MAGAZINE CONSTAS

La machinerie lourde électrique a-t-elle un avenir ?

État de la situation avec Jean-Yves Grand de Toromont Cat

La nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES) passe par l’adoption de technologies plus vertes dans le transport, qui en est un grand émetteur au Québec (44% du total). On entreprend une transformation dans le secteur de la machinerie lourde notamment.

par Stéphane Gagné

 

 

Photo: Toromont Cat

De 2018 à 2024, le marché de la machinerie lourde électrique a connu une certaine effervescence, les manufacturiers voulant être les premiers à proposer des solutions aux clients en quête de réduction massive de GES. Des options sont offertes présentement surtout en matière de machines de petite capacité, mais on a constaté dernièrement une certaine stagnation de développement pour ce qui est de ce volet, selon M. Grand. Deux causes principales sont à l’origine de la situation: les entrepreneurs cherchent des équipements électriques pouvant procurer une autonomie qui leur permettra d’opérer au moins huit heures par jour sans recharge, indique-t-il. Dans de nombreux cas où le site d’opération de la machine n’est pas statique, il faut également s’équiper d’un système de recharge coûteux.

Des obstacles importants subsistent

Outre la question de l’autonomie, plusieurs éléments nuisent à l’usage plus généralisé de la machinerie lourde électrique dans le secteur de la construction. M. Grand souligne le manque d’infrastructures pour recharger la machinerie dans les chantiers éloignés des grands centres. Dans le secteur des grands travaux, ce genre de chantier est très courant. Il y a aussi le fait que, lors de travaux réalisés en hiver, en raison du froid, l’autonomie des véhicules peut être sabrée d’environ 25%.

La nature de certains chantiers en génie civil est aussi peu favorable à l’utilisation d’une machinerie électrique. «Comme les véhicules se déplacent d’un endroit à un autre, cela exigerait la présence d’unités de recharge à chaque endroit, ce qui est difficilement réalisable, dit le vice-président. Certains manufacturiers produisent des stations de recharge mobiles, mais elles sont assez chères et il y a peu de possibilités de les louer présentement pour un usage temporaire.»

 

 

Membres associés de l’ACRGTQ
Une nouvelle contribution

Chers lecteurs,

À titre de président du comité des membres associés de l’ACRGTQ, j’ai le grand bonheur de vous présenter une nouvelle contribution au magazine Constas.

Les membres associés sont des entreprises qui fournissent des biens et services aux membres réguliers de l’Association. Autrement dit, ils possèdent une expertise complémentaire permettant un bon fonctionnement des chantiers de génie civil et la bonification des meilleures pratiques.

Chaque année, lors d’une assemblée générale, cinq représentants sont donc élus dans le but de former un comité et de faire valoir l’apport des membres associés auprès de l’ACRGTQ.

Ainsi, c’est dans cette optique qu’un article par numéro sera dorénavant réservé aux membres associés afin de mettre en lumière des connaissances ou des enjeux qu’ils maîtrisent.

Cet article ne sera en aucun cas l’équivalent d’un placement publicitaire pour une entreprise ou un produit, mais plutôt un avis d’expert, neutre, sur un sujet donné.

En ce sens, j’invite tous les membres associés à suggérer d’éventuels sujets que nous pourrions traiter dans cet espace. Vos suggestions peuvent être acheminées à redaction@magazineconstas.com.

Enfin, pour cette première fois, j’ai le plaisir de vous proposer un article en lien avec la thématique du présent numéro. Vous trouverez dans les prochaines pages une entrevue avec Jean-Yves Grand, vice-président, ventes et comptes majeurs, chez Toromont Cat, à propos de la présence de machinerie lourde électrique dans les grands projets québécois. S’il y a des enjeux d’accessibilité et d’autonomie énergétique pour les entrepreneurs, les manufacturiers entrevoient tout de même de nouvelles opportunités.

Bonne lecture,

Me Guy Gilain
Président du comité des membres associés de l’ACRGTQ
Associé | Miller Thomson S.E.N.C.R.L.

Guy Gilain

 

 

La technologie d’équipements 100% électriques s’appliquent, cependant, très bien dans le milieu industriel ou dans les carrières, par exemple, où l’environnement est connu et où la possibilité de recharger l’équipement durant la nuit peut se faire facilement. C’est aussi une belle option pour le marché des paysagistes, où la machinerie n’est pas utilisée de façon continue, mais plus sporadiquement, ce qui ne requiert pas une recharge journalière. Il y a donc des marchés dans lesquels l’électrique à 100% est une option qui peut être très intéressante en termes de baisse de GES et de coût de fonctionnement à moyen et long terme, mentionne M. Grand.

Unité de recharge Cat MEC500 et chargeur R1700 XE (électrique). Photo: Caterpillar

Les véhicules diesel encore là pour longtemps

Un autre élément qui retarde l’adoption plus élargie de la machinerie lourde électrique sur les chantiers, c’est l’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules diesel, la réduction considérable de leur consommation de carburant et l’établissement de normes plus strictes pour leurs systèmes antipollution. En 2008, les normes antipollution Tier 4 ont été introduites par l’Environmental Protection Agency américaine. Elles ont permis d’amoindrir de beaucoup les émissions de plusieurs polluants par rapport aux normes précédentes, Tier 3: 90% de réduction des émissions de matières particulaires (fines) (MP), 45%, des rejets d’oxyde d’azote (NOx) et 70%, des hydrocarbures non méthaniques (HCNM). «L’introduction des normes Tier 5 sera encore plus contraignante en matière de rejet, mentionne M. Grand. La technologie hybride, présente dans certains modèles de machines, permet aussi de diminuer la consommation de carburant de 30%.»

Les entrepreneurs cherchent des [véhicules] qui peuvent offrir une autonomie […] [d’]au moins huit heures par jour.

— Jean-Yves Grand

Enfin, notons aussi la présence chez certains manufacturiers de commandes électropilotées dans la machinerie lourde diesel qui apportent, en comparaison aux systèmes hydrauliques traditionnels, de bonnes économies d’énergie en utilisant les signaux électriques.

L’hydrogène, une source d’énergie prometteuse

Dans cette transition vers des sources d’énergie innovantes, il y a aussi l’hydrogène. Or, selon le document État de l’énergie au Québec 2025, de HEC Montréal, ce carburant représentait moins de 1% du bilan énergétique du Québec en 2024. M. Grand affirme toutefois qu’il se fait beaucoup de recherche dans ce domaine et que l’usage de l’hydrogène est donc appelé à devenir plus important. L’hydrogène vert, produit avec de l’électricité renouvelable (de source hydraulique ou éolienne), est considéré par le gouvernement du Québec comme un moyen de décarboner les secteurs difficiles à électrifier tels que le transport lourd. À cette fin, en mai 2022, le gouvernement a adopté la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies et croit beaucoup à leur potentiel.

En effet, dans le document, il est mentionné: «En 2030, l’hydrogène vert et les bioénergies auront le potentiel de diminuer la consommation de produits pétroliers de près d’un milliard de litres par année au Québec. Cela pourrait réduire nos émissions de GES de 4 mégatonnes de CO2 par an, ce qui équivaudrait au retrait de 1,2 million de véhicules à essence sur les routes.»

 

 

Quelques informations sur les véhicules lourds

Bien qu’il n’y ait pas de statistiques spécifiques à la machinerie lourde, utilisée en construction, la consommation d’énergie des camions lourds représentait 33% de la consommation totale d’énergie pour tous les types de camions (légers, moyens et lourds) en 2022. C’est une baisse de près de 9% par rapport à la donnée de 2000.

En 2021, 6,72 millions de tonnes de GES étaient émises par les véhicules lourds, soit une hausse de 2,5 millions de tonnes par rapport à 1990, l’année de référence.

Environ 182 000 camions et tracteurs routiers sont en circulation au Québec, et seulement 650 d’entre eux sont propulsés par des moteurs électriques, soit moins de 1%.

En octobre 2022, le Circuit électrique, exploité par Hydro-Québec, inaugurait, à Laval, la première station de recharge publique pour véhicules électriques lourds et mi-lourds. L’objectif est de créer un réseau. Dans un premier temps, il servira surtout à alimenter les camions transportant des marchandises.

Sources: Ressources naturelles Canada, ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Propulsion Québec et Circuit électrique.

 

 

La machinerie lourde électrique a de l’avenir

Malgré le peu de place qu’occupent encore ces sources d’énergie, M. Grand demeure optimiste, car les manufacturiers travaillent à accroître l’autonomie des équipements électriques. Et avec l’évolution rapide de la technologie des batteries et des piles à combustible, qui deviendront plus performantes, l’électricité et l’hydrogène pourraient être avantagés dans les prochaines années. «Surtout si le prix du carburant diesel connaît une hausse», soulève-t-il. ■