MAGAZINE CONSTAS

La bonne foi et la possibilité de renégocier des dispositions contractuelles

La Cour suprême apporte une nuance

Chronique juridique / AVIS DE COUR

La crise de la COVID-19 a mis en évidence une réalité qui n’avait jamais été vécue auparavant. En effet, le monde de la construction s’est vu confronté à gérer des contrats signés avant la crise qui, pour la plupart, ne contenaient aucune clause permettant de s’adapter à la situation nouvelle qui a suivi.

Par Me Marie-Douce Huard *

Une question demeure : comment gérer l’exécution d’un contrat dans des circonstances qui n’ont rien à voir avec les conditions initiales sur lesquelles les parties s’étaient entendues ? Par ailleurs, où se situe la limite entre le droit d’exiger l’application intégrale des dispositions contractuelles et celui implicite de collaboration et de bonne foi pour l’atteinte du seul objectif : la réalisation du contrat.

La règle générale en matière contractuelle a toujours été l’impossibilité de renégocier une disposition contractuelle à moins d’une entente entre les parties.

Le principe d’équité et de bonne foi a souvent été rejeté par les tribunaux comme étant un élément pouvant forcer le co-contractant à renégocier une disposition de son contrat. C’est ce principe qu’a réitéré la Cour suprême dans la décision Churchill Falls** avec une nuance importante. Quoique la Cour suprême rappelle que la bonne foi doit guider les relations contractuelles et qu’elle ne permet pas de mettre de côté un contrat valablement signé, elle ajoute que ce principe s’applique uniquement dans le cas où cette renégociation n’est au bénéfice que d’une seule partie.



Cette mention de la Cour suprême est un élément important à notre avis. De plus, une récente décision de la Cour d’appel dans l’affaire Constructions Concreate ltée***, est venue confirmer qu’il ne suffit pas de limiter l’examen des obligations d’une personne à la simple lecture du contrat, et ce, en omettant d’analyser le caractère abusif ou non du refus d’une partie de passer outre à une clause dudit contrat. Une partie doit collaborer en posant des gestes concrets afin de permettre la réalisation des obligations de son cocontractant. Là est l’élément clé de cette décision. Un geste positif doit être posé pour rencontrer cette obligation de bonne foi.

Ainsi, l’obligation d’agir de bonne foi et l’abus résultant de l’exigence d’appliquer strictement son contrat peuvent, à notre avis, être invoqués en cas de refus de renégocier un contrat ou d’accepter une souplesse dans son application.

Nous sommes également d’avis que cette obligation positive permet d’aller jusqu’à la renégociation de dispositions contractuelles dans le but d’atteindre l’objectif du contrat, soit la réalisation des travaux dans un délai donné, sans abus et à un prix juste et équitable.

Le vieil adage « Les paroles s’envolent, mais les écrits restent » devient votre meilleur allié.

Toutefois, il s’agit d’un principe dont il est difficile d’établir un cadre uniforme. Le comportement d’une partie et les raisons qui soutiennent son refus de collaborer sont des questions de fait et chaque cas est différent.

Il est important de rappeler que la bonne foi est une obligation qui se rattache aux comportements d’une partie et ne peut servir à imposer des obligations qui dépasseraient complètement la nature du contrat intervenu.

Le devoir de bonne foi ne peut priver une partie de son droit de s’en remettre intégralement au contrat. Cependant, ce droit de s’en remettre au contrat ne doit pas être déraisonnable et l’extrait suivant de la décision de la Cour d’appel le démontre :

« [87]  En l’espèce, le refus de l’intimée d’autoriser la fermeture d’une voie de circulation dans chaque direction sur l’A-35 pendant près de deux mois à l’été 2011, son silence face aux interventions de la CSST à ce sujet et à l’ouverture de cette dernière à considérer des solutions alternatives, le cas échéant, pour finalement accéder à cette demande lors de la réunion de chantier du 21 juillet 2011, dénotent dans les circonstances un comportement déraisonnable et un abus de droit contractuel. »

En conclusion, cette récente décision met de l’avant l’importance pour les parties à un contrat d’agir de bonne foi en posant des gestes concrets, et de collaborer entre elles afin de s’assurer que le but premier du contrat soit atteint.

Par contre, cette obligation de bonne foi et de renégociation ne peut pas être invoquée dans toutes les circonstances.

Si une telle situation se présente, il est important de bien documenter les différentes demandes que vous formulez et les motifs invoqués pour refuser de renégocier votre contrat. Le vieil adage « Les paroles s’envolent, mais les écrits restent » devient votre meilleur allié. ■


* Marie-Douce Huard est avocate associée chez Cain Lamarre.
** Churchill Falls (Labrador) Corp c. Hydro-Québec, 2018 CSC 46.
*** Constructions Concreate ltée c. Procureure générale du Québec, 2020 QCCA 570. Cette décision n’ayant pas fait l’objet d’une demande pour permission d’appel à la Cour suprême, elle fait donc autorité.