La transition énergétique des transports: un virage ralenti, mais inarrêtable
Malgré le contexte économique, le Québec ne fera pas marche arrière
Malgré un réseau prêt pour la transition, l’électrification des transports se bute à des obstacles majeurs: tarifs douaniers sur les véhicules chinois, recul des incitatifs financiers, manque d’infrastructures de recharge et résistance au changement. Néanmoins, le Québec ne fera pas marche arrière, estiment plusieurs experts.
par Marie-Ève Martel

En instaurant la norme véhicules zéro émission, le gouvernement du Québec a décrété qu’à compter de 2035, tous les véhicules neufs vendus dans la province devront être électriques.
«Selon les projections, ça signifie que, d’ici 2035, on s’attend à ce que 50% de toutes les voitures sur les routes soient électriques ou hybrides, puis qu’en 2050, cette proportion passe à 100%», relève le professeur Kamal Al Haddad, professeur au Département de génie électrique de l’École de technologie supérieure (ÉTS).
«Est-ce qu’on va atteindre cet objectif? Pas certain», ajoute-t-il. Selon lui, la fin des subventions gouvernementales incitant à l’achat d’un véhicule électrique et l’incertitude économique actuelle «rend les clients prudents».

En date du 31 décembre 2024, 376 246 véhicules électriques circulaient sur les routes du Québec, dont près du tiers a été acquis dans la dernière année, selon des chiffres de l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ). Cela représentait 44% de tout le parc canadien.
Des tarifs douaniers qui font mal
La guerre commerciale avec les États-Unis ne devrait pas influencer l’industrie automobile canadienne, indique Daniel Breton, président-directeur général de Mobilité électrique Canada. «On a fait faire une évolution par modèles, et 93% de tous les modèles ne sont pas touchés par les tarifs ou les contre-tarifs, mentionne-t-il. Donc, cette crainte que les tarifs pourraient faire augmenter le prix des véhicules électriques ne s’avère pas.»

Qui plus est, soutient-il, le virage est déjà amorcé depuis plusieurs années. «De mois en mois, les ventes fluctuent, mais les gens ne retourneront pas massivement vers l’essence», avance M. Breton, qui rappelle qu’en 2015, environ 5 000 véhicules hybrides rechargeables circulaient sur les routes du Québec.
Si ce ne sont pas les droits de douane américains qui font le plus mal à l’électrification du parc automobile canadien, ce sont plutôt quels éléments? Les tarifs imposés aux véhicules chinois, estime Simon-Pierre Rioux, porte-parole de l’AVEQ.
«On plaide pour une approche qui favorise l’accès à tous les véhicules, indique-t-il. Le protectionnisme commercial nuit à la transition électrique, d’autant plus que les manufacturiers chinois sont les seuls à offrir de petits véhicules électriques abordables.»
Ces tarifs, imposés par le gouvernement américain, visent à protéger l’industrie automobile du continent. Ils sont plutôt un coup d’épée dans l’eau selon l’AVEQ et Daniel Breton, qui qualifie le Canada de «dindon de la farce» dans cette affaire.
«Les véhicules chinois ne feraient pas compétition avec ceux qui seraient fabriqués au Canada, parce qu’ils seraient dans un autre créneau», allègue M. Rioux.
Renouer avec les incitatifs
Du même souffle, l’AVEQ souhaite le retour des incitatifs financiers à l’achat d’un véhicule électrique, qui diminueront au Québec jusqu’à prendre fin en 2027.
«Quand ces programmes ont été lancés, on avait fixé 2025 comme date butoir pour diminuer les incitatifs parce que les études indiquaient qu’à compter de cette année-là, les véhicules électriques seraient vendus au même prix que les véhicules à essence, résume M. Rioux. C’est effectivement arrivé avec les voitures chinoises, pas les nord-américaines.»
Assez de puissance…
Le professeur Al Haddad indique que le réseau d’Hydro-Québec dispose actuellement d’une puissance de 37 gigawatts (GW). «[La société d’État] veut augmenter sa puissance de 9 GW supplémentaires d’ici 2035», souligne-t-il.
En jumelant cette puissance accrue à des économies d’énergie dans certains secteurs grâce à des campagnes de sensibilisation, sans compter que les véhicules électriques ne se rechargent pas tous simultanément, le réseau a la capacité d’alimenter le virage électrique automobile, affirme le professeur de l’ÉTS.
«Hydro-Québec a mentionné que si tous les véhicules à essence se transformaient par magie en véhicules électriques, le réseau aurait la capacité de les fournir en énergie, signale Simon-Pierre Rioux. Alors oui, on a l’énergie, mais on n’a pas assez d’infrastructures de recharge présentement.»
… mais pas assez de bornes
Bien qu’il existe plusieurs programmes pour inciter l’installation de bornes, le Québec n’a pas, contrairement à la Colombie-Britannique ou à l’Ontario, décrété le droit à la recharge, qui faciliterait l’installation de bornes dans les immeubles en copropriété et les multiplex.
En date du 31 décembre 2024, 376 246 véhicules électriques circulaient sur les routes du Québec, selon l’Association des véhicules électriques du Québec (AVEQ).
À l’heure actuelle, le Québec compte 11 563 bornes, dont 4 941 de niveau 2, 1 500 bornes rapides BRCC tous réseaux confondus et 326 superchargeurs Tesla, selon les plus récentes données de l’AVEQ. Ainsi, on compte une borne pour 103 véhicules électriques.
Daniel Breton croit, au contraire, qu’elles sont en nombre suffisant. «Les choses avancent de façon inexorable, dit-il. En 2012, je ne pouvais pas avoir de voiture 100% électrique, sauf une Tesla, parce qu’il n’y avait qu’une seule borne rapide. Aujourd’hui, il y en a 2 000 au Québec, sans compter les bornes de niveau 2 et les bornes résidentielles.»
Les bornes de recharge à domicile sont, selon lui, «la colonne vertébrale» du réseau. «Une fois qu’elles sont installées dans les entrées de garage et dans les immeubles à logements, le problème de la recharge est réglé à 90%», allègue M. Breton.
L’autonomie des véhicules ayant grandement progressé au cours de la dernière décennie, les bornes publiques serviront principalement à alimenter les voitures lors de plus longs trajets. «La réalité, c’est qu’il faudra installer beaucoup plus de bornes de recharge ultrarapides», note M. Breton.
C’est dans les centres urbains, où les résidences ne disposent pas toutes d’un espace privé de stationnement, que le défi se trouve, juge Kamal Al Haddad. «Le défi pour Hydro-Québec, mais surtout pour les municipalités, c’est de créer un environnement de recharge accessible aux citoyens qui n’ont pas leur propre borne, sans pour autant que l’accès à ces bornes ne soit pas indéfini», dit-il. ■