MAGAZINE CONSTAS
LES 50 ANS DU PONT-TUNNEL LOUIS-HIPPOLYTE-LA FONTAINE

Les 50 ans du pont-tunnel
Louis-Hippolyte-La Fontaine

Le temps de l'innovation

Un symbole du savoir-faire québécois vient d’avoir ses cinquante ans. C’est en effet le 11 mars 1967 que le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine a été inauguré en présence du premier ministre de l’époque, Daniel Johnson. 1967 ! L’année de la création des cégeps, de l’Expo 67, de l’inauguration du pont Laviolette à Trois-Rivières, de la fondation par René Lévesque du Mouvement Souveraineté-Association (qui allait devenir le Parti québécois) et de la visite du général de Gaulle. La Révolution tranquille est à son zénith, avec ses espo irs, ses conflits, ses illusions, mais aussi ses réalisations. La plus belle part de l’héritage de la Révolution tranquille, celle qui a survécu au temps, aux déceptions, au cynisme, ne serait-ce pas, en définitive, ses grands travaux ?

Par Jean Brindamour

William Gaudry prépare un doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal sur la construction du pont tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Il souligne que l’on a songé plus d’une fois à construire un tunnel sous le Saint-Laurent. « Les projets de tunnel imaginés en 1880, en 1910, en 1912 sont fondés sur une méconnaissance de la géologie, remarque-t-il. Des compagnies ont même fait faillite. Il fallait creuser plus profondément qu’on pensait. Les hommes d’affaires ont bien dû s’apercevoir que ce n’était pas faisable techniquement à l’époque et que ça coûterait trop cher. »

C’est au lendemain de la deuxième guerre mondiale que tout deviendra possible. Mais c’est grâce à Jean Lesage et à son « équipe du tonnerre » élue en 1960 que tout se concrétisera. « La Révolution tranquille, estime M. Gaudry, ce sont aussi de grands travaux routiers; c’est la création d’un système routier moderne. Pour être “maître chez nous”, il fallait des infrastructures, il fallait des routes. Il faut dire qu’à l’époque, les projets d’infrastructures sont tellement imposants que les entrepreneurs ont de la difficulté à soumissionner en solo. Ils forment alors des consortiums sur plusieurs chantiers. Le ministère de la Voirie entreprend en 1960 une réforme majeure de son fonctionnement, notamment en instaurant un système de soumissions publiques (ce qui n’existait pas auparavant). »

« Quand on lit les rapports du ministère de la Voirie de l’époque, raconte William Gaudry, on constate que leur “bébelle”, leur défi, ce n’est pas Turcot ou Décarie : c’est le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine qui est pour eux la façon de montrer au monde le génie québécois. »

« En ce temps-là, a pu constater M. Gaudry, on ne se contentait pas de régler les problèmes au jour le jour; on pensait à l’avenir. Le gros problème des projets aujourd’hui, c’est la bureaucratisation excessive. C’est étude par-dessus étude. Et puis, il y a le BAPE, les groupes environnementalistes. Et la volonté politique manque. »

Construction en cale sèche d’un des sept caissons du pont-tunnel, 1965. CR Photo: BanQ Vieux-Montréal Photographe : Gilles Richard

On a d’abord envisagé un tunnel conventionnel, puis un pont suspendu, pour finalement choisir un pont-tunnel avec des caissons immergés au fond de l’eau. « L’idée d’un pont suspendu, indique l’historien, est rejeté parce qu’elle entraînait des prescriptions de la part de la Voie maritime. 162 pieds de hauteur étaient exigés, une portée de 4000 pieds de chaque côté du pont, donc des coûts d’expropriation plus élevés. Il aurait fallu aussi importer l’acier de l’étranger. À l’époque, Lesage obligeait les entrepreneurs à utiliser des matériaux locaux. Il voulait aussi que les ingénieurs soient francophones de préférence. » Le choix se porte donc sur un tunnel qui débuterait à Longue-Pointe, sur la pointe nord-est de l’île de Montréal, et qui se transformerait en pont à partir de l’île Charron jusqu’à Boucherville.

Un projet emblématique

Christiani & Nielsen, une compagnie fondée au Danemark, encore active aujourd’hui, a appliqué une technique d’origine danoise pour la construction du George Massey Tunnel à Vancouver, et deux ingénieurs d’ici, Armand Couture et Per Hall, qui ont participé au projet de Vancouver, ont su améliorer cette technique : « Le raccordement des sept caissons en béton contraint n’était pas satisfaisant, poursuit l’historien. Il y avait des problèmes d’étanchéité. Couture et Hall ont “patenté” une sorte de caoutchouc qui a réglé la question. »

Vue d’un caisson en construction, 1964. CR Photo: MTQ

Un consortium d’ingénieurs, la Société d’ingénieurs-conseils de Boucherville, est formé, composé de Brett & Ouellette, Lalonde & Valois (qui deviendra Lavalin) et Per Hall et associés. Arthur Branchaud, que Bernard Lamarre considérait comme le père de la voirie moderne au Québec, est l’ingénieur en chef du ministère de la Voirie : « Il a un rôle d’intermédiaire, commente M. Gaudry, entre le politique et le chantier. C’est un homme ouvert aux innovations et à la modernisation. Bernard Pinard, le ministre de la Voirie de Jean Lesage, a eu un rôle politique fondamental dans tout ce projet. »

C’est l’époque de la construction de la Transcanadienne. « Pas de Transcanadienne, pas de pont-tunnel », note-t-il. Le fédéral a payé les trois quarts d’une facture de 75 millions $. Normalement, c’était 50  %. Et le gouvernement du Québec était le donneur d’ouvrage. C’est plus facile d’aller dans un sens innovant quand ce n’est pas nous qui assumons le risque financier. »

Cale sèche du côté de l’île Charron, 1964. CR Photo: MTQ

« Quand on lit les rapports du ministère de la Voirie de l’époque, raconte le jeune historien, on constate que leur “bébelle”, leur défi, ce n’est pas Turcot ou Décarie : c’est le pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine qui est pour eux la façon de montrer au monde le génie québécois. Dans son discours inaugural, Daniel Johnson ira jusqu’à déclarer : “On ne se contente plus maintenant d’être à la bonne école; on fait école”. »
Qu’en est-il du pont-tunnel aujourd’hui ? « Les dommages que l’on voit dans le tunnel sont superficiels. C’est sûr que ça prend une réfection, et c’est pour ça que l’on planifie un projet de réfection majeure », a déclaré Alexandre Debs du MTQ à un journaliste de Radio-Canada, soulignant que « l’auscultation qu’on a faite nous démontre que le béton est en bon état, et que les aciers ne sont pas encore corrodés ». Ce chef-d’œuvre d’ingénierie – un pont-tunnel qui s’étend sur près de six kilomètres et dont la chaussée à son point le plus bas est de vingt-deux mètres sous le niveau de l’eau ! – est encore maintenant solide comme le roc. •


Plusieurs entrepreneurs à l’œuvre
La réalisation de cet immense projet a été divisée en une dizaine de contrats. Voici, selon William Gaudry, les plus pertinents : « La construction de la cale-sèche, de la digue et du pont Bailey a d’abord été confiée à McNamara Quebec Limited, puis reprise par Atlas-Winston et Janin Construction en raison du retard et de l’incapacité de McNamara à faire le travail. Les 7 caissons préfabriqués formant la partie centrale et la section sud du tunnel construite en inclinaison ont été sous la responsabilité d’un consortium formé d’Atlas-Winston et Janin Construction. La section du tunnel construite en inclinaison sur la rive nord a été prise en main par Simard Beaudry Construction. Le pont entre l’Île-Charron et la Rive-Sud a été construit par Dufresne Désourdy. Finalement, l’aménagement intérieur du tunnel a été fait par Oméga Construction. »