Électrification des transports: une transition à planifier
Une entrevue avec Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville
Électrifier 100% des transports dans la province est un objectif ambitieux. Si Québec a cette destination dans la mire, il faut cependant bien planifier l’itinéraire pour l’atteindre. Pour mieux comprendre les défis à venir dans la poursuite de cet objectif, Constas s’est entretenu avec Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville.
par Marie-Ève Martel

Quel sera, selon vous, le principal défi technique que posera l’adaptation du réseau routier québécois pour accueillir massivement les véhicules électriques, d’abord d’ici 2035, puis d’ici 2050?
Le principal défi n’a pas été d’entamer l’électrification des transports; ce qui sera compliqué, c’est la période de transition où on va
passer d’une société où les véhicules électriques sont encore minoritaires à une société où ils sont majoritaires.
Quand la transition sera finie, on peut imaginer que des stations de recharge rapide auront remplacé de nombreuses stations-service, mais tout juste avant, on atteindra un seuil critique où il faudra à la fois des bornes de recharge en nombre suffisant pour ces nouvelles voitures et des stations d’essence pour ravitailler les autres véhicules. Ce ne sera pas évident.
Je vous donne un autre exemple: actuellement, dans plusieurs secteurs, les voies réservées au transport en commun sont accessibles aux véhicules électriques. On a offert ce privilège aux automobilistes qui avaient fait le choix d’acheter un véhicule électrique. Quand les véhicules électriques seront plus nombreux, doit-on s’attendre à une congestion des voies réservées qui pénaliserait le transport en commun, beaucoup plus écoénergétique? Ce sera difficile de retirer ce privilège, mais nécessaire.
Cette période de tension là va entraîner plusieurs points de friction. À mon avis, elle va se produire d’ici cinq ans. C’est là qu’on devra prendre les bonnes décisions politiques.
Avez-vous des exemples de telles décisions politiques?
En matière de routes, on peut penser que le poids d’un plus grand nombre de véhicules électriques aura un impact. On sait que les véhicules électriques sont plus lourds que ceux à essence en raison des batteries, mais en même temps, on ne peut pas prédire si dans 5 ou 10 ans, les nouveaux modèles de batteries ne seront pas plus légers.
Peut-être faudra-t-il prévoir des structures qui seront capables de porter davantage de poids, surtout parce que c’est le transport de marchandises qui détériore le plus notre réseau routier et que ces véhicules aussi seront électrifiés un jour.
Puis, pour entretenir et réparer nos routes, on doit se préparer à ne plus compter sur la taxe sur l’essence et de la contribution du Québec, parce qu’on va diminuer graduellement le nombre de véhicules qui carburent aux énergies fossiles.
Ce qui sera compliqué, c’est la période de transition où on va passer d’une société où les véhicules électriques sont encore minoritaires à une société où ils sont majoritaires.
Donc, le jour où on ne paiera plus de taxe sur notre essence pour entretenir les routes, il faudra que les gens qui ont des véhicules électriques paient par un coût à la charge.
C’est comme les incitatifs financiers pour l’achat d’un véhicule: c’est un programme qui a coûté des milliards et on n’a pas les moyens de subventionner l’achat d’une voiture électrique pour tout le monde. Je serais favorable à ce que cet incitatif soit transformé en subvention pour l’achat et l’installation d’une borne électrique à la maison.
Parce que si les gens ont de la difficulté à avoir une borne chez eux, ça va mettre une pression supplémentaire sur les bornes publiques, qui seront la clé. Un manque de bornes publiques pourrait être un obstacle dans le développement de l’électrification du parc automobile.
On sait qu’en principe, le réseau de bornes du Québec est suffisant jusqu’en 2030. C’est par la suite que ça pourrait être plus compliqué.
Le Québec jouit d’une électricité propre, abondante et relativement abordable. Notre réseau est-il prêt à absorber la demande accrue qu’impliquerait une électrification complète du transport routier?
Si tout d’un coup, 100% du parc automobile passait à l’électrique, notre réseau ne serait pas en mesure de répondre à la demande supplémentaire en électricité.
Ce n’est pas que le Québec manque d’électricité: c’est qu’on manque de puissance à des moments très précis. On souhaite tous avoir du courant au même moment: le matin, puis au retour du travail et en soirée. Si on pouvait étaler la demande sur 24 heures, le Québec n’aurait pas besoin de beaucoup plus d’électricité que ce qu’il produit actuellement.
Il faudra trouver des solutions pour que les véhicules électriques ne soient pas tous sur la recharge au même moment, autrement, cela créera un goulot d’étranglement. C’est là qu’on frapperait un mur, et c’est ce qui pourrait arriver pendant cette fameuse période de transition.
C’est un grand enjeu, et ça prendra des politiques publiques pour gérer l’offre et la demande. C’est, entre autres, pour cette raison qu’Hydro-Québec envisage la tarification dynamique. Chaque fois qu’[un consommateur] réussira à ne pas consommer d’électricité pendant une pointe, ça [lui] coûtera moins cher.
Malgré cela, on sait que, d’une manière ou d’une autre, il faudra augmenter la production d’électricité. Selon les prévisions d’Hydro-
Québec, de tous les futurs besoins en électricité d’ici 2035, le tiers sera attribuable aux véhicules électriques. Il faudrait ajouter 2 fois la capacité du barrage Manic-5 pour disposer de la puissance nécessaire dans 10 ans.
Il n’est donc pas surprenant qu’Hydro-
Québec souhaite augmenter sa puissance de neuf mégawatts, mais il faudra aussi revoir la distribution et la transformation de l’électricité qui viendra avec. Il faudra construire de nouvelles lignes et de nouveaux postes de transformation. Gardons tout de même en tête que la meilleure électricité que le Québec peut produire est celle qu’on évite de consommer.
Voyez-vous des occasions à saisir dans le processus d’électrification des transports?
D’un point de vue environnemental, on peut penser que l’électrification des transports va mener à une réduction importante des émissions de GES. Mais on pourrait aussi profiter de cette transition pour remettre en question notre
rapport collectif et individuel à l’automobile.
Au Québec, il y a un plafonnement de la motorisation, c’est-à-dire le nombre de véhicules par ménage. Jusqu’à tout récemment, ce nombre progressait. Mais comme pour bien des choses, le prix des voitures a explosé: pour un véhicule neuf, on parle d’un prix moyen de 60 000 $ à l’achat.
Il y a aussi le fait que les jeunes ne souhaitent pas tous posséder un véhicule: la nouvelle génération est moins accro à l’auto qu’elle ne l’est à ses textos. Pour elle, la voiture n’est pas un gage de succès ou un symbole social.
Bref, en plus d’avoir un objectif d’électrification de 100% du parc automobile le plus rapidement possible, on peut aussi envisager de réduire le nombre de véhicules qu’on possède collectivement.
En ce sens, je suis de ceux qui croient que la mobilité devrait de plus en plus être partagée, notamment dans les centres urbains, surtout quand ce ne sont pas tous les logements qui disposent d’un stationnement.
Selon les prévisions d’Hydro-Québec, de tous les futurs besoins en électricité d’ici 2035, le tiers sera attribuable aux véhicules électriques.
Avec le télétravail, beaucoup de gens n’ont plus besoin d’un véhicule tous les jours. Et avec le numérique, les solutions de partage de véhicules se sont beaucoup simplifiées, en plus d’être pratiques et moins chères.
Quel est le rôle des villes dans tout ce processus?
Il ne leur revient pas de tout mettre en place ni de tout financer. Elles doivent surtout s’assurer que la transition est bien faite.
À Laval, par exemple, il y a un règlement qui oblige toute [nouvelle] construction résidentielle à intégrer les éléments électriques pour faciliter la pose d’une borne de recharge. Le gouvernement provincial s’en vient aussi avec une loi en ce sens.
Puis, il y a Montréal, qui a adopté une politique intéressante en matière d’électrification. On y a mis un certain nombre de balises pour encadrer la mise en place de bornes sans nuire à la qualité de vie et à la qualité de l’espace urbain.
Mais en plus d’encourager l’installation de bornes, les villes doivent s’assurer que leur implantation ne se fera pas au détriment d’autres efforts qui sont faits, comme de verdir des espaces, d’embellir des quartiers ou de donner plus de place aux transports actifs.
Notre conseil, chez Vivre en Ville, c’est d’inviter les villes à être proactives: si elles ne veulent pas subir l’électrification des transports, elles ont tout intérêt à l’encadrer et à la favoriser. ■