MAGAZINE CONSTAS

La vénérable terrasse Dufferin

Le visage radieux de Québec

C’est à l’illustre Frederick Temple Blackwood (qui devint en 1888 le 1er marquis de Dufferin et Ava) que l’on doit la terrasse Dufferin, comme tant d’autres beautés de la vieille capitale.

Il n’est guère exagéré de soutenir que la terrasse Dufferin porte dans ses entrailles toute l’histoire de la vieille capitale et une partie considérable de celle de la Nouvelle-France et de l’Amérique du Nord britannique.

Par Jean Brindamour

La première et la seconde terrasse Durham

Le fort Saint-Louis, construit près de l’actuel funiculaire dès 1620, fut transformé, plus tard au cours du XVIIe siècle, en forteresse, puis en château, et a servi de résidence aux gouverneurs de la colonie, sous les régimes français et britannique entre 1648 et 1834. En 1838, quelques années après l’incendie de 1834, le gouverneur d’alors, Lord Durham, fait raser les ruines du château Saint-Louis jusqu’aux fondations pour y construire la première terrasse (1838-1854). Son succès populaire entraine la restauration et l’allongement de la seconde terrasse Durham (1854-1878). À cette époque, elle occupe une petite partie du promontoire.

La terrasse Dufferin. La Terrasse vue de la rue Champlain. Gravure de 1880.

Enfin Lord Dufferin arriva

Cependant, c’est à l’illustre Frederick Temple Blackwood que l’on doit la terrasse Dufferin, comme tant d’autres beautés de la vieille capitale. Celui qui devint en 1888 le 1er marquis de Dufferin et Ava (mentionnons qu’il avait souhaité porter le titre de marquis de Dufferin et Québec, mais que cela lui fut refusé pour des considérations politiques) séjournait en été, pendant son mandat de gouverneur général du Canada de 1872 à 1878, à la Citadelle de Québec, et y conçut des plans pour l’aménagement de la promenade. Grâce à son intervention, le patrimoine de Québec fut sauvé contre ceux qu’il a qualifiés de goths et de vandales, nommément les membres du conseil municipal ainsi que l’architecte Charles Baillairgé qui avaient décidé, au début des années 1870, la démolition des fortifications, et ce afin de favoriser la circulation et de stimuler les activités urbaines. Lord Dufferin, très sensible à la beauté de Québec et de ses fortifications, s’est interposé en proposant plutôt la mise en valeur des murailles et des portes, ainsi que le prolongement de la terrasse Durham jusqu’à la Citadelle, qui offrait, disait-il, un spectacle qu’on ne saurait trouver du Cap Horn au pôle Nord. Dufferin s’accordait toutefois avec l’architecte Baillairgé sur la nécessité d’agrandir la Terrasse. Les deux hommes ont donc pu collaborer ensemble à ce grand projet et Lord Dufferin, en octobre 1878, quelques jours avant de quitter le pays, put poser la première pierre de cette terrasse emblématique inaugurée le 28 juin 1879 par son successeur, le marquis de Lorne, et son épouse la princesse Louise, la quatrième fille de la reine Victoria. Nous sommes avant l’époque du béton et de l’acier, et le planchéiage repose alors sur une ossature de bois, elle-même soutenue par des murs de pierres.

La terrasse Dufferin. « La vue de la Plateforme est incomparable. Le spectacle est si beau, que je lui rendrai l’hommage discret de ne point le décrire, après tant d’autres qui n’ont pas réussi à le bien rendre. » James Macpherson Lemoine, 1872

 

En novembre 1879, le funiculaire, qui relie la Terrasse à la Basse-Ville, entre en fonction. Quant au mur frontal, il est achevé en 1884. L’hôtel Château Frontenac est construit sur les lieux de l’École normale (l’ancien château Haldimand) et de quelques bâtiments environnants qui devront être rasés. La construction de cet édifice emblématique durera de 1892 à 1897. Finalement, le monument Samuel de Champlain, dû à un futur rescapé du Titanic, le sculpteur français Paul Chevré, est inauguré le 21 septembre 1898. Inséparable de la Terrasse, puisqu’il en est pour ainsi dire la porte d’entrée, il complète le tableau de ce secteur incomparable.

Reculs et progrès

L’éboulement du 19 septembre 1889 est catastrophique : après des pluies diluviennes, des milliers de tonnes de roches s’écroulent sur les maisons de la rue du Petit-Champlain, détruisent sept maisons et tuent quarante-cinq personnes. La Terrasse elle-même perd une partie de ses murs et de son planchéiage.

Une crevasse s’étant ouverte dans le roc le lendemain, cette section fut remplacée par une structure en acier et en béton, tandis qu’on installa un système d’ancrage métallique pour assurer la stabilité de l’ouvrage. Ces réparations durèrent une vingtaine d’années. Le 9 juillet 1914, un incendie se déclare dans la section du sud de la Terrasse qui l’endommage lourdement jusqu’à sa base. On en profite pour étendre l’implantation de la structure en acier et béton, comme en 1910 pour la section touchée par l’éboulement de 1889.

Dans les années suivantes, la structure n’a cessé d’exiger d’importants travaux de restauration. En 1980, une nouvelle réhabilitation de l’infrastructure étant prévue avec une machinerie moderne, il est décidé de l’accompagner, afin de protéger et de conserver le patrimoine historique enfoui, de fouilles archéologiques minutieuses tant sous la Terrasse que sur les terrains environnants.

Le chantier des fouilles des forts et des châteaux Saint-Louis durent jusqu’en 1987 et trouvent de nombreux trésors témoignant du mode de vie de nos ancêtres. En 2005, Parcs Canada retire une partie du tablier de madriers de la partie nord de la Terrasse et procèdent à d’importants travaux de consolidation du mur de fortification. Les travaux durent deux ans au cours desquels est constituée une collection de plus de 500 000 artéfacts et écofacts, témoignage des successives occupations du site de 1620 à 1834.

C’est en 2008, au moment du 400e anniversaire de la fondation de Québec, que ces vestiges sont ouverts au public grâce à un site maintenant aménagé pour permettre l’accès des lieux souterrains. Au splendide panorama s’ajoute ainsi une leçon d’histoire. •


« De ce vaste promontoire, écrit Alain Grandbois (1900-1975), on découvre l’un des plus beaux paysages de la planète Terre. » L’aspect du fleuve, « changeant selon les saisons », prend « les beaux soirs d’été » des « teintes d’un bleu léger, transparent et pur, que l’on ne retrouve qu’à ces mers intérieures, l’Adriatique ou la Méditerranée, ou dans les lacs de nos Rocheuses canadiennes ». « Le visage de Québec est l’un des plus émouvants parmi les visages du monde », conclut ce grand écrivain voyageur, familier des villes les plus prestigieuses du globe, de New York à Pékin, en passant par Londres, Bruges, Paris, Venise, Naples, Jérusalem, Hanoï et Macao.