir l’homologation pour utiliser un nouveau produit. Avec cet essai, nous voulons confirmer plusieurs cycles de gel et dégel sur nos formulations et optimiser les performances au besoin », avance Julie Élize Guérin.

L’économie circulaire au cœur du projet

Passer d’une économie linéaire à une économie circulaire afin de produire de manière plus durable est de plus en plus un sujet de préoccupation pour tous les secteurs et plus particulièrement celui de la construction dont les émissions de CO2 représentent plus d’un tiers des émissions globales des activités mondiales.

Pour Josette Ross, la directrice générale du Centre de recherche et de développement Arvida de Rio Tinto, « le développement durable est une des valeurs centrales de l’entreprise, qui investit en continu et déploie des efforts importants pour réduire l’empreinte environnementale de ses activités. La valorisation des résidus de bauxite et des sous-produits provenant de nos opérations est au cœur de notre stratégie mettant de l’avant notre production d’aluminium responsable, et a déjà mené à des résultats fort intéressants, tels que le partenariat avec Viridis pour valoriser un de nos sous-produits calciques, la CHAC, en agriculture. Depuis de nombreuses années, nous travaillons à développer des solutions pour valoriser les résidus de bauxite et nous avons hâte de voir les résultats du projet pilote pour son utilisation dans l’asphalte.»

En effet, ce nouvel enrobé formulé à partir de résidus de bauxite permettrait de réutiliser une matière destinée actuellement à l’empilement, limitant ainsi les déchets et évitant l’extraction de nouvelles matières premières. Cela préserverait les ressources tout en limitant les émissions de gaz à effet de serre.

Cette démarche ne se fait pas au détriment de la technique. Les équipes de Rio Tinto ont ainsi constaté que ce nouvel enrobé présentait une meilleure résistance à l’orniérage par rapport aux enrobés standards.

« L’objectif premier est de fournir des matières premières alternatives aux producteurs d’enrobés locaux », précise
Mme Guérin. Cette nouvelle formulation d’enrobé permet aussi de réduire la concentration en bitume. Mais cette démarche ne se fait pas au détriment de la technique. Les équipes de Rio Tinto ont ainsi constaté que ce nouvel enrobé présentait une meilleure résistance à l’orniérage par rapport aux enrobés standards. « Si les tests le confirment, cela permettrait de changer les revêtements routiers moins souvent, ce qui représente un avantage économique et écologique », conclut Julie Élize Guérin.

Une démarche durable applicable à d’autres projets

Une fois ce projet pilote terminé, Rio Tinto espère pouvoir étendre cette valorisation des résidus à l’ensemble de ses raffineries à travers le monde afin de répondre à ses objectifs de valoriser ses sous-produits.

Mais alors que les tests en conditions réelles de l’enrobé bitumineux sont encore prévus pour quelques années, Rio Tinto pense déjà à d’autres applications pour valoriser les résidus de bauxite ainsi que les sous-produits issus de la production de l’aluminium. L’entreprise se concentre ainsi sur trois grands axes pour valoriser les résidus: la science des matériaux, l’agro-environnement et l’extraction des différents métaux. Cela s’inscrit dans sa démarche d’innovation continue pour développer de nouvelles voies de valorisation de ses résidus. ■

(1) « Filler » est un anglicisme qu’on pourrait traduire par poudre ou matière. Il s’agit d’une matière minérale à grains très fins utilisée comme agglomérant en travaux publics (NDLR).