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Entrevue avec le ministre de l’Environnement Benoit Charette

Des enjeux environnementaux liés à la construction

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L’industrie de la construction devra bientôt composer avec des nouvelles règles et mesures pour répondre aux enjeux environnementaux du Québec. Des mesures qui visent la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), afin d’atténuer les changements climatiques, mais aussi le développement et l’aménagement du territoire.

Par Jean Garon

C’est ce qui se dégage d’une récente entrevue que nous a accordée le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette. Ces enjeux sont évidemment au centre du Plan pour une économie verte 2030 et du nouveau Plan de mise en œuvre 2022-2027. Ils auront également un impact sur la modernisation très attendue de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, une loi vieille d’une quarantaine d’années.

D’entrée de jeu, le ministre Charette est formel : « Clairement, la réduction de nos GES demeure un objectif important avec une cible à atteindre en 2030. On est déjà en 2023. Donc, c’est important de multiplier les mesures pour aider les industries à nous appuyer et à ajuster notre réglementation afin de s’assurer que les secteurs plus émissifs émettent moins de GES pour parvenir à atteindre nos cibles. » Et de rajouter : « Il m’est difficile de parler d’un échéancier précis en ce moment. Je m’attends à aborder ces questions dès le printemps prochain. »

Le ministre Charette a tenu à rappeler que les cinq principaux secteurs ciblés au Québec pour leurs émissions de GES sont le transport, les industries, les matières résiduelles, l’agriculture et les bâtiments. Au moins quatre d’entre eux interpellent directement l’industrie de la construction.

Une cotation énergétique des bâtiments

Une des mesures prioritaires qui seront mises de l’avant le printemps prochain instaurera un système de cotation énergétique des bâtiments. Celui-ci s’appliquera aux bâtiments institutionnels, commerciaux et multirésidentiels. Il s’agira d’une cote d’efficacité énergétique qui confirmera la décarbonation des bâtiments par la réduction de leurs émissions de GES. « Il va y avoir très certainement de la réglementation, a admis le ministre, et ça va sans doute nécessiter l’adoption d’une nouvelle loi en bonne et due forme. »

Le ministre Charette a tenu toutefois à rassurer le secteur du bâtiment en rappelant que la plupart des mesures mises de l’avant ou imposées par la réglementation seront accompagnées d’incitatifs et d’aides financières publiques.

En ce qui concerne la construction de bâtiments, les programmes qui ont fait leur preuve, comme ceux de Techno Climat et d’Écoperformance, sont des initiatives qui seront maintenues. Il n’est pas dit cependant qu’il n’y en aura pas des nouvelles pour répondre au besoin de réduction de GES au fil des années.

Des matières résiduelles à valoriser dans une économie circulaire

La gestion des matières résiduelles est également dans la mire du ministre Charette. Il estime nécessaire de mettre de l’avant des concepts d’économie circulaire en augmentant sensiblement les redevances à l’enfouissement, par exemple. De telles augmentations sont déjà en vigueur depuis le 1er janvier dernier, et se poursuivront année après année.

« À partir du moment où c’est plus simple et économique d’enfouir les déchets, explique le ministre Charette, on comprend que ça n’incite pas les entreprises à faire preuve d’innovation. C’est pourquoi l’augmentation du prix de l’enfouissement tend à favoriser davantage le développement de l’économie circulaire dans le secteur de la construction, de la rénovation et de la démolition (CRD). »

« L’année dernière, on a formé un groupe de travail avec Recyc-Québec pour ce type d’industrie en particulier, ajoute le ministre. Je devrais recevoir leurs recommandations dans les prochaines semaines. Ça va sans doute nous aider à mettre de l’avant de nouvelles réglementations, sinon de nouvelles mesures d’appui pour s’assurer que l’on puisse mettre sur pied des chantiers d’économie circulaire dans ce secteur d’activité. »

Il y a aussi une nouvelle initiative : un laboratoire d’accélération en économie circulaire dans le secteur de la construction connu sous le nom de Lab construction piloté par le Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire (CERIEC). Le Lab construction a déjà lancé des appels à projets et s’affaire à développer une meilleure vision circulaire du secteur de la construction, à identifier les embûches et à proposer des solutions.

Dans le domaine de la gestion des matières résiduelles, les nouvelles dispositions incluront la carotte et le bâton. Il y aura des contraintes visant à changer un comportement et des incitatifs financiers pour favoriser le développement économique et la valorisation dans le secteur CRD.

1,2 milliard $ en soutien au verdissement du secteur industriel

Une enveloppe de 1,2 milliard de dollars est prévue pour les cinq prochaines années dans le Plan de mise en œuvre du gouvernement québécois pour soutenir le secteur industriel. Le ministre Benoit Charette a par ailleurs tenu à rappeler que plusieurs mesures sont déjà applicables pour inciter les entreprises industrielles à accélérer leur engagement dans le verdissement de leurs opérations. Elles visent, par exemple, à encourager les grandes entreprises industrielles à convertir l’utilisation de leurs sources d’énergie fossile à l’hydroélectricité.

Pour les petites entreprises, il existe aussi un programme qui a fait ses preuves et qui offre du financement, le programme ÉcoPerformance. « Oui, il y a des objectifs à atteindre, insiste le ministre, mais il y a aussi plusieurs programmes pour aider les entreprises de petite taille et le secteur industriel plus lourd à se transformer en développant des nouvelles approches pour réduire leurs émissions de GES. »

Une nouvelle politique d’aménagement du territoire

Un tout nouveau plan d’action concernant l’aménagement du territoire sera présenté d’ici la fin de l’hiver par la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest. Il s’inscrira à la suite de la nouvelle Politique d’aménagement du territoire publiée au printemps 2022. Le ministre Benoit Charette précise que ce plan d’action touchera en profondeur le patrimoine bâti et le développement du territoire. Il impliquera à la fois les ministères des Affaires municipales, de l’Agriculture et de l’Environnement, de manière à assurer une modernisation à la hauteur des changements devenus nécessaires d’une loi vieille de 40 ans.

Toute l’opération requerra donc des modifications importantes de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme afin de favoriser un meilleur aménagement du territoire, tout en prenant en compte les changements climatiques et la protection des milieux humides, par exemple.

« C’est sûr que ça pourra affecter la façon de construire et de développer le territoire à l’avenir, explique le ministre Charette. Ce sont de nouvelles normes qui nous permettront d’atteindre certains objectifs, tantôt en ce qui concerne la densification du territoire, tantôt au niveau des émissions de GES, ce qui obligera les entreprises à se conformer aux nouvelles réglementations. »

Des occasions de partenariats publics-privés

Le ministère de l’Environnement n’est pas celui qui réalise des projets, a rappelé le ministre. « On élabore des programmes, c’est-à-dire que l’on est responsable du financement de bon nombre d’’initiatives, dont certaines d’entre elles peuvent se retrouver aussi dans d’autres ministères. On en a qui relèvent directement de nous, par exemple, au niveau de la transition énergétique. On est là pour favoriser des partenariats par des aides financières et par la mise en place de l’expertise nécessaire. »

« D’ailleurs, ajoute-t-il, plusieurs programmes que l’on met de l’avant sont des programmes pour lesquels les entreprises peuvent répondre à des appels à projets. Dans certains cas, il en résulte des partenariats publics-privés, comme dans le domaine de la biométhanisation. En fait, il y a déjà beaucoup de partenariats privés-publics dans le domaine de la gestion des matières résiduelles à la grandeur du Québec. »

« Oui, il y a de la réglementation, conclut le ministre Charette, mais elle est généralement accompagnée de plusieurs incitatifs financiers pour aider les entreprises à s’y conformer. » ■