MAGAZINE CONSTAS

Loi 132 sur la conservation des milieux humides et hydriques

L’industrie du granulat attend des réformes

Dans la mesure où l’industrie propose des mesures compensatoires lors de l’obtention de certificats d’autorisation, l’ACRGTQ souhaiterait que l’industrie du granulat soit assujettie au même titre que les autres industries au régime prévu par la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE).

Le projet de loi no 132, intitulé Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques (LCMHH) a été adopté par l’Assemblée nationale le 16 juin dernier. Malgré le fait que les dispositions de cette loi n’influencent pas directement l’actuel Règlement sur les carrières et sablières (RCS), elles soulèvent des discussions quant au cadre entourant l’industrie du granulat en lien avec les milieux humides. On fait le point avec Hugues Lapierre, ingénieur forestier et chef de projet chez Englobe Corp. ainsi qu’avec Me Isabelle Landry de BCF Avocats d’affaires.

Par Magalie Hurtubise

La compensation: à quel prix ?

En plus de la distance d’éloignement prévue à l’article 14 du RCS, le législateur prévoyait autrefois trois étapes à respecter dans tout projet en lien avec des interventions touchant les milieux humides: éviter, minimiser, compenser. «Il fallait d’abord éviter le milieu humide dans la mesure du possible, minimiser l’atteinte au milieu et enfin, si aucune de ces options n’était envisageable, la compensation s’appliquait», explique
Me Isabelle Landry.

La compensation pouvait se faire de différentes façons. La plus fréquente consistait à assurer la protection définitive d’autres milieux humides. La seconde visait à réaliser des travaux ayant pour objectif de créer ou d’améliorer des milieux humides ailleurs sur le territoire. Enfin, dans des cas plus particuliers, il était possible de compenser par l’émission d’un paiement en argent à un organisme ayant pour mission la protection ou la mise en valeur des milieux naturels.

Les dispositions de la LCMHH apportent un élément de nouveauté: pour la période transitoire, il n’existe aucune autre possibilité que de compenser par l’émission d’un paiement à l’intention du Fonds vert.

L’annexe 1 de la LCMHH revoit la méthode de calcul d’une contribution financière. En bref, le législateur évalue le coût d’un aménagement de milieu humide entre 20$ et 40$ le mètre carré auquel s’ajoute la valeur foncière du terrain. Un calcul qui se révèle pour le moins onéreux selon nos deux intervenants.

Ainsi, un promoteur souhaitant développer un nouveau projet impliquant des impacts sur un milieu humide doit s’acquitter de la valeur du terrain, obtenir les autorisations nécessaires auprès des autorités gouvernementales et enfin payer la somme associée au réaménagement de milieux humides équivalent à la perte de ces milieux engendrée par les travaux.

Le régime particulier du RCS

Le RCS joue un rôle-clé dans le cadre touchant les milieux humides et hydriques avec la norme d’éloignement qu’il impose. Le paragraphe 1 de l’article 14 du RCS prévoit une distance minimale à respecter pour les carrières et sablières et prohibe leur exploitation dans un cours d’eau et dans certains types de milieux humides. Cet article ne s’applique toutefois pas dans le cas d’une nouvelle sablière si le promoteur soumet une étude d’impact à l’appui de sa demande.

«Cette disposition est appliquée de manière à ce que le promoteur ne puisse pas se prévaloir de la séquence éviter/minimiser/compenser. Elle prive ainsi les exploitants de l’industrie du granulat de cette approche d’atténuation et leur impose un régime particulier auquel aucune autre industrie n’est soumise», soutient M. Lapierre.

Ceci signifie plus spécifiquement que les promoteurs de carrières ne peuvent soumettre une demande en vertu du 2e paragraphe de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) au même titre que n’importe quel autre promoteur qui souhaiterait intervenir en milieu humide et hydrique moyennant une compensation.

L’article 14 du RCS a préséance sur l’article 22 paragraphe 2 de la LQE, ce qui a pour effet de soumettre l’industrie du granulat à un régime particulier, une situation dénoncée par l’ACRGTQ.

 

Dans la mesure où l’industrie propose des mesures compensatoires lors de l’obtention de certificats d’autorisation, l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ) soutient dans son mémoire qu’elle souhaiterait que l’industrie du granulat soit assujettie au même titre que les autres industries au régime prévu par la LQE.

«Nous sommes toujours dans la même situation où, malgré le fait que lorsque le granulat se trouve à un endroit et ne se trouve pas ailleurs et donc que les exploitants ne peuvent pas éviter ou minimiser, ils sont malheureusement toujours dans l’impossibilité de compenser et doivent respecter la distance d’éloignement», précise Me Landry.

Une réforme du Règlement sur les carrières et sablières pointe à l’horizon, mais au moment d’écrire ces lignes, l’article 14 du RCS, lequel impose la distance d’éloignement, s’applique de facto aux promoteurs de carrières et sablières.

«Dans l’éventualité où une réforme permettrait effectivement de soumettre l’industrie du granulat au même régime que les autres industries, il demeure que l’unique moyen de compenser un impact sur un milieu humide est la compensation monétaire, du moins selon les informations dont nous disposons à l’heure actuelle», indique M. Lapierre.

L’efficacité dans l’atteinte de l’objectif

Deuxième nouveauté, le principe «zéro perte nette» se trouve au cœur de la LCMHH. «Présenté simplement, ce principe confirme la position du ministère du Développement du­rable, de l’Environnement et de la Lutte contre les change­ments climatiques (MDDELCC) qu’il faut minimalement conserver le portrait actuel des milieux humides et hydriques au Québec et que, si deux milieux humides sont perdus, il faut compenser monétairement pour en recréer minimalement deux pour maintenir l’objectif zéro perte nette», résume
M. Lapierre.

Ce dernier suggère également que, pour assurer une plus grande adhésion de la communauté des développeurs québécois à ce nouveau principe, la méthode du calcul de réaménagement de milieux humides soit revue à la baisse. Il ajoute par ailleurs que le MDDELCC pourrait laisser le choix au promoteur de compenser par un montant d’argent ou de le laisser procéder à des travaux de réaménagement dans l’atteinte de l’objectif « zéro perte nette ».

«Selon les informations qui filtrent du MDDELCC, les sommes recueillies par le Fonds vert seraient entre autres redistribuées à des organismes tiers pour effectuer les travaux de réaménagement de milieux humides, mais ces organismes devront éventuellement se tourner vers des entrepreneurs pour faire ces travaux. Cela se traduira par une perte d’efficacité pour chaque dollar investi, car en bout de ligne, beaucoup de ces promoteurs ont la capacité d’effectuer eux-mêmes ces travaux», ajoute M. Lapierre.

Celui-ci se dit convaincu que cette opportunité doit rester entre les mains des promoteurs. «L’orientation du Ministère sera davantage précisée dans le règlement, mais d’ici là, nous sommes dans l’incertitude», conclut-il.•


Règlement sur les carrières et sablières / 
Article 14, paragraphe 1
«14. Milieu hydrique: L’aire d’exploitation de toute nouvelle carrière ou sablière doit être située à une distance horizontale minimale de 75 m de tout ruisseau, rivière, fleuve, lac, mer, marécage ou batture.»
Loi sur la qualité de l’environnement / 
Article 22, alinéa 2
«Cependant, quiconque érige ou modifie une construction, exécute des travaux ou des ouvrages, entreprend l’exploitation d’une industrie quelconque, l’exercice d’une activité ou l’utilisation d’un procédé industriel ou augmente la production d’un bien ou d’un service dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, dans un lac, un étang, un marais, un marécage ou une tourbière doit préalablement obtenir du ministre un certificat d’autorisation.»