MAGAZINE CONSTAS

Les quartiers et bâtiments à l’heure des changements climatiques

La thèse et la feuille de route de Catherine Dubois

Dossier Constas 
LA CONSTRUCTION À L’ÈRE DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Il faut intégrer plusieurs stratégies d’adaptation au changement climatique et mettre en œuvre des mesures à quatre niveaux d’intervention : la forme urbaine, l’architecture, les matériaux et le couvert naturel.

La science cumule les preuves à l’effet que les changements climatiques menacent l’environnement bâti. Il y a bel et bien péril en la demeure; les bâtiments, les quartiers et les villes sont au cœur de nouveaux enjeux. Des bâtiments aux infrastructures, il n’y a qu’un pas.

Par Jean Garon

Une doctorante de l’Université Laval à Québec, Catherine Dubois, s’est penchée sur la problématique en 2014 pour produire une thèse intitulée Adapter les quartiers et les bâtiments au réchauffement climatique: une feuille de route pour accompagner les architectes et les designers urbains québécois. Cette thèse lui a d’ailleurs valu le Prix de la meilleure thèse en cotutelle Québec-France en 2015.

Catherine Dubois

Même si sa thèse s’appuyait plus spécifiquement sur l’étude des impacts relatifs à l’augmentation des températures estivales et aux îlots de chaleur urbains sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Québec, elle n’en a pas moins une portée plus grande à l’échelle « des villes des latitudes tempérées froides » et demeure plus que jamais d’actualité. Elle apparaît comme « un outil conçu pour sensibiliser et amener les professionnels à concevoir des projets mieux adaptés au climat de demain ».

Ce qui ressort, c’est le constat que les professionnels impliqués dans la conception des bâtiments en milieux urbains n’ont pas toujours toutes les connaissances et tous les outils en main pour les aider à composer avec cette nouvelle réalité climatique. D’où sa proposition d’une feuille de route (FDR) qui favorise l’intégration de stratégies d’adaptation au changement climatique lors de l’élaboration ou de la conception de projets urbains et architecturaux. Comme le démontre la thèse de Catherine Dubois, il s’agit de stratégies permettant de mettre en œuvre diverses mesures à quatre niveaux d’intervention : la forme urbaine, l’architecture, les matériaux et le couvert naturel.

« À titre d’exemple, explique-t-elle, les actions sur la forme urbaine ont un impact direct sur l’intensité d’un îlot de chaleur urbain parce que la hauteur des bâtiments, la largeur, l’orientation des rues et la densité construite dictent la capacité du tissu urbain d’accumuler et de dissiper la chaleur. »

 



 

« À une autre échelle, poursuit-elle, les choix architecturaux sont décisifs de l’efficacité des stratégies passives et énergétiques, car la forme, l’implantation, la compacité, l’isolation, l’étanchéité et la proportion d’ouvertures d’un bâtiment déterminent notamment sa capacité de se refroidir passivement l’été et de se protéger du froid l’hiver. »

Par ailleurs, ajoute-t-elle, « les choix de matériaux qui recouvrent les trottoirs, chaussées, espaces publics et stationnements agissent aussi sur l’intensité d’un îlot de chaleur urbain, car leur couleur, leur texture, leurs propriétés radiatives et thermiques influencent la part de chaleur stockée dans la ville. Il en est de même pour les interventions sur le couvert naturel; les espaces verts et les milieux humides ont la capacité d’abaisser la température de l’air ambiant tout en réduisant le besoin de recourir à la climatisation. »

Dans le prolongement de sa thèse, Catherine Dubois travaille depuis le début de l’année sur un projet porté par l’Observatoire québécois d’adaptation aux changements climatiques de l’Université Laval en collaboration avec le consortium Ouranos. Ce projet financé par Ressources naturelles Canada vise à élaborer des formations pour les architectes, les ingénieurs et les urbanistes sur ce sujet d’ici le printemps 2021. Ces formations pourront être suivies sous forme présentielle ou à distance, et elles pourront être accréditées éventuellement par les différents ordres professionnels.

Présentement à l’emploi de la Société québécoise des infrastructures (SQI) à titre de conseillère en développement durable, Catherine Dubois nous a confié en entrevue qu’elle poursuit des recherches sur l’évaluation des risques climatiques en gestion d’immeubles. « J’évalue, entre autres, la vulnérabilité d’un bâtiment aux tempêtes de verglas, sur l’impact que ça peut avoir sur la santé des occupants et leur sécurité en cas d’une panne électrique, par exemple. Ça va même jusqu’à considérer les risques pour les passants à l’extérieur du bâtiment, lorsqu’il y a des accumulations de glace sur des structures en surplomb de la voie publique. »

C’est un projet de la SQI financé par le Fonds vert, en partenariat avec Ouranos et l’Institut de santé publique du Québec. Commencé en avril 2019, ce projet de recherche devrait mener au développement d’une méthode d’évaluation de la vulnérabilité des bâtiments aux changements climatiques. La méthode pourrait être rendue disponible à d’autres gestionnaires immobiliers, publics ou privés, d’ici la fin de l’année.

En ce qui concerne finalement les constructeurs de grands bâtiments, s’ils ne sont pas impliqués dans un processus de conception intégrée, ils pourront toujours s’en remettre aux plans et devis des concepteurs et aux futures versions du Code national du bâtiment (CNB). Ce dernier contiendra en effet des prescriptions concernant certaines mesures d’atténuation ou d’adaptation aux changements climatiques. Cela les obligera à adapter les spécifications techniques à la réalité du chantier, en adaptant certaines technologies ou méthodes de construction et en adoptant certains matériaux prescrits. ■


Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’est pas très rassurant; ses derniers rapports mettent en évidence que les émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement climatique ne sont pas stabilisées et restent en croissance.
De son côté, Environnement et Changement climatique Canada confirmait l’an dernier que le réchauffement du climat est en moyenne deux fois plus important ici, au Canada, que celui du reste de la planète, avec des effets dans plusieurs régions qui risquent de s’intensifier à l’avenir. Même le Bureau d’assurance du Canada (BAC) constate que les indemnités versées pour des dommages causés aux propriétés par des événements météorologiques extrêmes ont explosé depuis 2008.