MAGAZINE CONSTAS

Une nouvelle boîte à outils pour l’industrie de la construction

Le ministre du Travail, Jean Boulet, dresse un premier bilan

Adoptée en mai dernier, la Loi modernisant l’industrie de la construction (le projet de loi no 51 ou PL-51) a apporté de nombreux changements à la formation et à la gestion de la main-d’œuvre, de même qu’à la manière dont sont négociées les conventions collectives et sont encadrées les relations de travail. Quelques mois après son entrée en vigueur, le père du projet de loi, le ministre du Travail, Jean Boulet, dresse un premier bilan.

par Marie-Ève Martel

 

 

Au moment du dépôt du projet de loi, en février dernier, l’objectif avoué de la législation était de «faciliter la construction d’infrastructures au service des citoyens».

Surtout, le projet de loi venait rafraîchir une loi ayant été pratiquement intouchée depuis 30 ans, la dernière grande réforme de l’industrie remontant à 1995.

«Nous faisons actuellement face à deux grands défis, indique Jean Boulet. D’abord, un manque de main-d’œuvre. […]  Il y a un déficit de main-d’œuvre, particulièrement dans certains métiers de la construction, et dans toutes les régions.

Ensuite, il y a le défi de la productivité, poursuit le ministre. Nos besoins sont immenses, que ce soit en habitation, écoles, hôpitaux, routes, infrastructures, projets industriels… En plus, il y a tout ce qui découle de la filière énergie. Hydro-Québec a un programme extrêmement ambitieux dans ce secteur-là.»

Des piliers facilitateurs

Pour réussir à relever ces défis, il fallait donner plus de latitude aux employeurs et rendre l’organisation du travail plus efficace sans toutefois sacrifier les droits des travailleurs défendus par les syndicats. La flexibilité a donc été le mot d’ordre du projet de loi. «Je voulais le projet de loi le plus équilibré possible, reconnaît Jean Boulet. Pour y arriver, dans l’année précédant le dépôt du projet, j’ai entamé un dialogue avec des représentants patronaux et syndicaux.»

La Loi modernisant l’industrie de la construction repose donc sur plusieurs piliers, le premier étant la polyvalence. «Dans son format antérieur, la loi avait une certaine rigidité, plaide le ministre. Tu ne pouvais pas faire les tâches qui relevaient d’un autre métier, ce qui provoquait souvent des retards et des coûts supplémentaires. Le principe de polyvalence permet à des travailleurs et des travailleuses ayant des certificats de compétences d’effectuer certaines tâches liées à des métiers connexes lorsqu’elles surviennent dans la même séquence de travail.»

M. Boulet donne l’exemple d’un couvreur qui découvre qu’une feuille de contreplaqué doit être remplacée sur un toit. Plutôt que de contacter un charpentier-menuisier pour s’occuper de cette tâche, il pourra s’en charger lui-même, la nouvelle loi le lui permettant «parce que c’est en lien avec son travail et que cela prend peu de temps», note-t-il.

Un second pilier de la loi est la mobilité de la main-d’œuvre. Il sera désormais possible pour des travailleurs d’être recrutés dans d’autres régions pour y travailler. Le plancher d’heures de travail au compteur a aussi été revu à la baisse pour augmenter le nombre de candidats admissibles à la mesure.

«Il y a des projets industriels qui ont été retardés dans certaines régions en raison d’un manque de travailleurs», relève Jean Boulet.

En ce sens, l’Association des constructeurs de routes et grands travaux du Québec (ACRGTQ) a formulé de judicieuses suggestions, évoque le ministre du Travail.

«C’est notamment grâce à l’Association qu’on a inclus les détenteurs de certificats de compétence-occupation dans les principes de polyvalence et de mobilité», fait observer M. Boulet.

Pas un «bar ouvert»

Dans tous les cas, Jean Boulet prévient que les prérogatives de la loi ne doivent pas servir de «bar ouvert» aux employeurs pour contourner leurs obligations.

«Il faut respecter les compétences des travailleurs et travailleuses sans affecter leur santé et la sécurité sur les chantiers», souligne-t-il.

La polyvalence a ses limites et n’a pas pour objectif d’éliminer l’embauche de professionnels spécialisés. «Ça doit se faire dans un court délai, soit une journée ou moins, précise le ministre. Il ne faut pas que la tâche effectuée occupe une grande partie de la journée de travail ou qu’elle s’étale sur plusieurs jours: le but n’est pas de remplacer un métier par un autre.»

Même chose pour la mobilité de la main-d’œuvre : la loi maintient la priorité de l’embauche de travailleurs locaux. «Il faut réitérer que c’est une possibilité et non une obligation [d’aller chercher des travailleurs dans d’autres régions]», rappelle M. Boulet.

«Malgré cela, je pense que c’est un atout qu’on se donne, enchaîne-t-il. Dans le secteur privé, il n’y a pas d’obstacles à cette mobilité-là.»

De nouveaux visages sur les chantiers

Le secteur de la construction est connu pour être historiquement un milieu très homogène.

La nouvelle loi a pour objectif d’encourager la diversité sur les chantiers en permettant aux femmes, aux immigrants, aux personnes issues des minorités visibles et aux Autochtones de suivre des formations ou de voir leurs diplômes, leurs compétences et leur expérience obtenus à l’étranger reconnus.

«On peut être fiers de se doter de corridors qui vont permettre à toutes ces personnes de venir travailler [dans la province], se félicite Jean Boulet. Je fais souvent référence aux peintres de Colombie ou aux charpentiers-menuisiers de l’Ukraine: ces personnes-là, qui ont de l’expérience, on va les accompagner et leur permettre de travailler.»

La formation accélérée répond aussi à des besoins particuliers. «Ça donne de bons résultats et ça évite de recourir à des bassins de main-d’œuvre sans formation et sans compétences, dont le taux de rétention au travail est plus bas et le risque d’accident de travail est plus élevé», illustre le ministre, ajoutant qu’environ 10 % des personnes qui composent les cohortes sont des femmes.

 


 

 


 

 

La flexibilité a donc été le mot d’ordre du projet de loi. 

— Jean Boulet,  ministre du Travail

De meilleurs mécanismes de négociation

Entre autres mesures, la loi a introduit un mécanisme permettant la négociation d’un versement salarial rétroactif pour la main-d’œuvre pendant la période de négociation de la convention collective ainsi qu’un recours devant le Tribunal administratif du travail si l’une des deux parties ne négocie pas de bonne foi.

Encore une fois, ce n’est pas une obligation, mais une opportunité, rappelle M. Boulet.

«La rétroactivité, ça existait déjà dans tous les secteurs d’activités sociales et économiques. Les rapports de force sont maintenus, mais ça va permettre, j’en suis convaincu, de faire des négociations de manière diligente», dit-il.

Il ne sera par ailleurs plus nécessaire d’obtenir le feu vert de la Commission de la construction du Québec (CCQ) pour recourir à l’arbitrage en cas de grief.

La CCQ prend aussi du galon en devenant responsable de la reconnaissance des équivalences en formation et en compétences pour des travailleurs de la construction qui arrivent de l’étranger.

En contrepartie, sa transparence et son imputabilité se trouvent accrues par la création d’un comité des relations du travail dans l’industrie de la construction, qui réunira autour d’une même table des représentants des associations patronales et des syndicats.

Une loi qu’on doit s’approprier

Selon des estimations demandées par l’Association de la construction du Québec (ACQ), les mesures inscrites dans la loi pourraient permettre d’obtenir un gain de productivité équi­valent à 10% des heures travaillées. «Si on prend les chiffres de 2022, ça représenterait 21 millions d’heures gagnées sur les chantiers», révèle Jean Boulet.

Du temps et des coûts épargnés, qui pourront être réinvestis dans d’autres projets et qui augmenteront la productivité du Québec, suggère-t-il.

«Quand on considère que la construction représente près de 8% du PIB de la province, ça va bénéficier à tous les Québécois et les Québécoises», soutient M. Boulet.

Déjà, le ministre dit avoir eu des échos positifs des changements apportés par la loi. Ce qu’il espère, confie-t-il, c’est qu’autant les employeurs que les travailleurs se l’approprient et utilisent les différents outils à leur disposition pour gagner en efficacité sur les chantiers.

«Avec le temps, il se développera une culture de polyvalence, de mobilité, toujours dans le respect des droits des travailleurs, projette-t-il. J’espère que le secteur de la construction saura faire preuve d’audace et d’innovation.» ■