Pénurie de main-d’œuvre : revoir la culture à la source
Entrevue avec Jean-François Bertholet Conseiller en ressources humaines et chargé de cours à HEC Montréal
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« Rien ne sert de réinventer la roue, il suffit de tout simplement revenir à la base et d’insuffler à nos pratiques une bonne dose d’humanité », explique Jean-François Bertholet
Secoué par une pénurie de main-d’œuvre sans précédent, le marché du travail québécois — l’industrie de la construction en tête — n’a pas le choix de réinventer ses pratiques de gestion. Mais si, plus que des tactiques de rétention, c’était la culture même des entreprises qu’il fallait revoir ?
Par Florence Sara G. Ferraris
Quand on lui demande ce qui cloche en matière de gestion des ressources humaines au Québec, Jean-François Bertholet éclate de rire. « Vous vous doutez bien que ce n’est pas une petite question et que la réponse est à multiples volets », lance tout de go celui qui gravite dans le domaine depuis une quinzaine d’années.
Également chargé de cours spécifiquement sur ces questions à HEC Montréal, le conseiller en ressources humaines en a en effet vu de toutes les couleurs au fil de sa carrière. « Des stratégies d’acquisition de talents ou de rétention du personnel, il y en a plein qui ont été développées et mises à l’essai au cours des dernières années, souligne-t-il. Mais malheureusement, c’est souvent artificiel, un peu comme du glaçage à gâteau, et ça passe à côté de l’essentiel : le simple gros bon sens. »
« Les meilleurs leaders sont surtout, et avant tout, des gens humains, précise Jean-François Bertholet. Et ça, ça parle plus de légitimité que d’autorité. »
Selon lui, rien ne sert donc de réinventer la roue — ou d’investir de grosses sommes pour ouvrir un bar clandestin dans la salle des employés ou d’embaucher un barista branché —, il suffit tout simplement de revenir à la base et d’insuffler à nos pratiques une bonne dose d’humanité.
Bâtir la confiance
Concrètement, cela ne veut toutefois pas dire grand-chose, admet Jean-François Bertholet. « C’est beaucoup une question de confiance et de climat de travail ; ce n’est pas quelque chose que vous pourrez forcer du jour au lendemain. » Cela veut notamment dire de responsabiliser les employés afin qu’ils se sentent impliqués dans les prises de décision de l’entreprise, de mettre en place des mécanismes de rétroaction et de valorisation et d’offrir de la formation continue. « Il faut que les employés sentent qu’ils font partie de quelque chose, que leur présence contribue à faire avancer l’entreprise et qu’ils participent au choix des objectifs organisationnels. »
Surtout, comme gestionnaire, il est important de faire preuve d’exemplarité et donc de mettre en application dans sa propre vie professionnelle les préceptes qu’on souhaite voir être repris par les employés. On peut penser au droit à la déconnexion, par exemple. Un gestionnaire qui l’offre à ses employés, mais qui continue d’envoyer des courriels au milieu de la nuit, ça n’envoie pas le bon message. « Il faut être conséquent et cohérent », insiste le conseiller. Cela ne veut toutefois pas dire que les employeurs doivent être parfaits en tout point ! « Ce n’est pas tant d’être irréprochable, précise Jean-François Bertholet avec sérieux. Les meilleurs leaders sont surtout, et avant tout, des gens humains. Et ça, ça parle plus de légitimité que d’autorité. »
« Ce n’est pas sorcier, mais c’est un travail de tous les jours, renchérit-il avec un sourire dans la voix. Une affaire d’entretien plutôt que de coups de circuit. » Pour lui, cela passe également par la mise en place de canaux de communication solides et d’espaces de dialogue clair, et ce, à tous les niveaux de l’entreprise.
« Marque employeur »
En agissant de la sorte, Jean-François Bertholet est convaincu qu’il est possible d’attirer plus facilement de nouveaux talents et, surtout, de retenir ceux qui arrivent. « De nos jours, le mot se passe assez vite quand un climat toxique s’installe au sein d’une entreprise, avertit le chargé de cours. Il est donc important de peaufiner nos relations avec nos employés en poste, mais aussi avec ceux qui ont l’intention de quitter. Parce que ce sont eux, ensuite, qui passent le mot. »
D’autant que dans le contexte actuel, les gens ont des opportunités multiples. Il invite donc les gestionnaires à être vigilants et à faire les efforts nécessaires pour mettre en place un climat de travail humain et bienveillant. « Les employeurs n’ont plus vraiment droit à l’erreur, note-t-il. Le rapport de force est entre les mains des employés… mais ce n’est peut-être pas plus mal ! Parce que ça forcera les entreprises à s’humaniser. » ■