Les autoroutes québécoises: un patrimoine symbole de renouveau
Elles s’inscrivent dans notre histoire raconte l’historien Laurent Turcot
Les autoroutes du Québec, construites à partir de la deuxième moitié du 20e siècle, font partie intégrante du paysage. Dans une capsule publiée sur sa chaîne YouTube L’Histoire nous le dira, Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), démystifie la tradition de ces grandes voies de circulation rapide, symboles de renouveau dans la province.
par Leïla Jolin-Dahel

Les autoroutes constituent un héritage qu’on ne devine pas, résume Laurent Turcot. «La plupart du temps, quand on parle de patrimoine, on pense au Château Frontenac, au Stade olympique, précise-t-il. Mais les autoroutes en sont un qu’on utilise tous les jours et qu’on ne comprend pas.»
Ces grandes voies rapides sont ancrées dans la culture québécoise moderne, précise l’historien. «Il suffit de lancer la question: “Êtes-vous plus du genre à emprunter l’autoroute 20 ou la 40 pour faire le trajet de Québec à Montréal?” Il va s’ensuivre des débats à n’en plus finir!»
Le passage du Québec à la modernité
Avant la construction des autoroutes, il fallait du temps pour effectuer le trajet de Québec vers Montréal. «À l’époque de la Nouvelle-France, ça prenait quatre jours, parce que c’était la voie du fleuve Saint-Laurent qui était la plus utilisée», rappelle M.Turcot.
Après la Deuxième Guerre mondiale, des désaccords entre Ottawa et Québec ont également freiné le développement des grandes voies rapides de la province. Maurice Duplessis, alors premier ministre de la province, refusait l’ingérence du fédéral dans les affaires québécoises. «Il a fallu attendre l’arrivée de Jean Lesage au pouvoir», explique le professeur d’histoire.
Des habitudes modifiées

La naissance des voies rapides au Québec a marqué l’ère de l’automobile. Et ce, notamment par des mises en chantier massives et l’envie de présenter Montréal comme une ville moderne pour attirer les touristes venant des États-Unis à l’Expo 67, note Laurent Turcot. «Ç’a été une transformation complète. L’autoroute a été un emblème de renouveau au Québec», souligne-t-il. L’essor des voitures et des autoroutes a également entraîné la création de la signalisation routière, conçue avec des pictogrammes afin de pouvoir être déchiffrée par les personnes ne sachant pas lire.

Les grandes voies routières ont notamment permis de réduire le temps de transport. «On parle de l’invention de la vitesse au 20e siècle comme étant un symbole par excellence de la société capitaliste. Tout doit être fait le plus rapidement possible, et l’autoroute participe à ce phénomène», relève M.Turcot, ajoutant que les marchandises peuvent maintenant être acheminées avec un moindre délai, ce qui favorise les échanges économiques. Ces voies rapides ont également entraîné l’apparition de haltes routières, permettant aux automobilistes de faire une pause, comme celle du Madrid, entre Québec et Montréal. Elles ont aussi donné lieu à des espaces de discussion. «Quand on prend la route avec quelqu’un, nécessairement, on parle», fait observer le professeur d’histoire. Il cite en exemple le film Québec-Montréal, réalisé par Ricardo Trogi et lancé en 2002, qui est selon lui «un voyage intérieur à travers l’âme québécoise».
Le réseau routier a également contribué au développement économique du Québec en donnant naissance à de nouvelles spécialités en génie-conseil. «Construire une autoroute, c’est comme construire un immeuble. Ça prend une expertise, d’autant plus qu’on a des variations de températures qui sont extrêmes au Québec», souligne Laurent Turcot.
La plupart du temps, quand on parle de patrimoine, on pense au Château Frontenac, au Stade olympique. Mais les autoroutes en sont un qu’on utilise tous les jours […]
— Laurent Turcot


Un legs remis en question
Les voies rapides ont transformé le paysage québécois, mais leurs infrastructures sont aujourd’hui remises en question. «L’autoroute Ville-Marie tranche Montréal en deux. On se demande maintenant si c’est vraiment une bonne chose. Avec la Métropolitaine, on se dit que, plus jamais, on ne construira des autoroutes surélevées, parce qu’on n’est pas capables de relier les quartiers entre eux, illustre Laurent Turcot. C’est comme une grande blessure, une cicatrice que l’on n’arrive pas à colmater.»
Ces dernières années, les voies rapides ont été «laissées de côté», en étant «tenues pour acquises», croit le professeur. Il estime d’ailleurs que notre modèle de déplacement doit être repensé. «Est-ce qu’on misera davantage sur le transport autoroutier ou le transport collectif?» demande-t-il, avançant que d’importantes transformations pourraient avoir lieu dans l’avenir.
L’autoroute a été un emblème de renouveau au Québec.
— Laurent Turcot
Mais, même si les autoroutes sont vues par plusieurs comme une défiguration du paysage, elles constituent bel et bien une part du patrimoine québécois. «C’est dans nos mœurs, qu’on le veuille ou non», conclut-il. ■