Entretien avec le ministre Martin Coiteux
Affaires municipales : une ère de décentralisation et de partenariat
Spécialiste des politiques monétaires et de l’économie internationale, longtemps professeur, Martin Coiteux a été élu député lors des élections générales du 7 avril 2014. Après avoir été président du Conseil du trésor et ministre responsable de l’administration gouvernementale et de la révision des programmes, il a été nommé, le 28 janvier 2016, ministre des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire, ministre de la Sécurité publique et ministre responsable de la région de Montréal. Nous l’avons rencontré pour discuter d’infrastructures municipales.
« Au moins 7 G$ au total seront investis par le gouvernement provincial dans les infrastructures municipales. »
Par Jean Brindamour
Q. Monsieur le ministre, vous avez choisi d’entrer en politique active à une date relativement récente. Considérant les exigences que comporte la vie d’un politicien, vous êtes-vous demandé si le jeu en valait la chandelle ? N’avez-vous pas hésité ?
R. La raison principale de mon entrée en politique a été le débat sur la charte des valeurs. Je m’opposais à cette vision. La politique active est la troisième carrière dans ma vie. J’ai été pendant presque vingt ans professeur. J’ai adoré cette carrière. Un professeur d’université, ça observe, ça fait des recherches. Mais je ressentais le besoin, à ce stade de ma vie, d’être plus près de l’action immédiate. Puis, j’ai été presque un an et demi à la banque du Canada comme représentant principal pour la région du Québec. Ma troisième carrière est vraiment basée sur la décision, des décisions ayant un impact. J’apprécie avoir l’occasion de faire une différence. La politique va toujours rester une façon extrêmement importante d’influencer le cours des choses. J’essaie de faire de mon mieux pour les influencer dans le bon sens.
Q. En tant que ministre des Affaires municipales, vous connaissez bien les besoins des municipalités en ce qui a trait aux investissements en infrastructures. Les grandes villes ont de grands besoins. Mais les régions éloignées aussi. Et les infrastructures coûtent de plus en plus cher. Comment satisfaire tout le monde ?
R. Permettez-moi d’abord de mettre la question des infrastructures dans une perspective plus générale pour revenir ensuite sur le cas des municipalités. Le Québec dans ses investissements en infrastructures est dans une phase de rattrapage. À la fin des années 1990 et début 2000, on investissait par année quatre fois moins qu’aujourd’hui. Il y a eu une période de sous-investissements. Beaucoup d’investissements qu’on fait aujourd’hui sont là pour maintenir des actifs qui ont mal vieilli ou pour remplacer des actifs qui ne sont plus fonctionnels ou sécuritaires.
Q. Il faut pour ainsi dire sauver notre patrimoine d’infrastructures.
R. Oui, et ça fait déjà quelques années que c’est comme ça, que nous sommes en période de rattrapage. Pour les dix prochaines années, le gouvernement du Québec prévoit investir près de 90 G$ dans les infrastructures. Ça fait une somme importante. C’est pratiquement 9 G$ par année. Vous voyez l’effort consenti à l’heure actuelle. Une partie ira dans les infrastructures municipales. Le gouvernement du Québec n’est pas le seul investisseur, mais c’est l’investisseur majeur. Et en excluant même les investissements dans le transport en commun, qui fait partie de l’enveloppe transport, au moins 7 G$ au total seront investis par le gouvernement provincial dans les infrastructures municipales. Ça, c’est notre contribution. Les villes aussi participent à l’effort. Sans parler d’un certain nombre d’investissements qui font l’objet d’un co-financement avec le gouvernement fédéral.
Avec le Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées (FEPTEU), nous payons, le fédéral et le provincial ensemble, au moins 83 % des coûts, et jusqu’à presque 95 % des coûts des projets qui se qualifient. Pour le FEPTEU et pour un autre fonds, le Fonds pour les infrastructures du transport en commun (FITC), il y a eu une entente fédérale-provinciale. Notez que le Québec a été la première province à signer une telle entente pour que ces fonds soient rapidement débloqués vers les municipalités.
Q. Je sais que, comme ministre des Affaires municipales, vous avez été le principal négociateur pour le Québec dans cette négociation, qui semble s’être bien passée. Ce n’est pourtant pas toujours le cas dans les négociations fédérales-provinciales !
R. Quand il s’agit de grandes ententes fédérales provinciales, peu importe le domaine considéré, plusieurs ministères sont impliqués. Le ministère des Finances a un rôle à jouer, le Conseil du trésor a un rôle à jouer. Et, bien entendu, quand il s’agit d’infrastructures municipales, le ministère des Affaires municipales a un rôle particulier à jouer. Dans une autre négociation, concernant le Programme Fonds des petites collectivités (FPC), qui s’adresse aux municipalités de moins de 100 000 habitants, le ministère des Affaires municipales a eu aussi un rôle crucial.
« Avec le Fonds pour l’eau potable et le traitement des eaux usées (FEPTEU), nous payons, le fédéral et le provincial ensemble, au moins 83 % des coûts, et jusqu’à presque 95 % des coûts des projets qui se qualifient. »
On se réjouit de l’effort supplémentaire que fait actuellement le fédéral pour les infrastructures. Il ne faut pas oublier, toutefois, que, dans la phase de rattrapage actuelle, on en fait beaucoup plus en proportion à Québec que le gouvernement fédéral dans tout le Canada. Le premier investisseur dans les infrastructures au Québec reste le gouvernement du Québec. Ceci étant dit, l’effort fédéral est bienvenu et on l’accueille avec enthousiasme. On est ouvert avec le fédéral, toujours à la recherche de solutions. Mais en gardant à l’esprit que les gouvernements municipaux, qui travaillent en étroite collaboration avec le provincial, sont, en tant que gouvernements de proximité, les mieux placés pour connaître les besoins locaux. Le gouvernement fédéral doit tenir compte du rôle privilégié des municipalités et du gouvernement provincial. Il doit le reconnaître. On a toujours insisté sur cet aspect-là, tout en maintenant les canaux ouverts et en gardant un esprit de collaboration.
Honnêtement, les négociations avec le fédéral se sont très bien passées. Ça ne veut pas dire qu’on était toujours du même avis. Mais au total, on a réussi à avoir des ententes tout à fait intéressantes.
Q. Les municipalités n’aiment pas ça quand l’argent du fédéral dort !
R. L’argent n’a pas dormi. Les négociations ont été moins longues pour nous que pour les autres provinces. Il faut comprendre que lorsque notre gouvernement ou le gouvernement fédéral annoncent de nouvelles sommes dans un discours du budget, ça ne veut pas dire que les programmes sont en place; les sommes ne sont pas encore assignées. Il faut signer des ententes. Il faut des appels à projets. Les municipalités doivent de leur côté soumettre des projets. L’impératif pour nous était de permettre que tout démarre rapidement. Il était important aussi que les plus petites municipalités aient accès à ces sommes. Ce qu’on a réussi à faire en mettant en place un processus avec la Fédération québécoise des municipalités (FQM). Ces programmes sont tellement populaires que les besoins ont déjà dépassé les budgets disponibles. On est en pourparlers avec le gouvernement fédéral pour éventuellement les prolonger.
Q. On peut considérer un peu le ministère des Affaires municipales comme le chef d’orchestre des municipalités du Québec. Quelles sont vos priorités en matière d’investissements dans les infrastructures municipales ?
R. On consacre présentement des efforts particuliers au traitement des eaux usées et à l’eau potable. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut financer d’autres types d’infrastructures, notamment des casernes de pompier, des ateliers de réparation, des garages municipaux… Mais c’est probablement dans le secteur de l’eau potable et des eaux usées que le besoin est le plus criant, c’est là où les plus grands efforts doivent être consentis. On s’est concentré là-dessus au MAMOT à cause du vieillissement de ces infrastructures, mais aussi parce que les normes ne sont plus les mêmes qu’il y a trente, quarante, cinquante ans. Il y a un besoin de mise aux normes. Le rôle du ministère est d’accompagner les municipalités et de leur fournir du financement, et c’est à elles de s’assurer que leurs installations soient aux normes. Notre ministère est un joueur majeur, mais on travaille en partenariat avec les municipalités. De plus en plus, on est dans un mode de « qu’est-ce qu’on peut faire pour aider », plutôt que dans un mode de contrôle ou de décision à la place des gouvernements locaux. On est dans une ère de décentralisation des pouvoirs, de dévolution des pouvoirs aux municipalités. En même temps qu’on fait des efforts du côté des infrastructures, on est en train par différentes lois, par différents projets législatifs, de donner de plus en plus d’autonomie aux municipalités, d’offrir des outils supplémentaires à leurs élus pour qu’ils puissent rapidement prendre des décisions dans l’intérêt de leur population. Comme gouvernement, on fait appliquer des lois, des règles, mais on est moins paternaliste et plus partenaire. On veut sortir de l’ère du paternalisme. Plus les municipalités auront de responsabilité, plus il y aura d’initiatives locales, plus la démocratie municipale sera forte. S’il faut toujours venir à Québec pour résoudre les problèmes municipaux, à quoi servent alors les gouvernements municipaux ? Ils doivent avoir la capacité de prendre des décisions, avec l’appui du gouvernement du Québec dans un certain nombre de domaines. La démocratie ne s’en portera que mieux.
« Le Québec dans ses investissements en infrastructures est dans une phase de rattrapage. À la fin des années 1990 et début 2000, on investissait par année quatre fois moins qu’aujourd’hui. Il y a eu une période de sous-investissements. Beaucoup d’investissements qu’on fait aujourd’hui sont là pour maintenir des actifs qui ont mal vieilli ou pour remplacer des actifs qui ne sont plus fonctionnels ou sécuritaires. »
Q. Il y a beaucoup de programmes (nous n’en avons nommé que quelques-uns). Est-ce que tous ces programmes s’harmonisent ? N’y a-t-il pas danger de confusion et de gaspillage à multiplier les programmes ?
R. S’ils avaient tous la même finalité, on aurait un enjeu. Mais tous ces programmes ont des finalités différentes. Certains concernent des enjeux spécifiques. Avec le FPC, par exemple, on est dans d’autres types d’infrastructures municipales. On y prévoit des infrastructures culturelles, touristiques, sportives, récréatives. Ensuite, il y a des programmes qui sont totalement sous la responsabilité du gouvernement du Québec, tandis que d’autres sont financés en partie par le gouvernement fédéral. Ce sont souvent dans ce cas-ci des ententes limitées dans le temps. Pour le FEPTEU, par exemple, il fallait que les travaux soient réalisés dans une période de temps très courte.
Q. Avec les municipalités, est-ce que tout se décide à la Table Québec-Municipalités (TQM) ?
R. La TQM est vraiment le lieu privilégié pour discuter entre le gouvernement du Québec et les municipalités des grandes priorités. Certains échanges spécifiques à cette Table ont mené à des projets législatifs. Ce n’est pas le seul lieu de rencontre, bien entendu. On peut aussi discuter directement avec Montréal, avec Québec, avec Sherbrooke, avec Gatineau, ou avec des villes plus petites. Mais c’est à la TQM qu’on discute de tout ce qui concerne la vaste majorité des municipalités. Avec le projet de loi 122, qui vise à augmenter l’autonomie et les pouvoirs des municipalités, et qui sera adopté, j’espère, le plus rapidement possible, on consacre davantage la TQM comme le lieu privilégié. Il est même prévu dans ce projet de loi que le premier ministre du Québec préside cette instance au moins une fois l’an.
Q. Un mot sur le dossier de l’érosion des berges sur la Côte-Nord et en Gaspésie dont il fut souvent question ces derniers mois. Une chercheuse indépendante, Ursule Boyer-Villemaire, croit qu’il manque une structure qui soit interministérielle pour réagir à l’érosion des berges. Ce rôle ne devrait-il pas être celui du MAMOT ?
R. Je ne pense pas qu’on ait besoin d’une structure additionnelle. Comme gouvernement, on a au cours des dernières années financé de la recherche. On vient juste d’annoncer d’ailleurs 12,7 millions $ au consortium Ouranos à cette fin. Ces recherches nous ont permis d’en savoir davantage. On a plus de connaissances aujourd’hui qu’on en avait il y a quelques années. De telles sorte, qu’on est déjà en position d’identifier les travaux prioritaires à mener dans les régions les plus touchées. On va bientôt passer en vitesse supérieure. Des annonces viendront prochainement et le MAMOT va jouer un rôle fondamental de coordination. L’autre ministère que je dirige, le ministère de la Sécurité publique, aura aussi un rôle important à jouer, ainsi que l’Environnement et les Transports.
« Pour les dix prochaines années, le gouvernement du Québec prévoit investir près de 90 milliards $ dans les infrastructures. Ça fait une somme qui est importante. C’est pratiquement 9 milliards $ par année. Vous voyez l’effort consenti à l’heure actuelle. Une partie ira dans les infrastructures municipales. Le gouvernement du Québec n’est pas le seul investisseur, mais c’est l’investisseur majeur. »
Q. Vous êtes rendus à l’étape des travaux pratiques.
R. On va continuer la recherche, notamment avec Ouranos. Il y a aussi un volet formation pour les élus municipaux concernés, pour qu’ils puissent bien planifier, en particulier, leur schéma d’aménagement. Mais on va passer à une phase de travaux à faire pour lesquels le gouvernement du Québec offrira un financement.
« La Table Québec-Municipalités est vraiment le lieu privilégié pour discuter entre le gouvernement du Québec et les municipalités des grandes priorités. »
Q. En terminant, vous êtes ministre des Affaires municipales, en plus de vos autres responsabilités, depuis un peu plus d’un an maintenant. Quel est votre bilan au moment où l’on se parle ? Qu’espérez-vous améliorer dans ce ministère dans les prochains mois et les prochaines années ?
R. Étant aussi ministre de la Sécurité publique, cela m’a donné l’opportunité de faire des synergies. Ces deux ministères sont en relation étroite avec les municipalités. Ils doivent agir de manière convergente (qu’on pense à la sécurité incendie); leurs programmes aussi doivent converger. Mon double rôle me permet de faire évoluer dans les affaires municipales la culture de partenariat et, dans la sécurité publique, d’encourager une culture de la prévention. Et on continue à concrétiser notre décentralisation des pouvoirs au profit des municipalités avec les projets de loi nos 109 (sur la capitale nationale), 121 (sur la métropole) et 122 (sur la gouvernance de proximité). •