MAGAZINE CONSTAS

La méthode ABC

Un gage de rapidité et de durabilité

Une méthode qui promet aux entrepreneurs d’économiser du temps, ainsi que les efforts de mise en branle d’un chantier d’envergure.

Alors que les chantiers d’infrastructures se multiplient un peu partout en Amérique du Nord, de plus en plus de donneurs d’ouvrage et d’entrepreneurs optent pour une méthode de construction accélérée. Basée sur la préfabrication des composantes, cette manière de faire pourrait, à terme, permettre à l’industrie de sauver beaucoup de temps, en plus de limiter les désagréments tant humains qu’environnementaux.

Par Florence Sara G. Ferraris

Qu’ont en commun le futur pont Champlain et le pont de la rivière Godbout sur la Côte-Nord ? Le premier, situé en plein cœur de la région métropolitaine, est l’un des plus gros chantiers de la décennie. Le second, construit à plus de 700 kilomètres de là, comporte un simple tablier bétonné.

« Ces deux chantiers ne se ressemblent en rien, reconnaît en souriant Bruno Massicotte, professeur au Département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal. Mais dans les deux cas, on y a utilisé – et c’est toujours le cas pour Champlain –, des composantes préfabriquées en usine et assemblées ensuite directement sur le chantier. » Une méthode qui, à leur échelle respective, a permis, jusqu’ici, aux entrepreneurs impliqués d’économiser beaucoup de temps, tout en limitant, autant que faire se peut, les désagréments liés à la mise en branle d’un chantier d’envergure.

 

Le pont Godbout, situé sur la Côte-Nord, est l’un des plus récents projets où le MTMDET a employé la méthode ABC. Cette méthode a été choisie dans ce cas en raison des difficultés d’accès aux municipalités dans cette région CR : MTMDET

 

Surtout utilisée pour le remplacement ou la construction d’infrastructures indispensables et à très haut débit de circulation, la méthode ABC (pour Accelerated Bridge Construction) permet en effet aux contractants de réduire de deux à quatre fois le temps nécessaire pour mener à bien un projet, soutient le professeur. « Dans certains cas, on parle de ponts remplacés en moins d’une fin de semaine. Dans la région d’Ottawa, on a même vu un pont être érigé en moins de 24 heures, vous imaginez ! »

Avantages

« Concrètement, cette méthode consiste à fabriquer le plus de composantes en amont du chantier, explique Bruno Massicotte qui évalue sa faisabilité au Québec depuis déjà quelques années. On parle ici des poutres, des tabliers et des dalles de béton, pour ne nommer que ces seules composantes. L’idée est de concevoir ces pièces en usine – ce qui donne, notamment, la possibilité d’échapper aux intempéries – pour qu’il ne reste ensuite qu’à les assembler sur place, un peu comme des Legos. »

« Couplée à l’autonomisation de certaines mécaniques en usine, la méthode ABC permet également une réduction de la machinerie déployée in situ», indique Adel Zaki, de SNC-Lavalin.

« Privilégiée dans les zones urbaines où la circulation est plus dense, la méthode ABC permet, par sa rapidité d’exécution, d’éviter d’encombrer inutilement le domaine public», renchérit le vice-président et ingénieur en chef du volet Construction des infrastructures chez SNC-Lavalin, Adel Zaki, qui l’utilise de plus en plus sur les chantiers qu’il supervise. « En fabriquant les pièces nécessaires en usine, on arrive à limiter les entraves sur le réseau routier, précise-t-il. On évite donc de contribuer à la congestion routière. » Un avantage incontestable, particulièrement dans la grande région de Montréal où la congestion pose un épineux problème, rappelle-t-il, surtout lorsqu’on sait que la plupart de nos infrastructures arrivent à la fin de leur vie utile et devront, pour la majorité, être remplacées au cours de la prochaine décennie.»

 

La méthode ABC consiste à préfabriquer le plus de composantes possible en usine et à les assembler directement sur le chantier, comme des blocs Legos CR : MTMDET

 

Couplée à l’autonomisation de certaines mécaniques en usine, la méthode ABC permet également une réduction de la machinerie déployée in situ, de même « qu’une optimisation de l’utilisation de la main-d’œuvre », indique l’ingénieur de formation. Un fait non négligeable dans la mesure où une pénurie frappe l’industrie de la construction depuis quelques années. « Au bout du compte, rajoute Adel Zaki, cette façon de travailler pourrait même nous permettre d’exercer un meilleur contrôle sur la qualité des composantes structurelles et ainsi améliorer la durabilité de nos infrastructures. »

Situé à une cinquantaine de kilomètres de Baie-Comeau, le pont de la 138 qui enjambe la rivière Godbout est un exemple d’utilisation de la méthode ABC. CR : MTMDET

L’exception québécoise

Mais encore faut-il que cette méthode arrive à faire sa marque au Québec. De fait, bien qu’elle fasse de plus en plus d’adeptes dans le reste du Canada et aux États-Unis – environ 150 ponts ont été construits de cette manière dans le nord-est de l’Amérique du Nord au cours de la dernière décennie –, elle peine encore à s’implanter chez nous. «Au mieux, souligne Bruno Massicotte de Polytechnique, certaines portions d’infrastructures ont été remplacées de cette façon.» C’est toutefois encore loin d’être généralisé. « Il y a des raisons techniques qui expliquent pourquoi le Québec semble en retard dans ce dossier, note le professeur. Le point sensible dans la construction de ponts et d’échangeurs préfabriqués est la qualité des joints entre les éléments. Or, le Québec se trouve dans une zone sismique assez importante, dont l’épicentre est dans la région de Charlevoix. Avant de standardiser l’utilisation de cette méthode, il faut s’assurer qu’il n’y a pas de risques inhérents à notre contexte géographique. Mais c’est certain que dans un avenir plus ou moins rapproché, cette technique a le potentiel de changer complètement notre manière de travailler sur les chantiers. » •