MAGAZINE CONSTAS

L’effondrement du pont de Baltimore : Un tel scénario serait‑il possible au Québec?

Retour sur une catastrophe exceptionnelle

À la fin de mars 2024, un gigantesque porte-conteneurs entre en collision avec un des piliers du pont Francis Scott Key, à Baltimore. Le pont de 2,6 km de longueur s’effondre en quelques secondes comme un château de cartes. Récapitulatif des événements et des raisons pour lesquelles ce genre de situation risque peu de se produire ici.

par Stéphane Gagné

 

 

Une section du pont Francis Scott Key repose dans l’eau à côté du porte-conteneurs Dali, à Baltimore.

 

Le pont Francis Scott Key : les piliers ne sont pas protégés.

Que s’est-il passé et pourquoi cet effondrement ?

Dans la nuit du 26 mars dernier, le porte-conteneurs Dali dévie de sa route et heurte l’un des piliers d’un pont névralgique de Baltimore, où circulent 11,5 millions de véhicules par année. Rapidement, le pont s’effondre. Six ouvriers qui effectuaient des réparations sur le pont meurent dans l’accident. On sait maintenant que le bateau avait connu deux pannes électriques lors d’opérations de maintenance la veille dans le port de Baltimore. Heureusement, l’équipage du navire avait lancé un appel à l’aide aux autorités juste avant le drame, ce qui a permis d’interrompre à temps la circulation routière sur le pont et d’éviter davantage de blessés ou de morts.

La conception même du pont semble avoir facilité son effondrement. « Il s’agit d’un pont en porte-à-faux avec une structure métallique en arche qui repose principalement sur deux piliers assez éloignés l’un de l’autre, dit Normand Tétreault, ingénieur, président fondateur de Soconex, firme spécialisée dans la réparation de structures en béton. Toutes les charges reposent sur ces deux gros piliers et, dès qu’on touche à l’un de ces piliers, cela met en danger tout le pont. »

L’autre vulnérabilité de ce pont était l’absence de protection à la base des piliers, selon M. Tétreault, qui a de la difficulté à comprendre comment il se fait que l’on n’ait pas pensé à les sécuriser. Une protection faite d’enrochement, par exemple, aurait pu éviter ce drame. « Il faut aussi savoir qu’un bateau de cette dimension a une énorme inertie et qu’un navire n’a pas de frein. »

Joint par téléphone, Bruno Massicotte, professeur en génie civil à Polytechnique Montréal, s’est dit aussi surpris par l’ampleur de la catastrophe et l’absence de protection adéquate à la base des piliers.

Les piliers protégés du pont Larocque, dans le canal de Beauharnois.

Pourrait-il survenir la même tragédie au Québec ?

Après l’accident survenu à Baltimore, plusieurs experts ont été questionnés pour savoir si le même genre d’événement pourrait se produire sur les nombreux ponts qui traversent le Saint-Laurent. La réponse est non.

Rapidement, à la fin du mois de mars dernier, le cabinet de la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, a voulu rassurer la population en mentionnant que les structures de nos ponts sont protégées par de l’enrochement ou sont à l’extérieur des voies maritimes. Cette affirmation a ensuite été corroborée par d’autres experts.

Le pont Laviolette est du même type que le pont Francis Scott Key, à Baltimore

L’aménagement d’îlots d’enrochement autour de certains des piliers du pont Laviolette, à Trois-Rivières, empêche les navires d’entrer en collision directe avec ces structures.

Le cas du pont Laviolette

En fait, le pont canadien le plus vulnérable aux collisions avec des navires était jusqu’au milieu des années 1980 le pont Laviolette, à Trois-Rivières. Un rapport de la Garde côtière canadienne, datant de 1982, avait établi que la cote de vulnérabilité de ses piliers était de 10, sur une échelle de 1 à 10, soit la cote maximale. C’est que ces huit piliers se trouvent dans l’eau du fleuve et qu’aucun n’était protégé à l’époque.

Le rapport rappelle d’ailleurs que deux
accidents auraient pu avoir de sérieuses consé­quences pour le pont. Le plus grave est survenu en mai 1975. À la suite de mauvaises conditions de visibilité dues au brouillard, un navire a endommagé sa coque en heurtant le pont.

Ce pont est d’ailleurs du même type que le pont Francis Scott Key, à Baltimore. Il s’agit d’un pont avec une arche centrale qui repose principalement sur deux piliers. En 1986, une étude d’impact sur l’environnement réalisée par le ministère des Transports du Québec avait examiné divers scénarios pour protéger le pont. L’aménagement d’îlots d’enrochement autour de certains de ses piliers avait alors été retenu. Ces îlots empêchent les navires d’entrer en contact direct avec ces structures. Depuis ces travaux, tous les piliers des ponts du fleuve jusqu’au pont Jacques-Cartier sont sécurisés.

Situation sur la voie maritime

Au-delà du pont Jacques-Cartier, la voie maritime du Saint-Laurent débute, et le tonnage des navires qui y circulent est réduit (ce qui diminue les risques). En fait, la charge des bateaux est réduite à partir de Québec. « Les 29 ponts sous l’autorité de la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent sont tous protégés », affirme Jean Aubry-Morin, vice-président aux relations externes de l’organisme. La Corporation a été
fondée en 1998 par le gouvernement fédéral et elle gère la voie maritime du pont Jacques-Cartier jusqu’à Niagara, en Ontario, en passant par les écluses.

« Au fil des années, les ponts ont été rendus plus robustes. Les piliers en surface ont été conçus afin que les bateaux ne puissent atteindre les structures. La voie maritime est étroite, et les bateaux ne peuvent pas entrer en contact avec les piliers des ponts. »

Tous les capitaines de navire doivent être certifiés pour naviguer sur le fleuve et la voie maritime. Dans le cas contraire, un pilote [de la Corporation] doit être présent dans le navire.

— Jean Aubry-Morin, vice-président aux relations externes de la Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint-Laurent

L’autre aspect important est la navigation dans tout le parcours du fleuve. « Tous les capitaines de navire doivent être certifiés pour naviguer sur le fleuve et la voie maritime, dit M. Aubry-Morin. Dans le cas contraire, un pilote [de la Corporation] doit être présent dans le navire. »

Divers outils technologiques ont aussi été conçus afin d’éviter des situations problématiques. Par exemple, un système d’identification automatique a été mis en place. « Il permet de suivre les bateaux en tout temps et selon divers paramètres, poursuit le vice-président. Par exemple, si le bateau va trop vite ou qu’il dévie de sa route, une alarme se déclenchera. »

« Tous les bateaux qui circulent dans la voie maritime sont aussi inspectés pour s’assurer de leur bon fonctionnement et de la bonne formation de l’équipage. L’exercice concerne tous les navires qui entrent dans la zone, de façon que l’on connaisse leur état et leur habileté », assure M. Aubry-Morin. ■