Femmes en construction : pourquoi leur voie est-elle si difficile ?
Entretien avec la FTQ-Construction à propos de défis qui persistent
Alors que le nombre de femmes dans le secteur de la construction a atteint un sommet historique en 2024, cette main-d’œuvre ne constitue encore que 4% des effectifs et 10% des nouvelles recrues. Tour d’horizon des principaux défis et développements.
par Leïla Jolin-Dahel
La présence des travailleuses reste « minime », mais représente tout de même le double, en comparaison avec les données de l’année 2011 publiées par la Commission de la construction du Québec (CCQ). « Mais le fait qu’on en soit arrivés à seulement 4 % démontre la difficulté qu’on a à rendre cette industrie plus accessible », constate Philippe Lapointe, conseiller aux relations de travail de la FTQ-Construction.
Des défis toujours présents
Plusieurs obstacles persistent pour les travailleuses qui choisissent cette avenue. M. Lapointe cite en exemple le sexisme ambiant, présent dans les emplois traditionnellement masculins. « Il y a encore cette idée que les femmes sont moins fortes ou moins adaptées que les hommes. Mais cette réalité est de moins en moins observable parce que les esprits changent. »
Un sondage mené par la firme Léger et mandaté par la CCQ conclut que 82 % des salariées de l’industrie se sentent incluses dans leur milieu professionnel. C’est toutefois moins le cas pour celles qui sont issues de l’immigration, qui ont intégré la discipline depuis moins d’un an, qui œuvrent en génie civil et voirie, qui sont apprenties ou les seules représentantes du sexe féminin sur un chantier. Néanmoins, plus de deux répondantes sur cinq observent une amélioration de la situation depuis cinq ans et près de la moitié d’entre elles ont espoir que les choses continueront à progresser dans les années à venir.
Pour M. Lapointe, la faible présence des femmes dans le secteur est surtout due au fait que quatre firmes de construction sur cinq comptent cinq personnes ou moins. « C’est souvent un entrepreneur qui s’associe avec son beau-frère. C’est donc difficile de percer cette bulle parce qu’il n’y a pas d’embauche. La majorité des travailleuses sont plutôt dans les grandes sociétés. » Selon la CCQ, seulement 16,8 % des entreprises ont recruté des salariées en 2024.
Les questions de santé et de sécurité viennent au deuxième rang des préoccupations des travailleuses de l’industrie. Et pour cause : en 2023, le secteur était celui comptant le plus de décès, avec 68 personnes mortes en exercice, selon des statistiques publiées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.
Mais le défi principal demeure le haut taux d’abandon chez les travailleuses. « Elles réussissent à obtenir leurs cartes de compétence et une première expérience professionnelle. Le problème, c’est qu’elles ne restent pas », dit M. Lapointe. Entre 2000 et 2014, plus de la moitié d’entre elles ont déserté le métier avant d’avoir terminé cinq années d’activité, comparativement à 35 % des hommes.
De plus, les femmes en construction peinent souvent à trouver un second poste après un premier emploi, selon Philippe Lapointe. « Il y a toujours de la compétition en ce qui a trait à qui sera retenu par une entreprise, de chantier à chantier. Plusieurs travailleuses se sentent comme les dernières embauchées et les premières mises à pied. »
Il y a encore cette idée que les femmes sont moins fortes ou moins adaptées que les hommes. Mais cette réalité est de moins en moins observable parce que les esprits changent.
— Philippe Lapointe
Des solutions pour plus de rétention
Si le Programme d’accès à l’égalité des femmes dans l’industrie de la construction est en vigueur depuis plusieurs années, il comporte ses limites, estime M. Lapointe. « On ne peut pas démontrer clairement l’efficacité des mesures instaurées, notamment sur la rétention des employées. »
La FTQ-Construction mise davantage sur la formation professionnelle comme moyen de maintenir les femmes dans l’industrie. Les diplômées vivent aussi une meilleure intégration sur les chantiers que les autres. « C’est plus facile de démonter les biais existants lorsqu’on sait déjà comment travailler que lorsqu’on arrive en tant qu’apprentie avec aucune connaissance préalable. »
La FTQ-Construction voit d’ailleurs d’un bon œil les investissements de 6 M$ du gouvernement du Québec pour soutenir la formation en alternance travail-études dans le secteur.
Le syndicat souhaite aussi davantage de mesures permettant de concilier les obligations professionnelles et la vie familiale. M. Lapointe cite en exemple le programme Pour une maternité sans danger, visant à maintenir en poste des salariées enceintes ou allaitantes dont les tâches peuvent comporter certains risques pour elles ou leur enfant. « Mais ce programme est lié à l’emploi. Les travailleuses perdent leur admissibilité de chantier à chantier et doivent convaincre leur patron de les garder dans leur entreprise. »
M. Lapointe est formel : une meilleure sécurité d’emploi pour tous et toutes permettrait de réduire la pénurie de talents et de retenir les femmes dans l’industrie de la construction. « On aurait une main-d’œuvre compétente et qui serait extrêmement fière de ce qu’elle fait. J’espère que les futurs bâtisseurs et bâtisseuses du Québec seront aussi diversifiés que possible. » ■