État des Routes au Québec : Une hausse inquiétante du déficit d’entretien
Une proportion importante de nos chaussées ont atteint la fin de leur durée de vie
Inondations sous les viaducs, nids‑de-poule, cônes orange ou déviations… L’état des routes au Québec a suscité de nombreuses nouvelles. Selon un rapport de la vérificatrice générale déposé en novembre 2023, une proportion importante des chaussées ont atteint la fin de leur durée de vie, et les travaux de conservation réalisés sont insuffisants.
par Alexandra Guellil
Depuis 6 ans, environ la moitié des 31 000 km de routes de la province demeurent en mauvais état en dépit des milliards investis. Selon la vérificatrice générale, le déficit de maintien d’actifs des chaussées du réseau routier ne cesse d’augmenter. De 2018 à 2022, il a augmenté de 3 G$, atteignant ainsi 10 G$, soit plus du quart du déficit de l’ensemble des infrastructures publiques, précise-t-on dans le rapport.
Président des comités publics de l’Association des économistes québécois, Louis Lévesque a écrit plusieurs lettres ouvertes à ce sujet. Membre du Comité d’experts indépendants sur les travaux routiers, formé par le ministère des Transports à la suite du rapport de la commission Charbonneau de 2016, l’économiste regrette le manque d’investissement dans le maintien d’actifs. «On s’aperçoit que la mesure utilisée par le Québec dans le Plan québécois des infrastructures ne cesse d’augmenter», soulève-t-il.
Une infrastructure, c’est comme une maison : elle est neuve un bout de temps, mais elle finit par se détériorer. Cela signifie qu’on doit faire des travaux de maintien d’actif chaque année, à défaut de quoi, ça se détériore.
— Louis Lévesque
Cette mesure est utilisée pour préciser le type de travaux nécessaires pour s’assurer que les infrastructures sont en bon état. Par infrastructures, on entend non seulement le réseau routier, mais aussi les systèmes de transports collectifs, les établissements de santé et d’éducation. «Si on regarde ce chiffre et son évolution dans le temps, on constate qu’il est passé de 15 G$ en 2015 à 37,19 G$ en 2024. Les mesures nous disent que ça se détériore. L’impression subjective des citoyens le suppose, et le rapport de la vérificatrice générale, dans le cas des chaussées, le confirme. Donc oui, ça se détériore.»
Des chiffres qui ne mentent pas
Chez nous, la plupart des infrastructures ont été construites dans les années 1960-1970. « Une infrastructure, c’est comme une maison : elle est neuve un bout de temps, mais elle finit par se détériorer. Cela signifie qu’on doit faire des travaux de maintien d’actif chaque année, à défaut de quoi, ça se détériore », rappelle Louis Lévesque.
L’économiste estime que les investissements ne suffisent pas. «Nos investissements sont plus petits que la dégradation de nos actifs. Les travaux que nous faisons sont insuffisants. Oui, les budgets globaux augmentent, mais ces sommes ne sont pas utilisées pour le maintien de nos actifs, elles sont utilisées pour construire de nouvelles infrastructures. On construit du neuf au lieu d’entretenir ce qu’on a déjà en oubliant que ces nouvelles infrastructures auront, elles aussi, besoin d’entretien. Tout cela ne fait qu’empirer la situation», déplore Louis Lévesque.
Pas assez de travaux
Le mathématicien de formation s’appuie sur des faits. «Ce qui compte, c’est de regarder les chiffres de plus près sans prendre en compte les taux de construction. Cela permet d’avoir des indicateurs qui traduisent, par exemple, le nombre de kilomètres de routes réparés chaque année», explique-t-il.
La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, va aussi dans ce sens. «Au rythme où le ministère des Transports et de la Mobilité durable réalise ses travaux de reconstruction et de réhabilitation majeure actuellement, le rétablissement de l’état de ces chaussées prendra plus de 25 ans», peut-on lire dans son rapport.
Louis Lévesque déconstruit le problème de façon économique. «Si on prend le cas de la grande région de Montréal, on se rend compte actuellement que l’on répare des éléments qui doivent être immédiatement réparés. C’est le cas du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, et c’est aussi le cas du pont de l’Île-aux-Tourtes. Mais tout cela était connu depuis longtemps. Or, on réagit dans l’urgence, car nous n’avons pas investi suffisamment avant.»
Oui, les budgets globaux augmentent, mais ces sommes ne sont pas utilisées pour le maintien de nos actifs, elles sont utilisées pour construire de nouvelles infrastructures.
— Louis Lévesque
Pire encore, Louis Lévesque explique qu’on est obligés de remplacer en accéléré une structure qu’on sait vieillissante depuis de nombreuses années, qu’on attend la limite et que les prix des constructeurs explosent aux appels d’offres pour qu’ils prennent en compte les imprévus. «On se retrouve donc à dépenser des milliards pour remplacer un pont à Québec alors même que cette somme représente la somme investie pour les réparations du maintien d’actif», ajoute-t-il.
L’expert rappelle que cette situation se constate aussi bien lorsqu’on regarde des infrastructures dans le système de santé et en éducation ou même tout ce qui concerne la transmission et la distribution de l’eau ou de l’électricité. «Actuellement, nous sommes dans une situation où tout le monde veut faire des travaux alors que la capacité de l’industrie de la construction a ses limites», prévient-il.
Question de priorisation et de choix
Parmi les solutions au problème de l’augmentation du déficit d’entretien des routes, il y a la priorisation du maintien d’actif. Selon Louis Lévesque, il faut faire des choix dans la liste de besoins et les aligner sur nos ressources disponibles. «Les décisions sont non coordonnées et sectorisées. Il faudrait faire une liste de travaux prioritaires pour toutes les infrastructures et additionner le tout sur un horizon de temps assez raisonnable pour que cette somme soit inférieure à la capacité de l’industrie de la construction sans que l’on parle de la capacité financière du gouvernement», estime l’économiste.
L’analyse coût-bénéfice détaillée avant d’opter pour la construction d’une nouvelle infrastructure serait aussi une avenue avantageuse. L’exercice de priorisation une fois en place conduira à faire des choix, parfois difficiles, mais nécessaires pour améliorer l’industrie de la construction.
Cet exercice de priorisation mènera, selon la logique proposée par Louis Lévesque, à opter avant tout pour les travaux de maintien d’actif, à travailler à réduire les coûts de construction pour améliorer la productivité de la construction. «Il n’y a pas de solution à court terme. Si on applique ces solutions raisonnables de façon systématique et que nous faisons de bons choix, le déficit d’entretien des routes réduira», conclut-il. ■