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La transition énergétique dans le secteur des grands travaux

Un bon défi à relever

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Un héritage en construction

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), tous les secteurs sont mis à contribution, y compris celui des grands travaux, grand consommateur de diesel. Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, propose une feuille de route pour y arriver.

par Stéphane Gagné

 

Pierre-Olivier Pineau
Pierre-Olivier Pineau (Ph. D. HEC Montréal, 2000) est professeur titulaire au Département de sciences de la décision de HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie depuis décembre 2013. Il est un spécialiste des politiques énergétiques, notamment du secteur de l’électricité. Photo: HEC Montréal

La transition énergétique

Premier défi: amorcer la transition énergétique. «La première chose à faire serait de comptabiliser la consommation de diesel, dit Pierre-Olivier Pineau. Il faudrait ensuite mieux documenter les émissions de GES, identifier les familles de solutions, faire des analyses et, plus tard, des tests pour valider quelles sont les solutions les plus réalistes, et dans quelles échéances.»

Or, bien que les machineries lourdes du secteur soient de grandes consommatrices de carburant, «le secteur n’est pas sous le radar des politiciens, il n’est pas perçu comme un consommateur d’énergie dans la conscience collective et, par conséquent, aucun programme particulier ne leur est destiné», selon le titulaire.

Autre obstacle, il n’existe pas de données spécifiques au secteur du génie civil et de la voirie. Dans la dernière publication portant sur l’énergie (L’état de l’énergie au Québec, ­édition 2024, publié par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie), une statistique comptabilise les émissions de GES des véhicules hors route dans les secteurs regroupés des mines, de la fabrication et de la construction. Bien que cette donnée offre un portrait imprécis du seul secteur des grands travaux, on y apprend que les émissions de GES y ont augmenté de 52% entre 1990 et 2021, passant de 1973000 tonnes d’équivalent C02 à 3002000 tonnes d’équivalent C02.

Globalement, la pandémie a contribué à réduire un peu la consommation d’essence et de diesel. Les prix des combustibles aussi.

«La congestion routière n’est pas revenue à son niveau prépandémie, soutient Pierre-Olivier Pineau. Ensuite, il y a le prix de l’essence et du diesel, qui a beaucoup augmenté et a freiné les ardeurs de consommation.» Toutefois, ces éléments ont eu une répercussion minime sur la consommation d’énergie dans le secteur des grands travaux.

Le marché du carbone pourrait accélérer la transition énergétique et réduire les émissions de GES.

Le marché du carbone

Un élément, s’il est bien mis à profit, pourrait toutefois accé­lérer la transition énergétique et réduire les émissions de GES dans ce secteur et les autres. Il s’agit du marché du carbone Californie-Québec. Appelé Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) de GES du Québec, il est lié à celui de la Californie depuis 2014. Le SPEDE bénéficie d’une large couverture puisque 77% des émissions de la province doivent obtenir un droit d’émission (ou taxes) pour satisfaire les exigences du gouvernement en matière de réduction des GES. Ces droits d’émissions sont non seulement en majorité vendus aux enchères conjointes de la Californie et du Québec, mais aussi donnés à certains émetteurs industriels, pour protéger leur compétitivité.

Le point positif de cette mesure est que le prix de la tonne de carbone a fortement augmenté en 2023, passant à 37,17$ la tonne l’été dernier à 53,16$ novembre 2023. «Le point faible de cette taxe, c’est qu’elle est peu connue du public, car cachée dans le prix de l’essence et du diesel et pas non plus assez élevée pour atteindre les objectifs gouvernementaux de réduction de GES», déplore Pierre-Olivier Pineau.

Les carburants de substitution

La décarbonation dans le secteur des grands travaux pourrait se réaliser, en partie, par le biais des carburants de substitution. Comme il est peu envisageable, dans un avenir rapproché, d’électrifier la machinerie lourde, ces carburants semblent une solution plus réaliste. On parle ici de biocarburants, de carburants synthétiques à base d’hydrogène et de CO2, et d’hydrogène. Ces carburants pourraient être les énergies du futur. Selon le chercheur, les biocarburants et les carburants synthétiques ont l’avantage d’être, dans certains cas, des combustibles directement utilisables dans la machinerie actuelle. «Des versions moins sophistiquées et moins chères de ces combustibles liquides peuvent être mélangées aux carburants fossiles actuellement utilisés. C’est le cas de l’éthanol pour l’essence et le biodiesel pour le diesel», précise Pierre-Olivier Pineau.

La première chose à faire serait de comptabiliser la consommation de diesel.

– Pierre-Olivier Pineau

La décarbonation pourrait se réaliser par le biais de carburants de substitution.

Or, la capacité de production de ces carburants est limitée au Québec. Pour le biodiesel, il n’existe qu’une seule usine au Québec (Innoltek), et sa capacité de production n’est que de 8 millions de litres (ML) par an. Du côté de l’éthanol, le seul producteur en exploitation au Québec est Greenfield Global, avec une capacité de 200 ML par année. Le carburant est fabriqué avec de l’amidon de maïs-grain.

Du diesel renouvelable, produit avec diverses sources de biomasse, est une autre possibilité. Selon Pierre-Olivier Pineau, c’est un substitut complet au diesel, utilisable immédiatement. Si la pétrolière Valero a une usine qui de produit aux États-Unis, il n’est cependant pas encore produit au Québec. Un projet de production de carburant diesel renouvelable fabriqué avec des résidus forestiers, d’une capacité de 180-225 ML par année, est à toujours à l’étude à La Tuque.

L’hydrogène vert, produit avec des sour­ces d’énergie renouvelable (ex.: solaire ou éolienne), est aussi dans la mire de certains distributeurs. Ainsi, en 2023, Énergir négociait avec TES Canada, l’un des plus grands projets de production d’hydrogène vert proposés au Québec, pour acheter l’équivalent de 115 millions de mètres cubes (Mm3) de gaz naturel synthétique à base d’hydrogène vert et de carbone biogénique à l’horizon 2028-2030.

Avec la richesse vient souvent le luxe de ne pas avoir à gérer très efficacement notre consommation [d’énergie], parce que nous avons les moyens de gaspiller. Cela explique en grande partie l’importante consommation énergétique des Nord-Américains.

– Pierre-Olivier Pineau

En 2023, Énergir négociait avec TES Canada, l’un des plus grands projets de production d’hydrogène vert proposés au Québec, pour acheter l’équivalent de 115 millions de mètres cubes (Mm3) de gaz naturel synthétique à base d’hydrogène vert et de carbone biogénique à l’horizon 2028-2030.

Améliorer l’efficacité énergétique

Selon l’édition 2023 de L’état de l’énergie au Québec, près de 60% de l’énergie consommée par le secteur industriel dans la province est perdue et ne génère pas de valeur ajoutée. L’une des façons d’améliorer ce bilan serait d’inciter les entreprises à adopter la norme ISO 50001. Ce modèle, qui s’applique à toutes les organisations, a pour but de les aider à réduire leur consommation énergétique et leurs dépenses tout en contribuant à la réduction de leur empreinte écologique. Au Québec, seulement cinq organisations l’ont adoptée alors qu’en Allemagne, on en compte 5523. Pour populariser cette norme, Pierre-Olivier Pineau croit que les gouvernements devraient rendre leur aide conditionnelle à l’existence et au sérieux des plans de décar­bonation des industries. Ces certifications sont avantageuses, car elles permettent aux entreprises d’optimiser leur consommation d’énergie, de revoir les processus et augmentation de leur productivité globale. Le spécialiste constate toutefois qu’elles ne sont pas encore ancrées dans la culture nord-américaine parce que nous baignons dans l’énergie bon marché, sans véritables contraintes géopolitiques étant donné que l’essentiel de nos approvisionnements en énergie vient d’Amérique du Nord. «Nous sommes aussi riches, dit-il, et avec la richesse vient souvent le luxe de ne pas avoir à gérer très efficacement notre consommation, parce que nous avons les moyens de gaspiller. Cela explique en grande partie l’importante consommation énergétique des Nord-Américains.» ■