MAGAZINE CONSTAS

De grands enjeux pour la société d’État

Entretien avec la PDG d’Hydro-Québec, Sophie Brochu

« Nous allons lancer en 2021 un nouvel appel d’offres pour de l’énergie renouvelable, et la filière éolienne aura assurément son rôle à jouer. » – Sophie Brochu

Quelle période singulière pour se retrouver présidente-directrice générale d’Hydro-Québec ! Dans le contexte actuel d’inquiétude, d’incertitude, de perturbation, non seulement pour le Québec mais pour le monde entier, une énorme responsabilité incombe à notre société d’État la plus emblématique et, naturellement, à celle qui porte la lourde charge de la diriger. Nous avons eu le privilège de rencontrer Sophie Brochu pour faire le point.

Par Jean Brindamour

Q. Après plus d’un an de crise sanitaire, comment Hydro-Québec compte contribuer à la relance économique ?

R. On souhaite qu’Hydro-Québec soit un catalyseur pour soutenir la relance économique. Nous prévoyons notamment des investissements majeurs au Québec en 2021 de l’ordre de 4,6 G$ par rapport à 3,4 G$ en 2020. Nous allons aussi mettre l’épaule à la roue pour soutenir le Plan pour une économie verte, que ce soit par l’électrification accrue des bâtiments, ou l’intensification de l’électrification des transports et de nos efforts en efficacité énergétique. Nous pouvons assurément contribuer à la réduction des émissions de GES, mais cela doit se faire au meilleur coût possible.

Sophie Brochu, PDG d'Hydro-Québec
Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec

« On constate avec bonheur que le prix de l’éolien devient très compétitif, comme nous avons pu le voir avec le projet Apuiat, dont le prix d’achat est d’environ 6 ¢/kWh. Apuiat devient ainsi le parc éolien offrant le coût par kWh le plus compétitif de tous les parcs éoliens sous contrat au Québec. C’est une filière mature et complémentaire à nos ressources hydroélectriques. » — Sophie Brochu

Q. Hydro-Québec déposera cet automne un nouveau plan stratégique, en remplacement du plan stratégique de votre prédécesseur, qui devait guider la société d’État jusqu’en 2024. Était-il déjà obsolète ?

R. Il ne s’agit pas de faire une mise à plat du plan stratégique précédent. Il y a des grandes orientations qui sont toujours pertinentes, mais d’autres que nous devons écarter, et certaines qui doivent naître ou être accélérées. L’année 2020 a frappé fort, mais on sent le retour à un certain dynamisme et Hydro-Québec sera là pour supporter cette relance. On anticipe livrer un bénéfice net de 2,7G$ en 2021.



Q. Hydro-Québec a annoncé qu’elle relancerait la filière éolienne cette année. Pourquoi cette relance ?

R. Nous anticipons une croissance de la demande québécoise d’électricité de 15,9 térawattheures d’ici 2029. Pour s’assurer de pouvoir répondre aux besoins en électricité du Québec, nous allons lancer en 2021 un nouvel appel d’offres pour de l’énergie renouvelable, et la filière éolienne aura assurément son rôle à jouer. On constate avec bonheur que le prix de l’éolien devient très compétitif, comme nous avons pu le voir avec le projet Apuiat, dont le prix d’achat est d’environ 6 ¢/kWh. Apuiat devient ainsi le parc éolien offrant le coût par kWh le plus compétitif de tous les parcs éoliens sous contrat au Québec. C’est une filière mature et complémentaire à nos ressources hydroélectriques.

Q. La filière solaire est-elle encore sur la table d’Hydro-Québec ?

R. Nous avons un intérêt pour la filière solaire, qui devrait d’ailleurs connaître une diminution encore plus marquée des coûts dans les prochaines années. On a construit deux centrales solaires d’une capacité de production annuelle combinée de près de 10 mégawatts. Ces centrales solaires vont nous permettre, entre autres, d’évaluer la production centralisée d’énergie solaire, et d’approfondir nos connaissances quant aux effets de la production solaire sur le réseau électrique et sur la gestion du parc de production. Chez nos clients, on peut envisager que des installations solaires d’appoint deviendront une option de plus en plus intéressante.



Q. Et qu’en est-il de la filière hydroélectrique ?

R. Notre hydroélectricité continuera de jouer un rôle important comme énergie de base, car elle est fiable et renouvelable. Les réservoirs sont une richesse extraordinaire pour les énergies intermittentes. C’est une richesse collective que nous mettons à contribution pour décarboner notre économie. C’est une force pour réaliser la transition énergétique et électrifier nos bâtiments, nos industries et nos transports. L’hydroélectricité est également un atout pour soutenir les efforts de nos voisins dans leur transition énergétique. Nos réservoirs représentent une énorme batterie verte pour le nord-est du continent nord-américain.

Q. Et les relations avec les premières nations, si cruciales pour les projets hydroélectriques ?

R. Avec nos partenaires autochtones, les façons de faire d’aujourd’hui sont mieux que celles d’autrefois, mais nous devons continuer à collaborer pour les améliorer. Nous ne sommes certainement pas parfaits, mais nous sommes résolument engagés à construire des relations basées sur l’authenticité, le respect et l’écoute. L’histoire d’Hydro-Québec est intimement liée à celle des peuples autochtones du Québec. Son avenir le sera tout autant.

Q. Quelques mots sur la place de l’innovation chez Hydro-Québec.

R. L’innovation fait partie de l’ADN d’Hydro-Québec. Notre Institut de recherche met depuis plus de 50 ans ses ressources au service du Québec. Mon souhait est qu’il y ait une plus grande collaboration dans le domaine de la recherche et de l’innovation, une plus grande place à l’innovation ouverte. L’innovation technologique nous permet de participer à la transition énergétique en offrant à nos clients et nos partenaires des solutions qui vont faciliter leur vie, que ce soit Hilo pour nos clients qui souhaitent une maison plus intelligente dans sa consommation d’énergie, ou encore EVLO dont la technologie de batteries de grande capacité va permettre d’optimiser la gestion de réseau d’électricité et l’intégration de plus d’énergies renouvelables intermittentes, comme l’éolien ou le solaire, ou pour mieux gérer les pointes de consommation. Au niveau du transport électrique, il y a le défi de développer l’infrastructure de recharge pour les véhicules lourds, comme les autobus scolaires et urbains. Les coûts sont importants, mais on y travaille.

« L’innovation fait partie de l’ADN d’Hydro-Québec, rappelle sa PDG. Notre Institut de recherche met depuis plus de 50 ans ses ressources au service du Québec. Mon souhait est qu’il y ait une plus grande collaboration dans le domaine de la recherche et de l’innovation, une plus grande place à l’innovation ouverte. » CR: Hydro-Québec

 

Q. Les conséquences des changements climatiques inquiètent. On sait ce qui s’est passé au Texas. Est-ce que ces événements servent ou desservent le développement des énergies dites propres ?

R. Le virage vers les énergies renouvelables est une tendance mondiale qui ne s’arrêtera pas. Les changements climatiques ne sont pas un frein au développement des énergies renouvelables, mais plutôt une réalité dont nous devons tenir compte, et qui nous force à adapter nos équipements et notre façon de gérer un grand réseau comme celui d’Hydro-Québec. Ce que l’exemple du Texas nous a démontré, c’est l’importance d’avoir des réseaux de transport et de production qui peuvent faire face aux aléas climatiques. C’est pourquoi nous devons investir intelligemment dans la maintenance de nos équipements.

« Le virage vers les énergies renouvelables est une tendance mondiale qui ne s’arrêtera pas. Les changements climatiques ne sont pas un frein au développement des énergies renouvelables, mais plutôt une réalité dont nous devons tenir compte, et qui nous force à adapter nos équipements et notre façon de gérer un grand réseau comme celui d’Hydro-Québec. » — Sophie Brochu

Q. Hydro-Québec se lance dans la production d’hydrogène. Pourquoi ce nouveau créneau ?

R. Le Québec bénéficie d’atouts très favorables à la production d’hydrogène vert, et nous avons l’opportunité de nous positionner comme un chef de file dans ce domaine. Le développement de la filière de l’hydrogène vert constitue une solution stratégique pour aider le Québec à opérer sa transition énergétique. En effet, il favorisera la décarbonation de l’économie en permettant l’électrification indirecte des usages pour lesquels l’électrification directe n’est pas possible techniquement ou économiquement, comme les procédés industriels, le transport lourd et les procédés chimiques.

Q. Et le grand dossier de l’exportation ? Est-ce que les perspectives sont bonnes ?

R. Les perspectives sur les marchés d’exportation sont très bonnes. Nous avons une entente avec le Nouveau-Brunswick pour exporter un total de 47 TWh vers cette province d’ici 2040. Notre projet New England Clean Energy Connect (NECEC) pour livrer 10 TWh d’énergie chaque année pendant 20 ans au Massachusetts progresse très bien. Et nous avons d’excellentes perspectives pour le projet Champlain Hudson Power Express (CHPE) dans le cadre de l’appel de propositions de l’État de New York.

Ligne multiterminal à courant continu vers les États-Unis. CR: Hydro-Québec

Q. Quels sont les projets d’Hydro-Québec à retenir ?

R. Il y a plusieurs projets importants, chacun ayant sa raison d’être et ses objectifs. Je pense entre autres à l’efficacité énergétique, sur laquelle nous devons miser encore plus. La pérennité et la maintenance de nos installations sont aussi parmi les projets importants pour les prochaines années. Nous avons la responsabilité d’assurer que notre réseau de transport et de distribution, ainsi que notre parc de production, soient fiables et prêts à servir le Québec dans les décennies à venir. ■