MAGAZINE CONSTAS

Remplacement des lignes à haute-tension Bécancour / Trois-Rivières

Une traversée à contre-courant

Une opération particulière d’ingénierie qui a demandé deux ans et demi de réflexion et de préparation dont 12 mois de planification entre Hydro-Québec et la coentreprise TCI-ARNO.

Construite en 1958, la ligne à haute-tension Bécancour / Trois-Rivières au-dessus du fleuve Saint-Laurent s’est révélée dès l’origine un ouvrage hors normes, à contre-courant des pratiques de l’époque. Ce fut aussi le cas l’été dernier pour le remplacement des lignes. En termes de géographie du site, de hauteur de pylônes, du type de câble utilisé et, bien sûr, de méthode de remplacement.

par Michel Joanny-Furtin

La fin de vie utile des conducteurs de la ligne de transport d’électricité à 230 kV nécessitait leur remplacement. Une opération qui tombait à point nommé puisqu’au passage, Hydro-Québec améliora la capacité de transit en développant un nouveau conducteur au ratio acier-aluminium performant.

 

À l’aide de barges sur le fleuve, chaque câble fut détendu au moyen de poulies, coupé puis enroulé en étant ramené sur une rive. CR: Hydro-Québec

 

Cette opération particulière d’ingénierie a demandé deux ans et demi de réflexion et de préparation dont 12 mois de planification entre Hydro-Québec et la coentreprise TCI-Arno afin de trouver une méthode de remplacement fiable et réalisable avant le début des travaux en juillet 2020.

D’un point de vue géographique, les rives ne sont pas surélevées comme à Québec. Les pylônes sont installés au niveau du fleuve : « Les concepteurs de l’époque, pour assurer le respect de la distance minimale entre les conducteurs et le fleuve, ont choisi de construire de très hauts pylônes de traversée (120 m de hauteur) et d’exercer une forte tension mécanique sur les conducteurs », explique Simon Prud’homme, ingénieur civil en ligne de transport chez Hydro-Québec.

 

Les nouveaux câbles ont été déployés, un à un, d’une rive à l’autre à l’aide d’un bateau, de câbles de tirage et d’autres équipements spécialisés, puis retendus jusqu’à une hauteur centrale, au-dessus du Saint-Laurent, qui assurera en tout temps un tirant d’air équivalent à celui du tablier du pont Laviolette. CR: Hydro-Québec

Un ensemble de complexités techniques

Selon Hugo Ferland, ingénieur Méthodes de construction, le remplacement des conducteurs représentait tout un défi, exigeant « des accessoires adaptés et une méthode originale pour les installer. »

Ce projet comportait un ensemble de complexités techniques : la hauteur des pylônes de suspension (120 m); une portée principale de près de 1,5 km (1460m) perpendiculaire à la voie navigable du Saint-Laurent, une tension mécanique d’environ 220 kilonewtons par conducteur (ils sont trois), une quincaillerie particulière pour chaque conducteur non continu aux deux pylônes de traversées en suspension et, pour parachever le défi technique, un conducteur non conventionnel…à brins trapézoïdaux !



 

« Les concepteurs de l’époque, pour assurer le respect de la distance minimale entre les conducteurs et le fleuve, ont choisi de construire de très hauts pylônes de traversée (120 m de hauteur) et d’exercer une forte tension mécanique sur les conducteurs ». – Simon Prud’homme, ingénieur Conception de lignes et génie civil et transport chez Hydro-Québec.

La première année fut consacrée aux études, rappelle-t-il : conducteur, environnement, relations publiques, ébauche d’une méthode, etc. Les 18 mois suivants furent dédiés à obtenir les permis et autorisations, à définir la méthode et ses contraintes, au choix de l’entrepreneur, aux essais en laboratoire sur le conducteur et les pinces de tirage, aux études bathymétriques (mesure des profondeurs et du relief), et finalement aux travaux.

Préparer le terrain… et la circulation nautique

Avant de remplacer les trois câbles de la traversée fluviale, la coentreprise TCI-ARNO réalisa certains travaux préparatoires comme l’aménagement des accès et des aires de travail au pied des pylônes, à l’aide de matelas de bois et de jetées de pierre, ainsi qu’un contournement temporaire pour assurer une relève en cas de panne de l’alimentation principale à l’usine papetière Kruger.

Pour le retrait des câbles vétustes, la ligne fut mise hors tension. Puis, à l’aide de barges sur le fleuve, chaque câble fut détendu au moyen de poulies, coupé puis enroulé en étant ramené sur une rive.« Pour des raisons de sécurité, il a fallu interrompre la navigation sur le fleuve et séquencer les travaux selon des entraves maximales de 8 heures », ajoute Simon Prud’homme. « Il fallait donc choisir une période moins critique de la circulation fluviale en collaboration avec les gestionnaires du Saint-Laurent.

Une méthode expérimentale « Pour le démantèlement, le conducteur central représentait à lui seul un premier défi puisqu’il passe au centre du pylône, dans une “fenêtre”. C’est par ailleurs ce câble qui a dicté le choix de la méthode retenue. »

 

L’installation des nouveaux conducteurs. CR Hydro-Québec

 

Selon Hugo Ferland, « une des particularités de cette ligne, c’est que les conducteurs ne sont pas fixés dans une pince de suspension, comme c’est habituellement le cas, ce qui oblige à couper et manchonner les conducteurs dans les airs pour la pose des nouveaux conducteurs. Comme ces manœuvres exigent l’utilisation de pinces de tirage à des tensions mécaniques élevées, des tests en laboratoire ont permis de fixer les limites d’utilisation et les résultats nous ont obligés à revoir notre méthode de travail.

« Cette nouvelle méthode demande des calculs pointus », admet l’ingénieur. « Au lieu de procéder à un manchonnage aérien, on le fait lorsque les conducteurs sont au sol et que la tension mécanique exercée est plus faible. Les conducteurs ont été ainsi déroulés sur toute leur longueur (près de 2,5 km) à l’aéroport de Trois-Rivières et réenroulés sur leur touret pour être transportés sur le site des travaux. »

« Ces conducteurs ont été pré-mesurés et pré-marqués avant leur installation », précise Simon Prud’homme. « La coupe était effectuée pendant le déroulage : lorsque la marque apparaissait, on ancrait le conducteur au sol, on le coupait, on installait les manchons, puis on poursuivait le déroulage. »

Le gabarit du pont Laviolette

Les nouveaux câbles ont été déployés, un à un, d’une rive à l’autre à l’aide d’un bateau, de câbles de tirage et d’autres équipements spécialisés, puis retendus jusqu’à une hauteur centrale, au-dessus du Saint-Laurent, qui assurera en tout temps un tirant d’air équivalent à celui du tablier du pont Laviolette.

La mise en place des nouveaux conducteurs a nécessité une approche technique particulière pour éviter la déformation des pylônes, comme l’expliquent les deux ingénieurs : « La méthode planifiée limitait les débalancements en assurant la continuité des efforts par un transfert de charge des câbles de travail vers les conducteurs, avec une évaluation préalable de la structure des pylônes. »

Une première sur le réseau

Selon Pierre Van Dyke de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec, « la section de ligne remplacée constituait un goulot d’étranglement, limitant le transit d’énergie ». L’ingénieur Simon Prud’homme a proposé un conducteur à fils trapézoïdaux en alliage d’aluminium renforcé d’acier haute résistance (AACSR), capable de supporter une tension mécanique élevée, sans changer le diamètre externe du conducteur. Elle permet d’augmenter considérablement la capacité de transit de la ligne tout en respectant la capacité structurale des pylônes et le dégagement au-dessus de la voie maritime du Saint-Laurent.

 

Coupe, brin trapézoïdal. Pour un même diamètre, l’utilisation de fils trapézoïdaux (couches externes) permet d’augmenter l’aire d’aluminium de 16%. CR: TCI-Arno

 

Habituellement, les fils ou brins d’un conducteur sont ronds et superposés. Les brins en trapèze laissent moins d’espaces vides entre les fils, offrent une meilleure conductivité et améliorent la capacité de transit de la ligne, pour un même diamètre.

Les installations temporaires des berges ayant été retirées du site, il reste à défaire un remblai qui a été érigé sur la rive nord. L’opération sera effectuée au cours de l’été 2021, lorsque le niveau d’eau sera plus bas afin de réduire l’impact l’environnemental.