La pénurie de main-d’œuvre: un enjeu pour la mobilité électrique
Quelles seront les conséquences sur les transitions énergétiques ?
Bien qu’elle soit moins importante aujourd’hui que durant la pandémie, la pénurie d’effectifs dans le secteur de la construction et du génie civil reste un défi pour l’électrification des transports.
par Leïla Jolin-Dahel
Dans le monde, seulement 2% de la main-d’œuvre totale est affectée par la transition énergétique. Mais cette transformation requiert des actions considérables, notamment pour le passage des véhicules à essence aux modèles électriques et le déploiement d’infrastructures pour le transport en commun.
Le Québec ne fait pas exception. Environ 70% des membres de Propulsion Québec estiment que le manque d’effectifs constitue un frein à leur expansion. Cette insuffisance de personnel touche une quarantaine de métiers et professions, calcule Alexis Laprés-Paradis, vice-président, développement et opérations, de cette organisation, dont la mission est d’accélérer la croissance de l’industrie des transports terrestres zéro émission au Québec. «Mais la pénurie de main-d’œuvre est moins grande actuellement. Durant la pandémie, elle était prononcée dans de multiples domaines, que ce soit chez les techniciens, les électriciens et dans des postes spécialisés dans l’infrastructure de recharge.»
Contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas les ingénieurs qui brillent le plus par leur absence dans le secteur. Mais plutôt les développeurs de logiciels, les électriciens, les technologues en chimie, en mécanique… «Souvent, on manque davantage de personnes issues des formations professionnelles ou techniques.»
Des conséquences sur la transition énergétique des transports
Avec sa Stratégie québécoise sur la recharge de véhicules électriques 2023-2030, le gouvernement vise l’atteinte, d’ici 5 ans, d’un taux de 35% des places de stationnement conçues pour permettre l’aménagement de bornes de recharge dans les bâtiments multilogements. À la fin de la période que couvre la Stratégie, Québec souhaite aussi avoir installé 6 700 bornes de recharge rapide publiques et 110 000 bornes de recharge publiques de niveau 2.
Pour avoir plus de véhicules électrifiés, on a besoin d’infrastructures qui puissent les soutenir et de services de qualité équivalente à celle qu’on a en transports actuellement. Il est donc essentiel que le gouvernement voie, de façon prioritaire, à la construction de ces infrastructures.
— Alexis Laprés-Paradis

D’autres chantiers d’envergure sont également prévus: extension du REM à Montréal, électrification des transports en commun, mise à niveau des garages pour les adapter aux autobus zéro émission… «Beaucoup de choses s’en viennent, mais on n’a pas assez de main-d’œuvre pour les attaquer en même temps», souligne M. Laprés-Paradis. Ce manque d’effectifs a pour effet de ralentir leur déploiement.
Ce ralentissement crée aussi une pression à la hausse sur les coûts des chantiers, faute de personnel qualifié disponible en quantité suffisante. «Les entreprises sont donc assez libres de choisir les projets sur lesquels elles veulent travailler. Et plus il y a de demandes, plus elles peuvent augmenter leurs prix.»
Afin d’attirer les talents, Propulsion Québec recommande l’instauration de formations spécialisées et de chaires de recherche prestigieuses. L’organisation a, par ailleurs, dans sa mire les scientifiques étrangers, qu’elle souhaite joindre par le biais d’une campagne de recrutement ciblée.
Soutenue par le gouvernement provincial, Propulsion Québec a également constitué le programme En route!, propulseur de carrières en transports électriques et intelligents (TEI), et ce, afin de mettre en valeur le secteur d’activité auprès des différents bassins de main-d’œuvre tels que la communauté étudiante ou récemment diplômée, les immigrants ou les personnes sans emploi.
Des interventions pour accélérer la transition
La clé de l’augmentation des effectifs disponibles et qualifiés réside dans le développement des compétences liées à l’industrie, estime M. Laprés-Paradis. Des aides financières existent déjà afin d’épauler les entreprises dans la mise à niveau de leurs équipes.
Ainsi, des comités sectoriels de main-d’œuvre offrent de telles mesures en partenariat avec des établissements d’enseignement comme les cégeps et les universités. «Ce sont des organisations que les entreprises ont vraiment avantage à connaître et avec lesquelles elles doivent discuter parce que beaucoup d’argent y est accessible pour la formation.»
Le programme de rehaussement des compétences Visées, créé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la Fédération des chambres de commerce du Québec et l’OBNL Palette Skills, propose aussi des subventions aux entreprises.
«Ce qu’on voit dans le marché, c’est qu’il y a des sommes disponibles pour la mise à niveau du personnel. Les firmes ont donc moins de risques à embaucher des gens qui ne sont pas complètement qualifiés pour les amener à atteindre le degré d’expertise recherché très rapidement par le biais de ces formations.»
Alexis Laprés-Paradis estime que le principal défi actuel est d’accélérer le recours à ces aides par les acteurs du secteur. Et ce, alors que la norme véhicules zéro émission (VZE) est en vigueur et voit ses exigences être plus nombreuses chaque année. Il sera, par ailleurs, interdit au Québec, à partir de 2035, de vendre des véhicules légers neufs à essence ou au diesel.
Des projets cruciaux au Québec
Que ce soit pour stimuler l’économie ou réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), l’électrification des transports reste essentielle, estime le vice-président chez Propulsion Québec. Près de 43% des GES de la province proviennent de ce secteur, selon le gouvernement québécois. Le transport routier constitue, à lui seul, la principale part de ces émissions, atteignant 31,2%, et contribue également à la pollution de l’atmosphère. En 2019, le transport hors route était, quant à lui, responsable de plus de 13% des GES liés au secteur.
Beaucoup de [projets] s’en viennent, mais on n’a pas assez de main-d’œuvre pour les attaquer en même temps.
— Alexis Laprés-Paradis
Pourtant, Québec dispose déjà de plusieurs atouts pour accélérer la transition énergétique. En 2021, 94% de l’électricité produite était d’origine hydroélectrique. La province recèle des minéraux critiques utilisés dans la fabrication de batteries. Hydro-Québec a, d’ailleurs, innové en lançant le premier réseau de bornes publiques de recharge au Canada en 2012.
«Pour avoir plus de véhicules électrifiés, on a besoin d’infrastructures qui puissent les soutenir et de services de qualité équivalente à celle qu’on a en transport actuellement. Il est donc essentiel que le gouvernement voie, de façon prioritaire, à la construction de ces infrastructures.» ■