Les changements au contrat
L’importance de les planifier
Question de gestion
Liette Vézina recommande fortement de s’attaquer au processus d’évaluation des changements probables dès l’obtention du contrat.
Le sujet n’est pas nouveau, ni irrémédiable. Et pourtant, il continue de donner des cauchemars aux entrepreneurs. Les plus jeunes, à cause de l’inexpérience, les plus vieux, par excès de confiance, les autres par manque de temps.
Par Jean Garon
L’ingénieure et consultante Liette Vézina abordait ce sujet délicat lors d’une présentation au congrès de l’ACRGTQ, tenu du 5 au 7 mai. Elle nous en donne ici un rappel en revenant sur les principes de base destinés à rendre la gestion des changements contractuels moins stressante et plus payante.
À son avis, les changements contractuels seraient aujourd’hui « ce qui fait le plus mal aux entrepreneurs ». Les dépassements de coût, les extras réclamés non payés, les retards indus d’échéancier, les imprévus dont personne ne veut assumer la responsabilité, ce sont là des obstacles qui peuvent être surmontés plus facilement quand l’entrepreneur est bien préparé et connaît son contrat.
« Ce n’est pas interdit de faire des changements, reprend-elle, c’est même très normal en construction. Mais si le donneur d’ouvrage décide d’apporter des changements au contrat, ou s’il y a des imprévus qui relèvent de sa responsabilité, il doit payer l’entrepreneur. Par contre, c’est à l’entrepreneur de préparer les demandes convenablement et au bon moment pour être dédommagé. »
Certes, il y a des changements plus faciles à comprendre, mais il y en a d’autres un peu plus complexes. « Quand ça devient complexe, tout le monde tire la couverte de son côté, explique-t-elle, personne ne veut payer pour des changements imprévus. Dès lors, si l’entrepreneur n’est pas bien outillé pour se défendre, c’est souvent lui qui va perdre au change. »
La Commission Charbonneau, entre autres, a fait en sorte que tous les donneurs d’ouvrage publics doivent montrer patte blanche dans le traitement de tous les dépassements de coût et paiements d’extras. D’emblée, c’est pratiquement devenu une fin de non-recevoir aux demandes d’un entrepreneur, et une exigence systématique et exagérée de preuves pour les justifier. Fini l’époque des négociations à la bonne franquette et des compromis donnant-donnant, se remémore la consultante. « Tout ce qu’on entend maintenant, c’est : prouve-le-moi, peu importe la demande. »
Des preuves à l’appui
En tant que consultante, Liette Vézina reçoit souvent des réclamations et des cas de différends qui auraient pu être évités si les entrepreneurs avaient été plus vigilants et prévoyants. Il leur aurait suffi de mieux se préparer contre ces éventualités pour éviter les impacts financiers et les conséquences sur le bon déroulement de leurs projets.
Comment ? En planifiant dès le départ du projet et en se préparant pour les changements les plus probables et les risques à encourir, en comprenant mieux les clauses contractuelles, les limites de responsabilité ainsi que leurs procédures de gestion et de règlement. Ainsi, l’entrepreneur est en mesure de se préparer pour compiler les preuves au fur et à mesure de l’avancement du projet. Pourquoi ? Parce que le succès financier de l’entrepreneur repose en grande partie sur sa préparation et sa capacité à anticiper les imprévus et leurs impacts sur son organisation et la réalisation de ses projets.
L’avantage dépend donc de la planification, de la capacité de l’entrepreneur à être proactif plutôt que réactif. Il peut s’éviter bien des mauvaises surprises en étant prévoyant et rigoureux dans la gestion de ses projets et des changements qui peuvent survenir en cours de route, même les événements de force majeure, tel un ouragan, une tempête de verglas, une inondation ou toute autre catastrophe naturelle.
Liette Vézina mentionne qu’il existe dans tous les contrats des procédures à suivre pour le règlement des extras et les paiements des réclamations. Ces clauses ne changeront pas. « C’est pour ça qu’il faut les lire attentivement, parce que quand on a signé un contrat, il doit être suivi. Malheureusement, constate-t-elle, ceux qui n’ont pas fait d’analyse ni de planification des changements les plus probables se retrouvent dans le trouble et leurs dossiers aboutissent sur mon bureau. Quand je leur demande ce qu’ils ont dans leur contrat ou ce qu’ils avaient prévu en soumission, bien souvent, ils ne le savent pas. » Par exemple : que dit le contrat si le client retarde indûment la mise en chantier ? Si les quantités augmentent de façon significative ? Si les conditions du site diffèrent de celles montrées aux dessins ?
Une approche préventive payante
À ses yeux, une approche préventive et proactive dans la gestion des changements au contrat ne nécessite pas un gros investissement en temps et en argent. Énormément moins qu’en gestion de la santé et sécurité. Il peut suffire de quelques heures de remue-méninges de gens expérimentés en estimation et en gestion de projet et de la mise en place de moyens simples pour accumuler les preuves qui constitueront des éléments solides pour justifier des changements ou extras : par exemple, une caméra qui photographie les travaux, des rapports journaliers des contremaîtres, surintendants et sous-traitants, des rapports comptables détaillés pour les activités risquées, etc.
Liette Vézina recommande fortement de s’attaquer à ce processus d’évaluation des changements probables dès l’obtention du contrat. Elle suggère même de les classer par ordre de priorité suivant la gravité des impacts sur l’entreprise, le déroulement du projet et l’échéancier établi. « Il est possible qu’un changement soit très probable mais sans trop de gravité ou, à l’inverse, qu’un changement soit peu probable mais très impactant. » Cette analyse, c’est la planification des changements, tout simplement.
Ce qui compte, conclut-elle, c’est d’anticiper les changements probables tôt dans la vie du projet et de s’y préparer au lieu de ramer après coup pour réunir des preuves difficiles à démontrer et plus facilement contestables par le client. Du reste, il sera toujours payant d’être bien préparé pour faire face aux changements contractuels et aux imprévus. ■